L'égalité sociale peut-elle s'accommoder de la reconnaissance de la diversité ou de l'une de ses composantes : religieuse, culturelle, 'ethnique' ? Deux tendances s'opposent, parfois de manière caricaturale : les 'républicains' qui ne veulent entendre parler, dans l'espace public, que d'individus libres et égaux en droit ; les 'démocrates' qui considèrent que les individus ne sont pas des électrons libres, tous identiques, mais qu'ils ont un ancrage, une identité collective, des racines, dont il faut tenir compte dans la vie publique.
Périodiquement, ce débat se durcit, tantôt autour de l'islam ou de la burqa, tantôt à propos de la 'discrimination positive', des 'statistiques ethniques' ou de l''identité nationale'. Ces thèmes sont relancés par des prises de position de responsables politiques ou à l'occasion de la publication de rapports officiels. On attend ainsi la remise du rapport de la commission Médias et diversité, présidée par Bernard Spitz.
L'idée de mettre en relation médias et diversité procède d'un constat déjà ancien. Dans notre pays, les 'minorités visibles' ne seraient pas toujours suffisamment et convenablement représentées dans les médias. D'une part, ceux-ci, tout comme bien d'autres entreprises, ne les emploient pas toujours en nombre suffisant ou à des postes de responsabilité par rapport à leur poids relatif au sein de la population. D'autre part, ils ne les donnent pas assez à voir et, quand ils le font, c'est souvent en les stigmatisant ou en les caricaturant, comme si l'appartenance à une 'minorité visible' enfermait les individus dans des rôles et des images préétablies.
Comment remédier à ces injustices ? Et d'abord, comment les mesurer, sur la base de quels indicateurs ? Les réponses ne sont pas évidentes. Peut-on compter les membres des 'minorités visibles' présents dans une entreprise de presse, un journal, par exemple, et, si oui, sur quelle base ? Qui décidera de l'appartenance d'un individu à un groupe ? Lui-même ? Un observateur extérieur, une autorité publique, la direction ? Il faut ensuite établir la discrimination, ce qui est délicat lorsqu'elle est indirecte, lorsque personne n'a explicitement refusé l'accès à un poste.
L'évolution en ce domaine ne peut être brutale. Certains ont envisagé des dispositifs d'incitation ou de répression : conditionner certaines aides publiques à l'embauche de membres des 'minorités visibles' ou à une amélioration sensible de l'image qui en est donnée. Mais sur quelle base, et peut-on accepter un traitement identique, basé sur des critères qui seraient les mêmes partout ?
Les médias français, dans leur ensemble, sont désireux de tenir compte de la diversité de la population française et sont sensibles à la pression qu'entretiennent de plus en plus les acteurs collectifs et les associations issues de cette 'diversité'. La prise de conscience des journalistes et des rédactions est réelle. Il s'agit de réussir à conjuguer les valeurs universelles de la République et les attentes de ceux qui sont discriminés dans l'emploi, comme dans l'image qui est donnée d'eux.
Le volontarisme est nécessaire, mais il faut aussi une grande prudence pour éviter que des mesures bâclées, non expérimentées et dont il n'est pas prévu qu'elles soient évaluées ensuite, ne débouchent sur des effets négatifs, en encourageant, par exemple, la racialisation ou la fragmentation du corps social.
(*) Sociologue, École des hautes études en sciences sociales.
Michel Wieviorka (*)
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