TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

dimanche 18 octobre 2009

Marine Le Pen ou le ministère de la haine

On avait tort d’enterrer prématurément le Front national. Nicolas Sarkozy lui a certes porté de rudes coups, s’appropriant quelques thèmes (sécurité, immigration, justice), dominant nettement Jean-Marie Le Pen à l’occasion de plusieurs duels télévisés, le vieillissant aussitôt et lui ravissant une fraction substantielle de son électorat. L’extrême droite paraissait ainsi en déclin et subissait plusieurs déconvenues électorales. Cette phase-là s’achève peut-être. La crise économique, la montée du chômage, les polémiques récentes (Clearstream, Roman Polanski et maintenant Jean Sarkozy) lui offre un terrain favorable. Une partie de l’électorat de la majorité, dans les milieux populaires notamment, est de nouveau tentée par le Front national. Le climat d’anxiété et de protestation le sert, l’insécurité le porte. Dans la région Provence-Alpes- Côte d’Azur (Paca) ou en Picardie par exemple, l’extrême droite regagne des points.

Pour cristalliser ce retour du Front national, Marine Le Pen vient de réussir avec l’affaire Frédéric Mitterrand un coup d’éclat médiatique aussi répugnant qu’efficace, aussi fétide que spectaculaire. La vice-présidente du parti d’extrême droite vient ainsi de prendre la succession de son père dans la fonction qu’il occupait depuis des décennies : le ministère de la haine. La députée européenne ne possède pas le talent oratoire de tribun ou la culture classique de Jean-Marie Le Pen. En revanche elle en a l’aplomb, la violence, l’agressivité, la facilité d’expression et cette intuition politique qui lui fait discerner sur le champ que s’entrouvre une fenêtre de vulnérabilité. Elle démontre ainsi un instinct de chasseur, avec le goût du sang et le plaisir de blesser ou d’abattre. Durant une période, elle a tenté d’incarner une forme modernisée de l’extrême droite, veillant à ne pas apparaître explicitement xénophobe ou raciste, évitant les pièges des dérapages délibérés de son père, cherchant même à accréditer l’idée qu’en matière de mœurs, elle n’était pas du côté des pudibonds et des bigots. Tout cela vient de voler en éclats. En accusant Frédéric Mitterrand avec une fureur hystérique, en n’hésitant pas une seconde à déformer ses propos, à caricaturer ses écrits, à lui attribuer pour mieux l’atteindre des mots qu’il n’avait pas employés, elle a déchiré son masque et a révélé en gros plan son véritable visage.

Lorsqu’elle a porté ses attaques, elle éclatait de haine, d’exécration, comme la figure d’une vengeance guerrière. On sentait bien que derrière la dénonciation de la pédophilie et du tourisme sexuel, c’était l’homosexualité qu’elle pourchassait. L’extrême droite abhorre toutes les minorités, qu’elles soient sexuelles, ethniques, religieuses ou culturelles. Marine Le Pen agressant et diffamant Frédéric Mitterrand, c’était une furie vengeresse laissant échapper un torrent d’imprécations digne des prêcheurs fondamentalistes venus de la nuit des temps.

Il n’en était que plus déplaisant de voir quelques quadragénaires parmi les plus brillants et les plus ambitieux du PS participer sans retenue à l’hallali déclenchée par l’extrême droite. Sans prendre le temps de lire in extenso le texte incriminé, la Mauvaise Vie, ils se sont rués à l’assaut, accusant Frédéric Mitterrand d’apologie du tourisme sexuel, alors même que son livre décrivait des bouges d’une façon qui donnait des haut-le-cœur, le chargeant parfois de complaisance pour la pédophilie, bien qu’il s’en soit toujours défendu, exigeant sa démission, jouant sans vergogne les grands inquisiteurs, bref se comportant comme des hauts commissaires au populisme. Benoît Hamon, porte-parole officiel du PS,parlait ainsi de «ministre consommateur», comme s’il avait surpris Frédéric Mitterrand avec un adolescent prépubère. Au moins le porte-parole a-t-il fait ensuite machine arrière après les explications du ministre humilié. On n’a pas entendu en revanche Arnault Montebourg, éternel procureur autodésigné, regretter la violence et l’injustice flagrante de ses propos et on pouvait s’étonner de trouver Manuel Valls en si piètre compagnie. Ce qui prouve que lorsqu’on cherche trop à plaire à l’électorat, à épouser les embrasements de l’opinion (chauffée à blanc par la polémique Polanski), à séduire en s’identifiant aux passions, aux instincts et aux préjugés, on bascule vite dans le populisme, que l’on appartienne à la gauche ou à la droite.
ARTICLE PARU DANS LIBÉRATION

0 commentaires: