TOUT EST DIT

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dimanche 18 octobre 2009

"Le Nobel dessert Obama"

Barack Obama mérite-t-il le prix Nobel de la Paix? François Heisbourg, spécialiste des relations internationales,* fait le bilan de la politique étrangère menée par Barack Obama depuis son accession à la Maison blanche, il y a moins de neuf mois.
Comment peut-on qualifier l'évolution de la situation en Afghanistan depuis l'accession au pouvoir de Barack Obama?
L'évolution de la situation est mauvaise. 2009 marque même l'année la plus mauvaise pour la coalition depuis la chute des taliban fin 2001. Les stratégies successives adoptées – et la stratégie définie par Barack Obama en début d'année – ne fonctionnent pas. En la matière, il va falloir attendre la décision américaine. Le contingent américain représente plus des 2/3 des forces étrangères en Afghanistan. Les Etats-Unis donnent le la. Mais ce n'est pas anormal que Barack Obama prenne son temps.

Barack Obama doit se prononcer sur l'envoi éventuel de soldats supplémentaires en Afghanistan…
La façon dont se déroule le processus à Washington est inquiétante. En toile de fond, il y a un conflit entre le commandant des forces armées en Afghanistan, le général McCrystal, et la Maison blanche. Le général a fait publiquement état de ses préférences [il s'est prononcé pour l'envoi de 40 000 soldats supplémentaires, ndlr]. Un conflit entre le militaire et le politique n'est jamais très sain.
Barack Obama hésite entre poursuivre la stratégie actuelle ou se recentrer sur la lutte contre les combattants d'Al-Qaïda…
La première stratégie nécessite davantage de soldats. Mais il n'est pas sûr que cette solution résolve plus de problèmes qu'elle n'en crée. L'autre solution est de resserrer les buts de guerre et faire la chasse à Al-Qaïda. Mais cela pose aussi problème: qu'est-ce qu'on fait, dans cette hypothèse, de l'Afghanistan? Par ailleurs, les combattants d'Al-Qaïda se trouvent pour l'essentiel au Pakistan. Or, il est compliqué d'agir dans ce pays. Pour Barack Obama, le choix est vraiment difficile. Selon certaines indiscrétions, il opterait davantage pour le second.

L'évolution de la situation en Afghanistan n'est-elle pas essentiellement due à l'évolution de la rébellion?
La coalition a fait deux erreurs. La première, le pêché originel, est de ne pas avoir invité les responsables – plus ou moins représentatifs – des tribus pachtounes à la conférence de Bonn en 2002, lors de laquelle la stratégie de la communauté internationale en Afghanistan a été fixée. Or, aujourd'hui, les taliban recrutent dans les rangs de ces tribus. La communauté internationale est partie du mauvais pied. La deuxième erreur est le fait que l'Otan, en 2003-2004, ait pris en main l'essentiel du problème afghan, et ce, au détriment des Nations unies, des Etats de la région, etc, et alors même qu'elle élargissait ses buts de guerre (démocratie, mise en place d'un Etat central, etc). Le résultat a été un développement très rapide de l'insurrection, qui était encore quasi inexistante en 2002.
Au Proche-Orient, "bilan extrêmement décevant"

Barack Obama apparaît aujourd'hui comme celui qui a désengagé les Etats-Unis d'Irak. Les choses sont-elles aussi simples?
Barack Obama a été bien servi par les initiatives prises par le général Petraeus durant la dernière année du mandat de George W. Bush. Il en a récolté les fruits. Il a géré la situation de façon avisée. Il a eu l'intelligence de garder Robert Gates [le secrétaire américain à la Défense, ndlr] qui a assuré la continuité entre la fin du mandat de Bush et le début de celui d'Obama. Par ailleurs, il ne faut pas perdre de vue que le fait d'accélérer le retrait d'Irak est financièrement intéressant. L'Afghanistan coûte très cher.

Que pensez-vous de sa gestion du dossier du Proche-Orient?
Son bilan est extrêmement décevant. J'ai été très surpris de voir Barack Obama se lancer rapidement dans un pari hasardeux: celui de demander à Israël de s'engager tout de suite sur l'arrêt de la colonisation. Si sur le fond je suis d'accord, je ne vois pas ce qui a permis à Obama de croire que le système politique israélien allait pouvoir satisfaire cette exigence. La réaction de Netanyahou [qui a refusé de se prononcer pour un gel de la colonisation, ndlr] était totalement prévisible. Obama se retrouve aujourd'hui dans une situation relativement humiliante. Son exigence fondamentale a été bafouée. Sur la base de quelle information a-t-il cru qu'il allait réussir à passer outre l'opposition israélienne? C'est bien mal connaître la réalité. Il peut difficilement revenir en arrière sans perdre la face. Cela le contraint à un exercice de contorsion relativement désagréable.

Dans le dossier iranien, son offre de dialogue a été peu suivie d'effet. Pire, la République islamique a multiplié les provocations. Peut-on là aussi parler d'échec?
La situation en Iran est différente. Chacun savait que rien ne pourrait se faire dans ce dossier avant l'élection présidentielle en Iran, ce qui a donc neutralisé la première moitié de l'année. L'absence de résultat est donc mécanique. Ensuite, en tendant la main aux Iraniens, Barack Obama n'avait rien à perdre: soit les Iraniens s'en emparent et des négociations sérieuses débutent, soit ils refusent. Dans les deux cas, le président américain peut dire qu'il a essayé. Dans ce dossier, Obama fait le parcours qu'ont fait les Européens entre 2003 et 2005. Eux ont échoué à dialoguer, ce qui explique pourquoi ils sont plus fermes que les Américains. Obama tente ce que Bush n'avait pas essayé. Il agit de façon raisonnable et sérieuse.
L'abandon du bouclier? "Assez finement joué"

Finalement, la grande réussite d'Obama en politique étrangère n'est-elle pas le rapprochement avec Moscou?
La décision de politique étrangère la plus importante, sinon la seule de Barack Obama, est l'abandon du bouclier anti-missile en Europe de l'Est. Cela ouvre la voie à la signature d'un accord entre la Russie et les Etats-Unis en décembre sur la réduction des armements nucléaires stratégiques. Et cela facilite les relations avec Moscou dans le dossier iranien. Le timing est plutôt bon: Obama a annoncé l'abandon du bouclier quelques jours avant les révélations sur l'existence d'un nouveau site nucléaire en Iran. C'est assez finement joué.

Dernier grand dossier dans lequel Barack Obama est très attendu: le climat. Pourra-t-il concrétiser ses promesses?
J'espère que oui et je pense que non. L'ambiance actuelle entre son administration et le Congrès est tendue. Pour parler franchement, il va en baver des ronds de chapeau. Je serais très surpris qu'un texte législatif sur le climat soit adopté en temps utile pour la conférence de Copenhague [organisée début décembre pour trouver une suite à Kyoto, ndlr].

Dans ces conditions, le Nobel de la Paix n'est-il pas un cadeau empoisonné?
Je pense que ça le dessert. D'abord à gauche, parce que, s'il est obligé de prendre des décisions dures en Afghanistan et en Iran, on va lui opposer son Nobel. Ensuite à droite, parce que le moindre geste de conciliation sera mis au débit de son Nobel. Le Comité Nobel aurait mieux fait de ne pas lui donner ce lourd cadeau à porter, même si je ne pense pas qu'il fut délibérément empoisonné. Barack Obama doit travailler encore un peu pour mériter son Nobel!

*Aujourd'hui conseiller spécial à la Fondation pour la Recherche Stratégique, François Heisbourg, spécialiste des relations internationales, a été membre de la représentation permanente de la France à l'ONU et conseiller au ministère des Affaires étrangères.

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