TOUT EST DIT

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mardi 27 octobre 2009

LE MYSTÈRE DASSAULT

De la politique aux affaires, le porte-drapeau de l'industrie militaire nationale vole de succès en succès. Pourtant, Semé Dassault décrète un silence radio. Résultats négatifs, défi du Rafale... le repli stratégique est aussi une reprise en main dynastique.
Que se passe-t-il à l'intérieur de la maison Dassault ? Depuis l'été dernier, plus rien ne doit filtrer hors de l'imposant hôtel particulier qui abrite le siège du groupe familial, sis au rond-point des Champs-Elysées, à Paris. Le 29 septembre, le conseil de famille, instance qui régit la vie du groupe, arbitre les ambitions et décide des investissements, a formellement demandé le silence aux quatre enfants de Serge et Nicole Dassault.
Depuis cette date, il est interdit à Obvier, Laurent, Thierry et Marie-Hélène de s'exprimer sur toute autre question que leurs activités personnelles. Rien, donc, surtout ce qui touche au groupe. Quant à Serge Dassault et à son proche conseiller Charles Edelstenne, membre du conseil de surveillance et du «comité des sages» du groupe familial, également PDG de Dassault Aviation et président de Dassault Systèmes, ils refusent farouchement toute idée d'interview. Quel mystère y a-t-il donc à cacher ?
En apparence, ils n'ont pourtant qu'à se féliciter de ce qui leur arrive. Industriel, patron de presse mais aussi homme politique, Serge Dassault vient de gagner une bataille qui lui tenait à coeur. Déclaré inéligible pour un an à Corbeil-Essonnes, dont il était maire depuis 1995, il a réussi le 4 octobre à faire élire son conseiller Jean-Pierre Bechter face à la gauche locale, à 27 voix près. Une revanche personnelle. «Il a rajeuni de dix ans», se réjouit son entourage.
Autre sujet de satisfaction, l'investissement personnel de Nicolas Sarkozy dans l'exportation du Rafale, pour lequel le président brésilien Lula a exprimé sa préférence le 7 septembre, lors de la visite à Brasilia du président français. A la clé, un probable contrat de 4 à 5 milliards d'euros pour Dassault Aviation. Une autre revanche pour l'industriel, qui n'a pas encore vendu un seul de cet avion de combat à l'étranger. Enfin, à la surprise générale, Dassault est devenu en mai l'opérateur industriel du groupe d'électronique Thaïes, que convoitait EADS. Face au géant européen, le groupe familial fait désormais figure de porte-drapeau de l'industrie française de l'armement. Encore une revanche.

Crime de lèse-majesté
Et pourtant, quelque chose ne tourne pas rond dans la société créée par Marcel Dassault. Faut-il en faire porter la responsabilité à Olivier, l'aîné de la troisième génération, qui a brisé un tabou en donnant cet été une interview retentissante à La Croix ? C'était la première fois que le député (UMP) de l'Oise s'exprimait de la sorte : «Je suis le plus qualifié pour la succession», proclamait-il le 1er juillet, insistant sur ses qualités d'«ingénieur», de «pilote» et d'«eu de la nation», ayant de surcroît «des contacts politiques au plus haut niveau».
Ces déclarations illustrent le sentiment de frustration qui habite aujourd'hui les petits-enfants de Marcel Dassault. Tous peinent en effet à se faire un prénom, même s'ils ne sont pas vraiment à plaindre, surtout depuis la donation-partage intervenue en décembre 2008 (lire page 74). Ces propos ont été ressentis comme un crime de lèse-majesté par le chef de famille qui ne compte aucunement se retirer des affaires, malgré ses 84 ans. «Ma succession n'est pas ouverte», a rétorqué Serge Dassault par un communiqué envoyé à l'Agence France Presse. Ambiance. Le moment, il est vrai, n'est pas le mieux choisi. Non seulement parce que les grandes manoeuvres ne sont pas terminées - il serait question d'un rapprochement Thales-Nexter -, mais aussi parce que la crise a fragilisé le holding familial, le Groupement industriel Marcel Dassault (GIMD). La maison connaît des difficultés qu'elle préférerait ne pas voir médiatisées. Les chiffres que Challenges a pu se procurer sont éloquents. En 2008, le GIMD a enregistré une perte de 86,5 millions d'euros, contre un bénéfice de 138,9 millions en 2007. Le dernier déficit remontait à 2002, et encore son montant était-il symbolique. Fini, l'époque où tout semblait facile.

Investissements malheureux
Serge Dassault, qui avait, en 2004, consacré 1,2 milliard d'euros au rachat de l'ex-empire de presse de Robert Hersant, ne peut que constater aujourd'hui l'étendue des dégâts (lire page 71). Pour tenir compte des mauvais résultats de la Soc- presse, la maison mère a dû passer une provision de 95 millions d'euros en 2008, a reconnu Serge Dassault dans son rapport de gestion du GIMD, à l'occasion de l'assemblée générale mixte des actionnaires du 30 septembre 2009. Le lendemain même de l'interdiction faite aux représentants de la troisième génération de donner des interviews... Ceci explique sans doute cela. Le groupe Dassault devra-t-il recapitaliser ses activités de presse ? C'est l'une des questions que se pose aujourd'hui la famille. Ce n'est pas la seule. Alors que la crise a gelé le marché des avions d'affaires Falcon - ce qui n'a pas empêché Dassault Aviation d'augmenter la distribution de dividendes en 2008 - et affecté la rentabilité des activités immobilières (lire page 70), certains investissements sur les marchés financiers se sont révélés particulièrement malheureux. Selon le rapport de Serge Dassault, le groupe a également dû provisionner «10 millions d'euros sur des opérations de dérivés conclues avec Lehman Brothers», la banque dont la faillite a précipité la crise à Wall Street, et 16 millions d'euros sur le portefeuille actions, en raison de «l'évolution défavorable des cours de Bourse». Et en pleine tempête boursière, à l'automne 2008, le groupe a acheté 2% de Veolia Environnement. Un investissement de 221 millions d'euros, le plus important de l'année pour la famille Dassault. Mais l'entreprise de services aux collectivités dirigée par Henri Proglio, lequel siège au conseil d'administration de Dassault Aviation, n'avait pas encore terminé sa dégringolade boursière. Et Dassault a dû inscrire à ce titre 30 millions d'euros de provisions supplémentaires pour dépréciation. Heureusement, Dassault Systèmes et son logiciel Caria, qui a fait une grande partie de la fortune familiale, et celle de son fondateur, Charles Edelstenne, fait mieux que résister et reste fortement bénéficiaire. Que se passerait-il si ce n'était plus le cas ? Bien sûr, le groupe a déjà traversé des périodes difficiles : après l'élection de Mitterrand en 1981, avec les nationalisations, ou lorsque Serge Dassault a dû batailler contre le ministre de la Défense, André Giraud, pour prendre la tête de Dassault Aviation au décès de son père. Sans compter la période de vaches maigres qui a suivi, quand l'Etat refusait de passer commande du Rafale, jusqu'au feu vert du Premier rninistre Jacques Chirac, en 1988.

Persévérance payante
Maintes fois, on a diagnostiqué le déclin de la maison Dassault, pronostiqué la perte de son indépendance ou raillé sa stratégie franco- française. Mais la persévérance des Dassault, leur influence personnelle, leurs réseaux au sein du pouvoir et de la hiérarchie militaire, ainsi qu'une bonne dose de chance leur ont permis de passer la vague à chaque tempête. Comme ce lundi d'avril 1997 où Serge Dassault, la mort dans l'âme, s'apprêtait à signer le projet de rapprochement de sa filiale aéronautique avec l'entreprise publique Aerospatiale, imposé par Jacques Chirac. Le destin en décida autrement. La veille, le président de la République avait annoncé la dissolution de l'Assemblée nationale. La fusion Dassault-Aerospatiale ne vit donc jamais le jour.
Douze ans plus tard, Dassault continue de faire de la résistance. Mais entre-temps, un président de la République a trouvé en lui un écho à ses propres convictions. «Dassault, qui a toujours été anti-européen, est très écouté maintenant, car l'Europe est en panne d'idées», estime Jean-Pierre Maulny, directeur adjoint de l'Institut de relations internationales et stratégiques (Iris). Déjà, à Bercy, Nicolas Sarkozy n'avait pas hésité à heurter les bons sentiments européens pour sauver Alstom ou éviter à Sanofi -Aventis une OPA helvétique. A l'Elysée, cet adepte de la politique industrielle continue de privilégier les solutions françaises lorsqu'il y en a. Mieux vaut Dassault qu'EADS. Ainsi n'a-t-il pas souhaité confier au groupe européen les clés de Thales lorsque Alcatel-Lucent a voulu vendre sa participation. Marqué par ses problèmes de gouvernance franco-allemande, EADS n'a même pas eu le droit de concourir. Au grand dam de son président exécutif, Louis Gallois, qui en a abandonné son mandat d'administrateur de Dassault Aviation ! Dassault a bel et bien été désigné à cette occasion «champion national», sans que les avantages et inconvénients de son caractère familial aient été évoqués. Maintenant, il va falloir assumer.
Ce mardi 6 octobre, une cérémonie se déroule dans un salon du secrétariat d'Etat à la Défense, rue de Bourgogne à Paris. Les dirigeants de Dassault Aviation et Thales signent avec le secrétaire d'Etat Hubert Falco des conventions destinées à faciliter l'envoi d'experts des deux entreprises sur des théâtres d'opérations tels que l'Afghanistan, notamment pour améliorer le soutien au Rafale. Une initiative qui traduit «la volonté de l'Etat de renforcer le lien avec Dassault Aviation sur le terrain», souligne dans son discours Jacques Pellas, le secrétaire général de l'avionneur. Directeur des affaires France de Thales, Didier Brugère évoque quant à lui «l'exemplarité» que doit s'imposer le «premier fournisseur de la défense française». «Vous avez devant vous le complexe militaro-industriel», plaisante un réserviste en uniforme. Il n'a pas tout à fait tort, même si ce complexe est bien plus modeste que celui qui s'active de l'autre côté de l'Atlantique.

L'heure de vérité
«Pour la première fois de la Ve République, nous avons un président qui fait avec son industrie ce que fait le président américain», se félicite-t-on au rond-point des Champs-Elysées. Envoyer plus d'industriels sur le terrain, pour tirer le meilleur parti des «retours d'expérience» et mieux exporter ? Les Américains pratiquent cette politique depuis longtemps. Un président VRP ? «Vendre des avions de combat est politique», martèle Charles Edelstenne. Comme son homologue américain, Nicolas Sarkozy dispose désormais d'une war room, cellule chargée de coordonner les ventes d'armes à l'étranger. Et ça marche, comme au Brésil, à charge pour Dassault de transformer la «préférence» de Lula en contrat sonnant et trébuchant. Une négociation sous pression, car l'élection présidentielle a lieu l'an prochain et le président Lula ne se représente pas.
Cette négociation peut-elle capoter ? «Nicolas Sarkozy et le président Lula ont bâti un partenariat fort, dans les sous-marins, les hélicoptères, les avions et le civil, et il y a une réciprocité» , argumente Eric Trappier, directeur général international de Dassault Aviation. L'heure de vérité ne va pas tarder. Après le Brésil, ce sera au tour des Emirats arabes unis (EAU) de se décider fin 2009 ou début 2010, puis à la Suisse, en février. Trois négociations-clés pour l'avenir de Dassault, et pour le pari industriel de Nicolas Sarkozy. D'ici là ? Motus et bouche cousue au rond-point



Tel père, tel fils

MARCEL DASSAULT - Avions
Diplômé de l'Ecole supérieure d'aéronautique, Marcel Bloch, devenu Dassault après la Seconde Guerre mondiale, était un pionnier, inventeur de l'hélice Eclair. De ses ateliers sortiront l'Ouragan, premier avion à réaction de série fabriqué en France, puis les Mystère et les Mirage.
- Presse
Marcel Dassault était propriétaire de Jours de France, hebdomadaire à gros tirage dont le siège était installé au rond- point des Champs-Elysées. Il y tenait sa rubrique «Le café du commerce». Ce magazine avait été racheté, puis fermé, par Robert Hersant.
- Politique
Député de l'Oise, Marcel Dassault a été le doyen de l'Assemblée nationale de 1978 à 1986. Il était proche de Jacques Chirac dont il avait soutenu la carrière depuis ses débuts en Corrèze. Son petit-fils, Olivier, est aussi député de l'Oise, mais la circonscription a depuis été redécoupée. SERGE DASSAULT - Avions
X-Supaéro, le fils de Marcel Dassault a mis des années à imposer le Rafale, conçu du vivant de son père, à l'armée de l'air et à la Marine. Il tente avec la même obstination de l'exporter. Il a développé avec succès les avions d'affaires Falcon, jusqu'à la crise financière qui a gelé le marché.
- Presse
Serge Dassault a racheté l'ancien empire Hersant, la Socpresse, en 2004, dont il a depuis revendu la plupart des titres, sauf celui qui le faisait rêver : Le Figaro. Mais il n'en a pas retiré autant de satisfaction qu'il en espérait, car il ne peut y exprimer ses points de vue.
- Politique
Serge Dassault est membre de l'UMP. Il a conquis en 1995 la mairie de Corbeil-Essonnes, tenue jusque-là par le PC, mais a été déclaré inéligible pour un an après des irrégularités constatées lors des dernières élections municipales. Sénateur de l'Essonne depuis 2004, il est et doyen du Sénat.

Anne-Marie Rocco

1 commentaires:

Unknown a dit…

c'est un copier coller de l'article de challenges ou je reve.