TOUT EST DIT

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vendredi 21 mars 2014

Made in France, E8 : « Pucé gros, pucé bête. »


Tranches de vie ordinaires en République Démocratique (et Populaire) Française, imaginées mais pas dénuées de réalité – Épisode 8 : « Pucé gros, pucé bête. »
Pour qu’une société fonctionne, il faut à la fois une police efficace, de proximité, et aussi mais surtout des citoyens vigilants et respectueux de toutes les myriades de petites lois qui s’accumulent par centaines pour garantir le vivre-ensemble républicain. Heureusement, parmi ces citoyens vigilants et respectueux, il y a Julie.
Julie, c’est une battante. Compte-tenu de son chômage qui s’éternise, de sa vie amoureuse qui merdoie mollement depuis que François a de façon presque officielle décidé de la larguer, elle a pris récemment une grande décision : partir vivre au Canada, pour trouver là-bas un système plus propice à son épanouissement.
Elle a tout préparé, planifié, au mieux. Ses maigres économies ont servi à acheter :
  1. un billet Air Canada vers Toronto
  2. un ticket de RER Cergy-Paris-Roissy Charles de Gaulle,
  3. un sandwich au thon
Il ne lui reste que de quoi tenir une semaine sur place où, paraît-il, trouver un emploi est beaucoup plus simple qu’en France pourvu qu’on accepte les petits boulots. Ça tombe bien : Julie est prête à s’adapter, et ce même si elle a un bac +5 en géographie. Elle n’emporte avec elle que le strict nécessaire, et son chat qui, contrairement à son ex, François, lui a toujours été fidèle.
Surprise en arrivant à la station de RER : son ticket ne lui servira pas. Comme l’air de Paris est tout plein de Particules Microscopiques qui tuent, les transports en commun sont gratuits et seules les voitures impaires circulent (les paires polluent trop). Julie ne peut s’empêcher de noter qu’avec la circulation routière alternée, les voitures se mettent au diapason du RER qui, lui aussi, est souvent alterné. Elle sourit : bientôt, tout ceci sera derrière elle.
Elle s’installe dans le wagon malodorant, sa valise et son chat en cage à côté d’elle. Comme elle est hors des heures de pointe, elle trouve un peu de place. Au bruit lancinant des bogies s’ajoute celui, nasillard, d’une musique particulièrement mauvaise de deux jeunes au regard bovin qui écoutent leurs grésillements d’une oreille distraite. Cela aussi, Julie se réjouit intérieurement de le laisser derrière elle.

Voilà sa station. Elle doit effectuer une correspondance et la voilà donc dans les couloirs aux nombreux escaliers, avec son sac, sa valise et son chat qui miaule, vaguement inquiet. Au troisième escalier à gravir, lassée, elle pose ses fardeaux. Un trentenaire fringant s’arrête et, spontanément, lui propose un coup de main. Julie ne connaît que trop bien les mœurs parisiennes et sait que, parfois, ce qui était un coup de main se termine par une course poursuite contre un voleur de valise. Elle refuse, poliment d’abord. Mais l’homme insiste une première fois, puis une seconde. Julie se trouve obligée de l’envoyer paître sèchement pour s’en débarrasser, puis reprend sa pénible ascension.
L’homme reprend donc sa route mais, après quelques pas, s’interroge : et si cette femme un peu rustre transportait, dans sa grosse valise louche, des objets interdits ? Et si son chat transportait une arme biologique ? Et si, plus simplement encore, elle était sans papiers ? La sécurité, c’est aussi des citoyens vigilants. Il prévient donc discrètement la police, qui, puisqu’on n’a pas vraiment besoin d’elle, n’est justement pas très loin.
Julie est interceptée sur le quai, juste avant d’entrer dans le RER qui allait l’emmener à l’aéroport. Heureusement, elle connaît bien la fiabilité des transports en Île-de-France et a donc prévu une solide marge, préférant attendre des heures à l’aéroport que tenter le diable qui a furieusement tendance à se jeter sur les rails ou à ronger les caténaires actuellement. Mais les choses se compliquent.
En effet, suite à l’intervention française dans différents pays d’Afrique stratégiquement douteux, et conséquemment à un sentiment de haine entretenu par une diplomatie française tantôt repentante, tantôt belliqueuse, tantôt gaffeuse, toujours mafieuse, le plan Vigipirate oscille à présent entre lie-de-vin et grenat. La police ne prend donc aucun risque et isole rapidement la voyageuse à laquelle il est promptement demandé de garder les mains en évidence et justifier de son identité.
Alors qu’elle commence à s’énerver de tant de moyens déployés contre elle, elle tente de sortir son portefeuille pour se retrouver immédiatement immobilisée par une clé de bras zélée récemment apprise par le fonctionnaire trop heureux d’appliquer sans risque les Gestes Techniques Professionnels d’Intervention En Milieu Hostile. Son chat panique, s’énerve, crache. Les fonctionnaires semblent un instant désemparés : personne n’a été formé pour manipuler les félins dangereux (et potentiellement toxiques).
Toutefois, le portefeuille tombé, un agent vérifie l’identité de Julie, ainsi que le motif évoqué de son déplacement ; le contenu de la valise est décrit, afin que la brigade de déminage – déjà en route – puisse en vérifier l’exactitude et l’exhaustivité.
I-Had-Fun-Once-It-Was-AwfulIl ne lui faudra qu’une quinzaine de minutes pour arriver et détailler avec minutie le contenu de la valise, dont les sous-vêtements de Julie, qui déclencheront les inévitables blagues de bon goût, tout en faisant perdre son temps à la pauvre voyageuse, qui – erreur – s’impatiente vocalement. Immédiatement, agents et démineurs s’accordent à dire qu’elle devrait plutôt se mêler de ce qui la regarde et éviter de faire déplacer des agents pour rien.
Julie est excédée, et commet l’irréparable : calmement mais fermement, elle exprime le caractère inacceptable d’un examen aussi minutieux des étiquettes de ses soutiens-gorge, qu’elle trouve déplacé, autant que la proposition par l’un des agents d’échanger leurs numéros. Piqué au vif, ce dernier rougit et décide que, puisque c’est comme ça, un examen vétérinaire approfondi du grondant greffier s’avère nécessaire, ma petite dame, non mais alors. Le sang de Julie ne fait pas même un tour en comprenant que ces nouvelles péripéties risquent de lui faire rater son vol. Elle émet un petit couinement en ce sens devant une maréchaussée aussi goguenarde qu’obtuse qui lui répond sobrement qu’« on ne plaisante pas avec la sécurité », assorti d’un « papiésiouplait » lancé dans la direction de la cage de l’animal qui continue à protester.
cat in a boxSes papiers sont en règle, mais ça ne suffit pas à convaincre les agents qui, manipulant l’habitacle en plastique dur du félin, partent à la recherche d’un tatouage, qu’ils n’ont pas trouvé dans l’oreille du félin puisqu’il est en réalité doté d’une puce électronique. Pas de tatouage ? C’est louche, ma petite dame. Le félin surenchérit en s’agitant au point de faire tomber plusieurs fois sa propre cage des mains du policier. Julie, consternée, assiste au spectacle et tente quelques explications embrouillées par l’émotion de voir son fidèle compagnon bousculé de la sorte. Explications qui ne suffiront pas à lui éviter un passage par le poste de police, le temps que la brigade trouve parmi les collègues l’heureux propriétaire d’un autre matou pucé, qui confirmera les bredouillements de Julie.
Elle est donc libre, mais encombrée de ses paquets et de son chat, et doit retourner aussi vite que possible à la station de RER… qui n’en finit pas de ne pas arriver : un incident technique provoque l’arrêt de tout trafic à destination de l’aéroport pendant plus d’une heure. L’encombrement du train suivant obligera Julie à redoubler d’imagination pour réaliser un tétris parfait avec ses bagages dans la masse compacte de voyageurs agglutinés dans la rame. Moyennant quelques pieds écrasés et la gêne provoquée par l’odeur d’urine de son chat qui, apeuré, se sera malencontreusement lâché en cours de route, elle arrivera à Roissy trois heures plus tard que prévu, au bord de la crise de nerfs.
Techniquement, l’horaire est sans appel : son avion est parti. Dans la réalité, une grève impromptue d’une certaine catégorie de bagagistes aura fort opportunément retardé son départ, et, moyennant un sprint phénoménal qui la fera arriver gluante et à bout de souffle dans la cabine d’un avion déjà plein, elle pourra finalement décoller vers sa destination, assurée, s’il le fallait encore, que partir était une bonne décision. Quant au matou, il considère désormais que pucé gros, pucé bête.
Vous vous reconnaissez dans cette histoire ? Vous pensez qu’elle ressemble à des douzaines de cas relatés dans certains livres et, parfois, dans la presse ? Vous lui trouvez une résonance particulière dans votre vie ? N’hésitez pas à en faire part dans les commentaires ci-dessous !

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