Quand les choses vont mal, on finit toujours par parler de dissolution.
On ne sait jamais d’où ça part : de parlementaires de l’opposition qui rêvent de devenir (ou redevenir) ministres plus tôt que prévu ; de journalistes qui se disent que ça ferait vendre du papier ; de membres de cabinets ministériels qui jouent à se faire peur ; de ministres pessimistes qui s’effraient ou de ministres ambitieux qui espèrent…
On ne sait pas d’où ça part, mais en tout cas, depuis deux semaines, tout le monde joue à se faire peur, ou à se faire plaisir, selon le point de vue, avec l’hypothèse d’une dissolution de l’Assemblée nationale.
Depuis 1958, elle a été utilisée 5 fois. Et 4 fois sur 5, elle a permis au Président d’obtenir ce qu’il voulait. Autrement dit, ce n’est pas une arme de précision, mais c’est assez puissant.
Mais pourquoi dissoudre ?

D’abord, pour donner à un Président fraîchement élu une majorité pour gouverner. C’est ce qui s’est passé en 1981 et en 1988 lorsque François Mitterrand a fait coïncider, quelques semaines après la présidentielle, la majorité présidentielle et la majorité parlementaire. Cet usage de la dissolution n’a plus guère de raison d’être, dès lors que les calendriers des élections présidentielles et législatives sont calés l’un sur l’autre. Seul le décès (ou la démission) d’un président, qui donnerait lieu à une élection présidentielle anticipée, pourrait justifier qu’on y revienne. On ne le souhaite pas à François Hollande. Pas moi en tout cas.
Dissoudre permet aussi de résoudre une crise institutionnelle. En 1962, le Général, désavoué par sa propre majorité sur la question de l’élection du Président au suffrage universel, démine la crise en prononçant la dissolution et en gagnant la législative qui suit. En 1968, le Général, toujours lui, bloqué cette fois par la rue, dissout pour que le peuple tranche la crise institutionnelle liée au blocage du pays.
Enfin, on peut dissoudre en espérant se relancer politiquement. C’est l’hypothèse surprenante et malheureuse de 1997, la dernière occurrence de la dissolution, décidée par Chirac, inspirée par Villepin et subie par Juppé. Pour ce qui est de la relance politique, c’est surtout Jospin et la gauche plurielle qui en ont profité. Un vieux chiraquien me faisait cependant remarquer, non sans raison, que le pari n’avait pourtant pas été loin de réussir, en dépit de la profonde impopularité du gouvernement de l’époque : moins de 600 000 voix séparèrent finalement la droite et la gauche, pour 66 sièges de différence, écart amplifié par les nombreuses triangulaires impliquant le FN qui, à l’époque, prenait l’essentiel de ses voix à la droite républicaine contestée par la vox populi. Pour la petite histoire, sur les 76 triangulaires gauche/droite/FN, la gauche en a remporté 47, dont 33 où le total droite + FN dépassait 55 %. L’extrapolation est hasardeuse, mais si la droite avait gagné l’ensemble de ces 33 circonscriptions, elle aurait obtenu 286 sièges et non pas 253 et la gauche… 286 également et non pas 319 ! L’absence de triangulaires n’aurait donc probablement pas suffi à éviter la défaite de la droite, mais le coup n’est pas passé si loin : en faisant basculer 1 % des votants, la droite gagnait.
Que retenir de ce rapide historique de la dissolution ? Que si ma tante en avait, ce serait mon oncle. Que si la droite en avait, elle aurait supprimé les triangulaires. Et enfin que rien, mais alors rien du tout, ne permet aujourd’hui de penser qu’une dissolution est envisageable.
La dissolution pour sortir de la crise institutionnelle exige que l’exécutif soit confronté à une crise. Or nous ne sommes pas en crise institutionnelle. Dans le désordre, dans l’amateurisme parfois, dans le cafouillage souvent, mais pas dans la crise. Même si le Sénat est une chambre d’opposition très efficace, le gouvernement gouverne. Le budget et les textes finissent par être votés, parfois dans la douleur, mais sans 49-3 et toujours plus facilement que sous le gouvernement Barre, par exemple. Il manque certes au gouvernement actuel la capacité d’imposer à sa majorité une décision difficile, mais c’est une faiblesse politique et non une crise de régime. Hollande ne peut plus sortir de son bureau sans se faire huer, mais la France n’est pas dans la rue puisque le moindre embryon de manif musclée entraîne aussitôt une reculade. Bref la faiblesse et l’impopularité de l’exécutif sont historiques, mais il n’en résulte à ce jour aucun blocage institutionnel.
La dissolution pour permettre de se relancer politiquement est encore plus inenvisageable. S’il venait à Hollande l’idée de dissoudre l’Assemblée, le PS affronterait probablement une bérézina analogue à celle de 1993. Comme le rappelle Juppé, incontestable expert de la question, « en 97 nous avons dissous parce que nous étions sûrs de gagner, sondages concordants à l’appui. Cette fois, Hollande serait sûr de perdre ». Effectivement, ce n’est pas tout à fait la même chose.
Mais alors, pourquoi évoquer une dissolution ?
On voit bien pourquoi l’UMP et le FN laissent dire : ils ont tous deux le vent en poupe, l’une par défaut, l’autre par désespoir, et ils savent qu’ils tireraient un fort profit d’une telle décision, l’UMP pour gouverner, ce qui est toujours attractif de prime abord, le FN pour gagner des parts de marché sans accéder aux responsabilités, ce qui l’est davantage encore.
Mais pourquoi l’Elysée commence-t-il lui aussi à bruisser de la rumeur ? Pour rétablir l’autorité, incroyablement malmenée depuis 18 mois, du Président et du Premier ministre. C’est la technique de Raoul Volfoni, modernisée par le tandem Hollande-Ayrault. De plus en plus contestés en interne, ils se redressent et assènent une tirade sur le thème : « Ils connaissent pas Raoul ! » C’est à peine plus crédible et nettement moins drôle, mais c’est bien de cela dont il s’agit. Faire fuiter tranquillement l’amorce d’une réflexion sur ce sujet, c’est siffler la fin de la récréation aux parlementaires socialistes ou écolos un peu dissipés. Un député qui a le choix entre une réélection presque impossible demain et une réélection difficile dans trois ans choisit généralement la deuxième solution. Dessiner le spectre de la dissolution, c’est rassembler les moutons en annonçant la tempête…
C’est gros mais ça marche ! Parce que tout le monde, et moi la première, adore jouer avec cette idée. C’est toujours amusant d’imaginer ce qui se passerait si.
C’est amusant d’imaginer la droite républicaine, qui n’a pas la queue d’une idée, revenir aux affaires. C’est amusant de l’imaginer devoir se choisir un chef alors qu’elle n’en a pas. Qui à Matignon ? Le chef du parti, Copé ? Au moins, il ne ferait pas d’ombre au Président en termes de popularité. Si Copé souhaite présenter – dans deux mois ! - un projet pour l’alternance, c’est peut-être aussi pouvoir dire que l’UMP, donc lui-même, est prête à gouverner. Une blague.
Un senior, alors, genre Juppé ? Ce serait drôle qu’il soit bénéficiaire d’une dissolution après en avoir été la principale victime. Et puis Juppé à Matignon, ça promet des lendemains riants.
Un centriste ? Borloo a parié sur la date de la prochaine dissolution avec plusieurs proches. Et moi je parie que ses paris vont lui coûter cher.
Quelqu’un d’autre ? Pourquoi pas Balladur ? Lui au moins garderait la maison sans ambition personnelle, il l’a déjà démontré. Vous le voyez dire à Sarkozy : « Ne vous en faites pas, Nicolas, je m’occupe de tout, et je vous laisse la place en 2017… Après tout nous sommes amis depuis… quoi ? 30 ans ? » Si ça se trouve, même Nicolas Sarkozy se méfierait…
Vous voyez, c’est amusant d’évoquer la dissolution, mais c’est inutile. Hollande ne dissoudra pas l’Assemblée nationale, en tout cas pas avant d’avoir épuisé toutes les autres solutions. Il refuse formellement toute législative partielle, ce n’est pas pour dissoudre l’ensemble ! Il n’a pas encore utilisé la cartouche du remaniement ministériel, qui a montré ses limites, mais qui laisse quelques semaines ou quelques mois de tranquillité. Il pourra toujours le moment venu changer de Premier ministre. Voire, soyons fous, changer de politique. Il pourrait même, en cas de cataclysme économique, ou de pays ingouvernable, tenter de constituer un gouvernement dit d’unité nationale, comme l’idée s’en était fait jour (à droite bien sûr) il y a quelques mois.
Il ne dissoudra pas. Sauf si. Sauf si la rue se réveille. Sauf si elle tonne et explose. Et l’extrême attention portée aux tensions sociales diverses par l’Elysée et l’Intérieur montre que ce risque est pris au sérieux. Pour des raisons différentes.
Valls perdrait beaucoup si la rue dictait la dissolution. Hollande perdrait beaucoup moins. Une dissolution à l’automne 2015, qui le placerait en arbitre, comme Mitterrand entre 1986 et 1988, en laissant la droite prendre les coups, n’aurait pas forcément que des inconvénients. Si la rue explosait, façon puzzle, Hollande, pas encore Tonton, mais déjà bien flingué, aurait le choix entre sacrifier ses amis et se sacrifier lui-même. Ce n’est guère rassurant pour ses amis…