TOUT EST DIT

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lundi 2 décembre 2013

Q' HOLLANDE EN PRENNE DE LA GRAINE : Henri IV : une politique de croissance

Labourage et pâturage sont les deux mamelles dont la France est alimentée, et les vraies mines et trésors du Pérou. » Il n’est pas un Français (du moins, tant que l’histoire du pays a été apprise selon les méthodes traditionnelles) qui ne connaisse par cœur cette maxime due au plus populaire de nos rois, Henri IV. Un roi qui, en vingt et un ans de règne utile, de 1589 à 1610 (après les guerres de religion), a refait d’un royaume l’un des pays les plus riches d’Europe. Quelques chiffres : au début de son règne, le déficit annuel s’élève à 18 millions de livres pour un budget total de 25 millions. En 1610, année de l’assassinat du roi, le trésor de l’Etat, mis en sûreté dans une chambre forte de la Bastille, s’élève à 5 millions de livres, sans compter 12 autres ­millions sup­plé­men­taires mis de côté par le surintendant Sully. Soit une réserve totale dépassant les deux tiers d’un budget an­nuel. De quoi faire rê­ver Pierre ­Mos­co­vici. Comme au­jourd’hui le ministre socialiste des Finances, le ­gouvernement d’alors a recouru à l’arme fiscale pour rétablir les comptes de l’Etat (lire ci-dessous L'imagination en action). Mais, et c’est le grand intérêt de l’expérience Henri IV-Sully, il ne s’y est pas limité et a mis en œuvre une authentique politique de croissance économique selon un principe qui n’a rien perdu de son actualité : la croissance nourrit les rentrées fiscales et enrichit l’Etat. Ou, comme l’exprime dans le langage du temps l’édit royal d’avril 1599 sur l’agriculture, « la force et richesse des rois et princes souverains consistent en l’opulence et nombre de leurs sujets ».

Sully a un livre de chevet : Economique, de l’élève de Socrate Xénophon, qui expose les règles d’une bonne ­gestion d’un domaine. Principe de base de Xénophon : « On n’enrichit point la République d’une autre manière que la maison d’un ami. » Principe de base de Sully : développer à tout prix la production agricole, mise à mal par ce que les climatologues appellent le « petit âge glacière », une succession d’hivers rigoureux et de printemps pluvieux qui dura des décennies.

" Un budget en excédent "

Pour y parvenir, toute une série de mesures sont prises. Les campagnes ont été dévastées ; elles ont besoin, comme disait le roi, de « reprendre haleine » : les paysans bénéficient de reprises successives d’impôts, et leur bétail comme leurs instruments aratoires sont déclarés insaisissables. Les nobles sont interdits de chasse à certaines périodes de l’année. Des terres sont rendues à l’agriculture, grâce à un programme d’assèchement des marais effectué par des ingénieurs hollandais attirés en France par le gouvernement. Des potagers d’essai sont plantés autour des châteaux de Saint-Germain-en-Laye et de Fontainebleau pour tester la culture d’espèces méridionales.
Afin de faciliter, notamment, le transport des céréales, un programme de réfection des « grands chemins » est lancé, avec, sur les bas-côtés, des plantations d’ormes destinés à la marine ! « Les ormes de Sully », comme on appelle encore, ici ou là, les survivants. En revanche, Sully ne parvient pas à réduire le nombre exagéré de fêtes de saints, qui paralysent le travail dans l’agriculture : l’Eglise se méfie de ce ministre resté huguenot. Passionné par l’agriculture, grand seigneur rural qu’il était, Sully se désintéresse en revanche des initiatives industrielles et coloniales d’Henri IV. Au moment de la fondation de Québec, il déclare : « Les choses qui demeurent séparées de notre corps par des terres ou des mers étrangères ne nous seront jamais qu’à charge. »

" Le pari des industries de luxe "

Des propos qui annoncent ceux de Voltaire sur « le Canada, ces arpents de neige qui ne valent rien ». Le roi est d’esprit plus moderne : il soutient Samuel de Champlain, à Québec ; il pousse l’aménagement de Paris avec, notamment, la création de la place Royale, actuelle place des Vosges, qui expérimente un mode de financement public-privé original : l’Etat dresse les plans, et à charge pour les nobles ou les riches bourgeois de construire leurs hôtels particuliers en respectant ces plans ; il finance la recherche de gisements de cuivre, de talc, d’étain, de plomb, d’argent et d’or (malheureusement trop pauvres pour être rentables) ; il développe les industries de luxe avec la création d’ateliers qui copient sans vergogne les verres et cristaux de Venise, les tapis de Perse, les cuirs de Cordoue ou les tapisseries flamandes.
Ici, comme pour les spécialistes hollandais d’assèchement des marais, le gouvernement attire les maîtres étrangers par de bons salaires et en leur promettant la naturalisation. En industrie comme en agriculture, Henri IV n’aura pas le temps de parachever son œuvre. Mais, lorsqu’il est frappé par Ravaillac le vendredi 14 mai 1610, le budget est excédentaire, les caisses de l’Etat sont pleines, les ateliers urbains ont du travail et les campagnes connaissent un degré de prospérité qu’elles ne retrouveront qu’au début du XIXe siècle, sous le ­Consulat.
Au début de son règne, Henri IV, un des pionniers de la communication politique, avait pris un « engagement », comme dira François Hollande : « Je ferai qu’il n’y aura pas de laboureur en mon royaume qui n’ait moyen d’avoir une poule dans son pot. » A sa mort, chaque manant ne mangera peut-être pas sa volaille dominicale, mais le roi aura tout fait pour améliorer le sort de ses sujets. Henri IV ou, selon une formule lapidaire d’un ami de Beaumarchais, « le seul roi dont les pauvres aient gardé la mémoire ».
SOURCES : ÉCONOMIES ROYALES DE SULLY. HENRI IV, JEAN-PIERRE BABELON. HENRI IV, JANINE GARRISSON. SULLY, BERNARD BARBICHE ET SÉGOLÈNE DE DAINVILLE-BARBICHE. HISTOIRE DE FRANCE, ERNEST LAVISSE.

L’imagination déjà en action

En 1594, les finances sont dans une déconfiture telle qu’une banqueroute, au moins ­partielle, s’impose : elle frappe surtout les rentiers nationaux, qui doivent faire une croix sur des années d’arriérés, alors que les étrangers sont bien ­traités. Image de la France oblige. Il faut aussi augmenter les impôts, mais, pour une fois, avec le souci de ne pas trop écraser les « manants ». Du moins pour les directs : la taille, impôt sur le revenu de l’Ancien Régime, est réduite pour eux, alors que 40.000 nobles, ou plus précisément nouveaux nobles, sont déclassés et donc assujettis à cet impôt. Mais les indirects flambent, notamment la gabelle.
En France, l’imagination fiscale n’est jamais en panne. Chaque gouvernement a sa découverte. Sous Henri IV, le nouvel impôt s’appelle la « paulette », du nom du financier Paulet, chargé de le percevoir. Les charges publiques étaient alors ­vendues par l’Etat, et leurs détenteurs pouvaient les revendre moyennant le versement d’une taxe et à ­condition de vivre encore quarante jours après cette vente. Le décès prématuré du détenteur est une catastrophe pour les familles, « car, explique l’historienne Janine Garrisson, le montant de la charge leur échappe et retombe dans le domaine public. On use de roueries, on dissimule le cadavre ou on le sale en l’installant près de la fenêtre, faisant ainsi montre de sa bonne santé. »
Pour supprimer ces dérapages et s’assurer des rentrées régulières, Sully crée donc la paulette, une taxe perpétuelle et annuelle égale au 60de la valeur de la charge, qui, en contrepartie, reste héréditaire dans le patrimoine de la famille. Mais les effets pervers de la paulette ne tarderont pas à se manifester : le monde des officiers publics (des cours souveraines, Parlements, chambres des comptes…) constituera un monde fermé et imbu de ses privilèges qui se perpétuera souvent de père en fils jusqu’à la Révolution.

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