Primo, la France de François Hollande ne tarit pas d’éloges et de salamalecs à l’égard des pétromonarchies.
Secundo, la France de François Hollande soutient les djihadistes à l’œuvre en Syrie.
Tertio, la France de François Hollande, par le truchement de son Ministre des Affaires étrangères, a fait tout ce qui était en son pouvoir pour éjecter l’Iran des négociations sur le nucléaire, faisant ainsi plaisir aux Etats sunnites d’obédience islamiste dont les intérêts coïncidaient avec ceux d’Israel.
Enfin, la France de François Hollande a moultes fois imploré les autorités égyptiennes de faire preuve d’indulgence à l’égard de Morsi, celui-ci ayant été renversé suite à un coup d’Etat fomenté par le général Al-Sissi ce qui semble peu légitime (enfin, côté Occident, c’est toujours la légitimité à la carte) au regard du droit international.
Ces arguments suffiraient normalement à justifier l’éventualité de l’installation d’un tel gouvernement à Paris, cela d’autant plus que la France avait hébergé l’ayatollah Khomeiny, futur leader de la révolution islamiste iranienne. Valéry Giscard d’Estaing s’était alors donné beaucoup de mal pour expliquer la présence de ce religieux sur le territoire français. Et si l’histoire se répétait ? Ceci étant dit, héberger n’est pas synonyme de laisser se former un « gouvernement parallèle ». Cette différenciation suscitant bien des réserves, je me suis adressée à Mme Madiha Doss, universitaire et intellectuelle égyptienne, qui m’a fait part de ce qui se passait actuellement en Egypte. La thèse selon laquelle les Frères Musulmans auraient l’intention de débarquer à Paris avec des revendications lourdes de conséquences lui semble plus qu’étrange. En tout cas – et dieu merci – cette information ne circulerait pas à travers Le Caire.
Ci-dessous, des extraits représentatifs de son témoignage qui pourrait indirectement élucider l’origine de l’article d’Egypt Independant.
La VdlR. « Selon des sondages récents, il semblerait que 12 % des Egyptiens se reconnaissent dans un parti islamiste et 2% dans un parti laïc, ce qui signifierait que les 86% restants sont tout bonnement déçus par tous les partis ou qu’ils se sentent proches de l’optique pro-militaire de vigueur. Selon vous, est-ce que ces chiffres correspondent à la réalité ?
Madiha Doss. Pour les 2%, ça me semble excessif. Pour ce qui est des 12% qui se prononcent en faveur des Frères Musulmans, je crois que ce chiffre correspond à la réalité, peut-être même y en aurait-il plus, car certains ont peur de se proclamer pro-Morsi. Mais pour le pourcentage restant et qui représente la majorité, il faut constater que ces gens demeurent sceptiques. Ils sont d’ailleurs traditionnellement sceptiques et d’une façon qui m’échappe assez, que je ne partage pas tout à fait. Les partis politiques en tant que tels sont récents en Egypte, ils ne sont pas constitués dans des conditions normales, ils ont été immédiatement propulsés dans un processus électoral complexe. Par conséquent, on ne peut pas vraiment les blâmer. Outre que la population soit majoritairement sceptique, elle a tendance à se poser beaucoup de questions sur l’honnêteté desdits partis, se disant que tout le monde veut s’en mettre plein les poches, que tous les chefs de partis sont des gens intéressés, ce qui n’est pas vrai. Enfin, j’en connais au moins deux de partis qui ne correspondent pas à ces clichés, même trois, Al-Dustour étant aussi un parti. Donc, à bien y réfléchir, les 2% relevés par le sondage me semblent excessifs.
La VdlR. Vous avez tout à l’heure parlé des contestations qui ont lieu au Caire et, plus généralement, un peu partout en Egypte. Quels sont les motifs de ce mécontentement ?
Madiha Doss. Il ne faut pas se méprendre, comme ont tendance à le faire les médias occidentaux, sur la nature de ces manifestations : il ne s’agit pas d’une tentative des Frères musulmans de reprendre le pouvoir ! Les services d’information égyptiens contribuent à former une telle image en essayant de convaincre les gens du fait que les manifestants sont soit des Frères musulmans soit des gens hors-partis manipulés par ces derniers. Ceci est faux. Ce qui se passe dans la rue depuis mardi dernier s’apparente à une protestation contre l’article de la Constitution qui permet à des cours militaires de juger des civils. Il s’agit d’un article qui malheureusement a été jusqu’à présent accepté par la Commission des 50 chargés de rédiger la Constitution. Le vote final n’a pas encore eu lieu mais il semble favorable aux militaires malgré la réaction fort négative qui a été celle de la jeunesse (…). Les gens sont donc descendus dans la rue mardi et je peux vous le dire pour l’avoir vu de mes propres yeux, ce n’était pas des Frères musulmans, ce n’était pas des barbus, c’était les mêmes personnes qui étaient dans la rue pendant les manifestations de janvier et de février en 2011, 2012, jusqu’au 30 juin. Evidemment, le nombre de protestataires était assez réduit, il y en avait grosso modo une centaine, peut-être 200 les premiers jours mais 200 au grand maximum. En revanche, les forces de l’ordre ont tout de suite sévi, ils ont maltraité les manifestants. Par la suite, des gens furent arrêtés. Les jeunes filles ont été libérées en plein milieu du désert, ce qui est extrêmement dangereux dans les conditions actuelles. En revanche, une vingtaine de jeunes gens n’ont pas été relâchés. Bien plus, ils ont été torturés. Tel est le témoignage de leurs avocats diffusé hier. Les manifestations se sont réitérées mercredi, pour s’étendre la veille aux universités. Etant universitaire, je les ai vues et je peux confirmer qu’elles sont pacifiques (…). La police a quant à elle fait preuve d’une violence injustifiée ce qui a entraîné la mort d’un étudiant abattu par balles. Il n’a même pas pu être transporté à l’hôpital parce que l’ambulance qui était venue le chercher a été arrêtée par la police. Le jeune homme a finalement succombé (…).
La VdlR. Revenant au Frères musulmans : avez-vous l’impression que la confrérie ne jouit plus tellement du soutien des pétromonarchies dont elle jouissait auparavant ? Est-ce qu’elle est vraiment décapitée, affaiblie au point de ne plus se manifester ?
Madiha Doss. Oui, je crois qu’elle a été décapitée, donc, affaiblie, c’est sûr. Les plus riches des Frères musulmans sont en prison, maintenant j’ignore s’ils disposent de leur fortune. Je ne sais si le Qatar les soutient toujours, au même titre que la Turquie, enfin, si c’est le cas, je ne vois pas comment … En tant que parti politique, il est certain qu’ils ont perdu. Ceci dit, si les choses continuent comme ça, dans le contexte de ce manque de sagesse de la coalition qui gouverne, je crains que cela n’aille dans un sens favorable aux Frères musulmans, chose que nous ne voulons absolument pas (…) ».

Commentaire de l’auteur : Ce témoignage de Mme Doss m’inspire une double conclusion :
- Les Frères musulmans, certes affaiblis, certes vulnérables et dispersés, espèrent encore prendre leur revanche en profitant du scepticisme de la population et des manifestations brutalement réprimées dans les rues, ce qui conduit à un certain désordre.
Le fait que The Egypt Independant ait parlé de l’éventuelle formation d’un gouvernement d’exil à Paris pourrait s’expliquer par le fait que la France soutienne (moins ouvertement ces derniers temps) Morsi. Fabius avait bel et bien demandé sa libération en août ce qui n’est pas le fruit du hasard si l’on tient compte des relations de l’Elysée avec le Qatar. L’article a pu donc avoir une visée dissuasive, car, quand on combat les islamistes à l’intérieur du pays, il importe aussi de les priver au maximum de leur soutien à l’extérieur. C’est la seule hypothèse qui me vient à l’esprit.