dimanche 10 novembre 2013
La France : une République ou un Flunch ?
Écotaxe, Leonarda... Nos lois et décisions de justice sont foulées aux pieds par la colère des uns et l'indignation des autres. Bienvenue au self-service !
Une manifestation de Bonnets rouges bretons et des tonnes de choux-fleurs déversées sur une nationale auront eu raison de l'écotaxe. On pense ce que l'on veut de cette taxe, mais elle a été votée (à l'unanimité) au Parlement. Quelques semaines plus tôt, les caprices d'une gamine de 15 ans, Leonarda, et une indignation médiatique bien orchestrée avaient suffi à convaincre le président de la République, François Hollande, de revenir sur une décision d'expulsion parfaitement légale.
Affirmant, à propos de cette affaire, qu'il y avait d'un côté les lois de la République et de l'autre les valeurs (de la gauche) qu'il fallait défendre, le président de l'Assemblée nationale, Claude Bartolone, a acté la naissance de la République Flunch. Comme dans les établissements de cette chaîne de restaurants, le libre-service est la règle dans notre nouveau régime institutionnel. Chacun y est libre de choisir ses droits en fonction de ses convictions personnelles et de ses goûts du moment. Les élus hostiles au mariage pour tous brandissent leur liberté de conscience pour ne pas célébrer de cérémonie entre deux homosexuels. Quant aux opposants aux OGM, ils invoquent la "désobéissance civile" pour saccager. À quand des policiers refusant de verbaliser, au nom du droit de l'animal, le propriétaire d'un chien s'abandonnant sur la chaussée ou des pervenches pro-automobile fermant les yeux devant tout véhicule mal garé ? Ne rêvons pas.
L'essayiste Marcel Gauchet a bien analysé cette dérive. "Les conditions du respect des règles de la vie commune ont été profondément altérées par une situation où les uns, au sommet, ont les moyens de contourner les règles, tandis que les autres continuent d'être obligés de s'y soumettre ou n'ont pas les mêmes moyens de s'y soustraire", déclarait-il au magazine Causeur, en avril 2013. Et d'ajouter : "Un dilemme travaille confusément l'esprit de tout un chacun : faites-vous partie des couillons qui continuent bêtement de respecter les règles ou êtes-vous du côté des malins, qui ont compris le nouveau système et qui savent que les règles ne sont là que pour être tournées ?"
L'ancien ministre du Budget Jérôme Cahuzac fournit l'emblème le plus caricatural de ce système. Le même homme qui, à Bercy, orchestrait la lutte contre la fraude fiscale avait trouvé le moyen de soustraire au fisc une partie de ses revenus... Au risque d'être taxé de populiste, le mauvais exemple vient encore de nos gouvernants. Prenant des libertés avec les lois républicaines, elles sont mal placées pour faire la leçon au simple citoyen, qui n'est pas un modèle de vertu. "L'exemplarité n'est pas une façon d'influencer, c'est la seule", disait Albert Schweitzer. L'exemplarité en la matière consisterait d'abord à cesser d'imaginer des lois gadgets, plus médiatiques qu'utiles.
Ainsi de ce stupide texte visant à pénaliser les clients de la prostitution. Comme l'explique la sociologue Nathalie Heinich dans une remarquable tribune au Monde daté 8 novembre, cette loi, si elle est votée, ne supprimera pas la prostitution, bien au contraire. Comme le rappelle le texte de la pétition lancée en 2012 par Élisabeth Badinter, "l'abolition" de la prostitution, contrairement à celle de l'esclavage, est une chimère. "La sexualité humaine varie selon les sociétés. Et, dans une même société, elle change selon les époques et les classes. Ce n'est pas une raison pour imaginer qu'elle va se plier, comme une cire molle, à l'utopie d'une sexualité parfaitement régulée." Plutôt que de s'occuper de nos braguettes, le gouvernement ferait mieux de traiter le vrai problème : l'esclavage des femmes par les réseaux mafieux. Mais gageons que cette loi de Bisounours, qui fait couler tant de bave nauséabonde (du côté des abolitionnistes comme des anti), sera vite oubliée. Comme l'écotaxe...
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