TOUT EST DIT

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dimanche 20 octobre 2013

Pourquoi François Hollande et son gouvernement sont aussi nuls en communication


Denis Pingaud décrypte les erreurs de com' du début du quinquennat de François Hollande qui expliquent, pour une part, son déficit record de popularité. Extrait de "L'Homme sans com" 


Comment expliquer (...) la surprenante difficulté de la gauche au pouvoir à organiser sa propre communication, depuis le 6 mai 2012 ? Comment comprendre les ratés multiples dans la narration des différents aspects de sa politique qui, en mariant la rigueur budgétaire et la justice sociale, constitue une tentative cohérente – bien sûr discutable – pour sortir le pays de la crise ? Comment analyser la succession de maladresses, d’approximations ou d’erreurs dans la pédagogie de l’action, qui ont ponctué la première phase du quinquennat de François Hollande ?
Il y a une première réponse qui tient à la culture politique de la gauche. Issue du mouvement ouvrier et progressiste du XXe siècle, celle- ci n’a jamais été très à l’aise avec le marketing des arguments. Elle lui a toujours préféré le discours de la méthode. La transformation sociale ne consiste pas à « vendre » un programme aux électeurs. Elle implique un mouvement concomitant de ceux d’en haut – en charge d’actionner les manettes de l’État – et de ceux d’en bas – sous forme d’une mobilisation sociale en faveur du changement. Dès lors, la communication est une concession inévitable à la démocratie d’opinion et à la puissance des médias. Elle ne saurait constituer une priorité de l’action gouvernementale.
Cette retenue est encore accentuée par la prédominance, depuis les années 1960, des algorithmes technocratiques dans le logiciel de la social- démocratie. Il y a bien longtemps que le personnel politique incarnant la gauche de gouvernement n’est plus directement issu des rangs des classes populaires. Et que sa vision du progrès social est tamisée par le respect des grandes mécaniques des politiques publiques, elles- mêmes soumises aux règles dominantes de l’économie de marché. L’exercice du pouvoir consiste pour elle à gérer un appareil de décisionnaires, nombreux dans les cabinets ministériels, dont la compréhension des enjeux de communication n’est pas toujours la principale qualité.
La gestion du dossier de Florange est une caricature de ce double empêchement idéologique et technocratique. Par- delà les convictions ou les positionnements des principaux acteurs, l’exécutif a tout simplement oublié l’essentiel : construire et scénariser les arguments d’une histoire symbolique de la transformation sociale du XXIe siècle. Faute d’une communication bien ordonnée, le nécessaire compromis avec le géant de l’acier Mittal, pour beaucoup, a pris l’allure d’une capitulation. « La petite ville de Moselle, concluent sans détour deux journalistes, théâtre de la réconciliation de la gauche et des ouvriers pendant la campagne présidentielle, est devenue le cimetière du “changement, c’est maintenant”. »
Une deuxième réponse tient sans doute au contexte de l’élection présidentielle de 2012. On oublie trop souvent que son résultat – le plus serré de la Ve République depuis 1981 – est avant tout le fruit d’un rejet : celui de Nicolas Sarkozy. « La victoire ne provoque presque aucun élan, souligne Jérôme Jaffré, pas même un état d’indulgence. Elle crée seulement les conditions d’une majorité absolue des socialistes aux législatives du mois de juin, devenues une élection de subordination. » C’est sous le double signe de la normalité et du changement que François Hollande a construit son succès, beaucoup plus que sous le drapeau du nouveau rêve français dont il avait esquissé les lignes durant sa campagne. Prendre le contre- pied du sarkozysme, dans une logique d’alternance bien française, a constitué le non- dit d’un programme construit sur des engagements limités.
Quelle meilleure façon de se différencier du quinquennat précédent que de récuser une méthode fondée sur l’imposition permanente de la scénarisation de l’action publique ? En jetant la communication avec l’eau du bain sarkozyste, le nouveau pouvoir a voulu manifester, dès son entrée en fonction, une différence d’approche. Au fil des mois, il s’est aperçu cependant qu’une décision raisonnable pouvait produire de fâcheux effets dans l’opinion, faute d’explication satisfaisante. Et que, plus généralement, une politique affichée comme déterminée pouvait laisser les Français sceptiques, sinon amers, faute d’un récit convaincant.
L’exécutif s’est efforcé de rectifier le tir. Les fameux « éléments de langage » – les EDL pour les initiés –, dont l’usage avait été moqué par les socialistes du temps de Nicolas Sarkozy, ont commencé de retrouver grâce. Ils sont surtout apparus utiles pour éviter la trop grande cacophonie d’une gauche habituée à la diversité des points de vue plutôt qu’à la discipline de l’argument. Quant au temps du quinquennat, il peine à trouver son rythme malgré les exercices de style sur l’horizon 2025, au cours de l’été 2013.
Extrait de "L'Homme sans com", Denis Pingaud, (Editions du Seuil), 2013. 

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