TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

lundi 15 juillet 2013

Mme Berger et l'idéologie de l'impôt

Mme Berger et l'idéologie de l'impôt


Les métamorphoses que peut connaître une personnalité au cours d'une vie sont souvent étonnantes. Karine Berger, par exemple, économiste de formation et députée socialiste des Hautes-Alpes depuis juin 2012. Difficile de deviner il y a quelques années que la jeune haut fonctionnaire qui, avec l'apparence de la neutralité, de la réserve et de la modestie, dirigeait le très sérieux Bureau synthèse conjoncturelle de l'Insee se transformerait un jour en une élue de choc, hypermédiatisée, au verbe haut et à l'ego plus élevé encore. Difficile d'imaginer alors que cette polytechnicienne et spécialiste de la statistique accorderait il y a trois semaines cette interview culte au journal La Provence, où elle a déclaré sans ambages : "Effectivement, je suis l'un des députés les plus visibles. J'ai le sentiment surtout d'être extraordinairement influente dans l'équilibre croissance-austérité. Ma voix a fortement porté et le président de la République l'a entendue. De même pour la loi bancaire. J'avoue que cette capacité à faire bouger les lignes dès la première année de mon élection a sans doute surpris... C'est aussi le fruit de ma motivation, de mon ambition et de mon énergie."
Le pis est que Mme Berger exagère à peine. Malheureusement, elle a bien eu, depuis un an, une influence non négligeable dans les choix économiques du gouvernement Ayrault. Notamment dans celui, peut-être fatal pour tout le reste du quinquennat, d'avoir préféré les hausses d'impôts (30 milliards d'euros) aux baisses de dépenses (10 milliards), pour tenter de réduire les déficits. Un arbitrage que Mme Berger, qui aime presque autant les prélèvements obligatoires qu'elle-même, c'est dire, qui croit à l'"impôt heureux", n'a pas manqué de justifier à de nombreuses reprises.
"L'effet récessif est plus fort à court terme quand on baisse les dépenses publiques que quand on augmente les impôts. C'est 
simple : réduire de 1 euro la dépense publique, c'est immédiatement retirer 1 euro de marché, de débouché aux entreprises. En revanche, selon l'impôt qu'on augmente de 1 euro, l'impact négatif peut être soit immédiat, soit beaucoup plus retardé. Par exemple, 1 euro de fiscalité sur des ménages à très hauts revenus est prélevé sur leur épargne et pas sur leur consommation, donc à court terme, cela n'a pas d'impact."

Même un Jérôme Cahuzac, pourtant réputé être peu réceptif à l'intelligence féminine, avait repris à son compte cet argumentaire. "À court terme, expliquait-il, monter les impôts est moins récessif que contracter les dépenses." Le problème est que ce que Mme Berger a présenté comme une évidence n'en était une que pour elle. La quasi-totalité des études économiques consacrées à ce sujet arrivent à la conclusion exactement opposée, notamment toutes celles conduites par l'économiste de Harvard, Alberto Alesina, qui a passé en revue 107 plans de rigueur menés entre 1970 et 2007 dans 21 pays de l'OCDE. Son verdict est sans appel. "Les faits démontrent clairement que, lorsqu'un gouvernement entreprend de réduire ses déficits en augmentant les impôts, il a toutes chances de le payer d'une longue et profonde récession ; mais que lorsqu'il s'y attaque en donnant la priorité aux réductions de dépenses, cela se traduit par des récessions d'ampleur relativement limitée et de durée plutôt courte." Réduire les dépenses coûte moins cher en termes de croissance qu'augmenter les impôts.
Pourquoi ? Parce que, explique Alesina, quand les États réduisent leurs dépenses, l'impact récessif est compensé par une hausse des investissements privés. Confiantes dans le fait que la pression fiscale ne va plus augmenter, les entreprises achètent des machines et ouvrent de nouvelles usines. En revanche, ajoute l'économiste, quand la réduction du déficit est recherchée à travers l'alourdissement de la fiscalité, il se passe le contraire : on assiste à une chute de l'accumulation du capital.
Cette loi générale vaut encore plus dans un pays comme la France, où le taux des prélèvements obligatoires et des dépenses publiques est l'un des plus élevés au monde et continue de progresser. Elle vaut encore plus dans un pays où le gouvernement lui-même reconnaît que le niveau d'imposition atteint les limites du supportable. Elle vaut encore plus dans une France où le niveau des dépenses publiques dépasse de 11,6 points de PIB celui observé en Allemagne. Où on peut donc couper dans le gras sans provoquer de drames économiques ou sociaux. Alesina le dit à sa façon : "Il y a de la marge pour faire d'importantes économies sans pour autant porter préjudice aux plus pauvres et aux plus vulnérables."
La prouesse du gouvernement de M. Ayrault, directement inspiré par les belles théories de Mme Berger, est d'avoir échoué sur les deux tableaux. Le déficit public dérapant, il est contraint aujourd'hui d'annoncer dans la panique des coupes claires dans les dépenses sans pour autant convaincre sur le fait que les impôts ne vont plus monter. C'est la double peine, avec un impact doublement récessif.
Pour terminer sur une note plus joyeuse, on citera un autre extrait de l'interview accordée àLa Provence par Mme Berger, la Jean-Claude Van Damme de l'économie : "Je suis une vraie intellectuelle, alors le plaisir de découvrir de nouvelles choses est enraciné en moi. En ce moment, je lis un livre en italien et, sur ma table de chevet, j'ai le mensuel Tangente , consacré aux mathématiques. J'aime pouvoir découvrir les facettes du génie humain(...). Cet été, je prendrai un peu de repos car j'en ai besoin. Il y a quelques jours, j'ai eu un malaise, dû au surmenage sans doute..." Un peu de repos, en effet, à l'évidence, n'est pas superflu.

0 commentaires: