Cette modification législative, qui fut largement contestée par une partie de l’échiquier politique, religieux et associatif, pourrait permettre de relancer la recherche sur les cellules souches en France, recherche jusqu’ici autorisée uniquement sous réserve de l’obtention d’une dérogation à l’interdiction qui était en vigueur.
Ce texte, qui vient modifier la loi 2011 de bioéthique, prévoit 4 conditions pour continuer d’encadrer la recherche sur l’embryon :
1. La poursuite de la nécessité d’une autorisation pour pouvoir débuter un protocole de recherche sur l’embryon. Cette autorisation sera délivrée si "la pertinence scientifique de la recherche est établie", si cette dernière s’inscrit "dans une finalité médicale", si elle ne peut être menée sans recourir aux cellules souches embryonnaires (CSE) et si le projet et ses conditions de mise en œuvre "respectent les principes éthiques" relatifs à une telle recherche
2. Cette recherche ne pourra s’effectuer "qu’à partir d’embryons conçus in vitro dans le cadre d’une assistance médicale à procréation" (embryons surnuméraires), avec le consentement écrit préalable du couple, consentement révocable sans motif et "confirmé à l’issue d’un délai de réflexion de 3 mois" ;
3. C’est l’Agence de la biomédecine qui autorisera les recherches et effectuera les contrôles(vérification des conditions énumérées ci-dessus notamment). Les ministres de la santé et de la recherche pourront demander un nouvel examen du dossier en cas de doute éthique, scientifique ou sanitaire sur une autorisation ou un refus de recherche ;
4. Les embryons sur lesquels une recherche a été conduite ne pourront être utilisés à des fins de gestation.
Il s’agit donc de passer d’une recherche "interdite avec dérogation", à une recherche "autorisée et encadrée", comme l’a résumé Dominique Orliac le 12 juillet.
Un vote historique mais contesté, en particulier sur sa dimension éthique
Alors qu’une telle recherche était interdite en France depuis 1994 (première loi bioéthique), les conditions énumérées ci-dessus rapprochent aujourd’hui la situation française de celle prévalant dans d’autres pays occidentaux depuis une dizaine d’années, dont les Etats-Unis ou le Japon.
Mais l’opposition parlementaire a regretté le manque de temps pour débattre, alors que de multiples débats ont déjà eu lieu sur cette recherche, y compris à l'Assemblée en 2002. L'opposition a également regretté que ce texte soit passé sans avis préalable du Comité consultatif national d’Ethique (CCNE), en particulier sur le statut de l’embryon.
Du côté de la Fondation Jérôme Lejeune, qui a déposé plusieurs recours pour empêcher la délivrance de dérogations sur cette recherche et milité activement contre, cette autorisation "érige en normes des atteintes à la vie humaine" et "livre la guerre contre la vie des plus fragiles d’entre nous".
Les cellules souches embryonnaires, un espoir thérapeutique majeur…
La recherche sur les cellules souches humaines, entamée depuis plusieurs décennies, a réellement progressé en 1998, grâce aux travaux de Thomson JA et coll. qui ont réalisé pour la première fois une lignée de CSE, rappelle l’Inserm.
Ces cellules peuvent se répliquer indéfiniment, se différencier "en plus de 200 tissus" et n’entraînent pas de phénomènes de rejet, ce qui en fait un espoir thérapeutique majeur pour les décennies à venir :
- remplacement de cellules mortes ou ne fonctionnant pas correctement (thérapie cellulaire).Des chercheurs essaient par exemple aujourd’hui de remplacer les cellules cardiaques nécrosées (infarctus) par des cellules "neuves", issues de CSE (exemple : Cochrane 2012). L’injection sous la rétine de CSE est également testée dans la DMLA (exemple : Lancet 2012) ;
- réparation d’organes endommagés, comme le pancréas diabétique, foie, rein, etc. ;
- élaboration puis greffe d’organes de remplacement ;
- test de nouveaux médicaments sur des tissus humains différenciés, obtenus à partir de CSE (aujourd’hui, ces tests sont effectués sur l’animal).
Contrairement à ce qu’affirment certains opposants, dont la Fondation Jérôme Lejeune selon Madame Orliac, cette recherche ne s’effectue pas sur des embryons à l’apparence déjà humaine (tête, yeux, bouche…), mais sur des embryons de 5 à 6 jours, qui ne comportent que quelques cellules, prélevées juste après la conception in vitro dans le cadre de la procréation médicalement assistée.
… mais un espoir qui demande confirmation clinique
Les recherches effectuées dans le monde entier ont déjà permis de comprendre comment ces cellules embryonnaires se différenciaient en tissus spécifiques.
De nouvelles études portant sur le traitement de pathologies humaines commencent, mais il faudra encore de nombreuses années avant de les utiliser en thérapeutique courante, si les recherches sont positives.
Médecine régénérative : une recherche qui n’est pas uniquement cantonnée aux CSE
La compréhension des propriétés des CSE a également permis la mise au point en 2006, par Shinya Yamanaka, des cellules pluripotentes induites (iPS), ce qui lui a valu le Prix Nobel de médecine en 2012. Ces cellules iPS sont élaborées à partir de cellules adultes (donc plus faciles d’accès et sans problème éthique) et sont, elles aussi, capables de se différencier en divers tissus humains.
Pour les opposants à la recherche française sur les CSE, il suffirait de travailler sur les cellules iPS, sur les cellules souches adultes (moelle osseuse, système nerveux, pulpe dentaire…) et périnatales (cellules du sang du cordon). Cela permettrait de préserver les embryons et donc serait plus acceptable sur le plan éthique.
Pour les partisans de la recherche sur les CSE, ces alternatives ne suffisent pas, notamment car nous ne connaissons pas le devenir au long cours des cellules iPS (risque de multiplication anarchique ? De régression à l’état antérieur ? De persistance d’une programmation génétique du donneur ?).
La thérapie cellulaire n’en n’est encore qu’à ses balbutiements mais est très prometteuse, ce qui explique que toutes ces voies de recherche - CSE, iPS, cellules adultes et périnatales - soient explorées simultanément actuellement.
En conclusion
Depuis la dépénalisation de l’avortement en France, l’embryon est sujet à polémiques : faut-il le considérer comme un humain déjà accompli, auquel cas avortement, procréation médicale assistée, conseil génétique ou recherche sur l’embryon sont impossibles ? Ou faut-il le considérer simplement comme un humain "potentiel", ce qui permet davantage d’initiatives ?
Les débats autour de l’article proposé par les radicaux de gauche ont fait ressortir ces oppositions et polémiques, mais au final, il a été voté par une large majorité le 16 juillet. La recherche sur les CSE est donc désormais autorisée en France, avec l’encadrement de l’Agence de la biomédecine (sous réserve d’un éventuel avis négatif du Conseil Constitutionnel, toujours possible).
Jean-Philippe Rivière
Sources et ressources complémentaires :
- "Recherche sur l'embryon et les cellules souches : l'Assemblée adopte la proposition de loi", Assembleenationale.fr, 16 juillet 2013. Dossier législatif.
- "PROPOSITION DE LOI tendant à modifier la loi n° 2011-814 du 7 juillet 2011 relative à la bioéthique en autorisant sous certaines conditions la recherche sur l’embryon et les cellules souches embryonnaires (Texte définitif)", assembleenationale.fr, 16 juillet 2013
- "Pourquoi il faut autoriser les recherches sur l'embryon", Dominique Orliac, Newsring.fr, 12 juillet 2013
- "Recherche sur l'embryon à l'Assemblée nationale : simulacre de démocratie", Fondation Jérôme Lejeune, 12 juillet 2013
- "Embryonic stem cell lines derived from human blastocysts", Thomson JA et coll., Science, décembre 1998
- "Les cellules souches embryonnaires (ES) humaines", Inserm
- "Traitement par cellules souches suite à un infarctus aigu du myocarde", Clifford DM et coll., Cochrane Database of Systematic Reviews 2012, Issue 2 (traduction par le Centre Cochrane Français)
- "Embryonic stem cell trials for macular degeneration: a preliminary report", Schwartz SD et coll., The Lancet, février 2012
- "Shinya Yamanaka - Facts", nobelprize.org, 2012
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