La crise renforce encore le débat historique qui voit s'opposer des politiques économiques justifiées par des motifs politiques. Si nos élites avaient un peu plus conscience des réalités économiques de notre monde, ils tiendraient certainement un discours différent.
La France est depuis toujours le théâtre d’un affrontement idéologique sur les questions économiques qui bien souvient confinent à penser que les élites politiques et administratives qui dirigent notre pays font preuve d’une profonde inculture économique. Comment expliquer ce phénomène ?
Quelles sont les conséquences concrètes de la méconnaissance profonde de ces élites pour les mécanismes microéconomiques, c'est à dire la réalité des entreprises ?
L'agrégation de tant de décisions économiques absurdes finit peu à peu de mettre le pays à genoux avec un taux de chômage et une pauvreté élevée.Depuis la campagne présidentielle, le débat autour de la taxe à 75% a donné une visibilité particulière à la question de la fiscalité. Qu’en est-il vraiment de la pertinence des différents discours ?
Jean-Marc Daniel : François Hollande a un rapport double à la fiscalité. Sur le plan personnel, sa position est assez trouble puisque dans sa conférence du 13 novembre ou dans la tribune d’Ayrault du 4 janvier dans Le Monde, est martelé un discours de fiscalité ne devant pas handicaper la croissance, devant porter sur les rentes, être incitative et inciter à travailler plutôt que de punir. Sur le plan idéologique de la taxation, on constate que l’affaire des 75%, qui n’a ni sens ni impact, est devenue pour François Hollande une véritable obsession politique qui lui permet de se créer un positionnement de véritable homme de gauche. Il s’en sert à la fois comme un outil technique et politique. Le véritable problème est qu’à chaque fois, il n’arrive pas à faire la différence entre les deux. C’est une sous-estimation de ce qu’est vraiment l’économie et qui n’est pas sans rappeler la rédaction du programme commun de la gauche dans les années 1970. Il était reproché aux gens qui le rédigeaient de se priver de l’outil économique puisque ne pas avoir une bonne culture économique permet en fait de déterminer au mieux les objectifs économiques. L’erreur du discours des élites françaises est de croire que l’outil économique lui-même est soumis à des aléas politiques.L’un des grands problèmes de l’économie française vient aussi du fait que la droite, comme la gauche, ont la nostalgie de l’époque ou on soldait des erreurs économiques par un couple dévaluation/inflation. Dans son inconscient, l’élite française espère pouvoir utiliser des outils qui sont complètement fermés : ces fameuses déflations et inflation. Ils accordent de plus leurs oreilles à des gens qui se disent économistes et qui soutiennent des solutions dépassées. Vouloir utiliser ces outils témoigne d’une déconnection, non seulement avec la restriction économique sur le plan académique, mais aussi d’avec la réalité du monde dans lequel on vit ainsi que d’une forme de paresse intellectuelle. Il est facile de se caller dans des poncifs en accusant à tort et à travers Bruxelles et la BCE en prônant la déflation. Cela permet de se dédouaner par confort intellectuel.Qu’en est-il de l’épargne qu’il est de bon ton de vouloir mettre à contribution pour relancer la croissance ?
Jean-Marc Daniel : Là encore, il y a une double lecture. La France est victime d’un mythe, malheureusement conforté par beaucoup d’économistes, qui consiste à dire que la croissance repose sur la consommation. Or, la consommation n’est pas le moteur mais l’objectif de la croissance et l’idée que la consommation est bonne et que l’épargne est maléfique est une idée aberrante sur le plan économique mais qui est assez populaire dans la vision économique des différentes élites françaises.D’autre part, il y a une idée qui consiste à penser que pour lutter contre le pouvoir d’achat, il faut taper dans les bas de laine, c’est-à-dire dans l’épargne pour la remettre dans le circuit. Il y a quand même un moment où il faudra faire des sacrifices de pouvoir d’achat plutôt que d’appliquer ce genre de mesures courtermistes. Une fois encore sur ce sujet, Hollande affronte ses paradoxes puisqu’il avait dit dans sa conférence qu’il voulait adopter le point de vue de Timbergen, premier prix Nobel d’économie, qui disait que les politiques ne doivent pas raisonner en termes de prochaine élection mais en termes de prochaine génération. Or, ce qu’il dit là, est plutôt très politicien. C’est peut-être cela qui fragilise le plus François Hollande, il pourrait avoir un discours au-dessus des partis mais il gouverne comme un candidat en disant qu’il faut tirer sur l’épargne et en ménageant sa gauche avec les 75%.La droite française est loin d’être exempte d’inculture sur la question de l’épargne puisqu’elle a également une vision courtermiste qui date de longtemps puisque déjà sous Chirac on créait des impôts au moment où il aurait fallu laisser les marges de manœuvres se reconstituer. Il n’y a pas une vraie réflexion autour de l’entreprise et de ce circuit de financement de l’économie puisqu’on considère les fonds de pensions comme l’abomination de la désolation. Les extrêmes, quant à eux, n’entrent même pas dans ces sujets tant leur discours est incohérent. En effet, d’une part ils prétendent défendre l’épargne populaire et d’autre part ils tiennent un discours de dévaluation/inflation. Mais personne ne le leur reproche puisque tout le monde s’en moque. Ils fantasment donc sur l’inflation en niant cette réalité qui est celle que c’est la classe moyenne et le petit épargnant qui en feraient les frais.Qu’en est-il de la question monétaire qui fait l’objet de critiques venant de tous les bords ?
Jean-Marc Daniel : Sur la question de la monnaie, la réponse est simple. C’est un problème si technique que nos élites politiques n’y comprennent pas grand-chose. Ce qui n’est d’ailleurs pas le cas de Hollande car lui sait pertinemment comment fonctionne cette politique monétaire. L’exemple le plus clair est celui du débat autour de la loi de 1973 sur la réforme de la Banque de France qui est complètement surréaliste animé par des pseudos économistes qui alimentent l’idée que nous avons perdu à cause de l’Europe la possibilité magique de créer et d’injecter de la monnaie à l’infini. Donc là encore, il y a une incompréhension fondamentale de ce qu’est la monnaie qui se drape dans un fantasme inflationniste. Demandez aujourd’hui à n’importe lequel de ces gens quelle est l’origine de la création monétaire aujourd’hui et vous verrez qu’aucun d’eux n’est véritablement capable de vous l’expliquer. Ils ne comprennent pas ce qui dans la création de monnaie provoque de l’inflation et ce qui n’en provoque pas. Ils pensent encore la monnaie comme s’il s’agissait de pièce d’or. Ainsi, le mécanisme monétaire n’est pas compris et tout ce qui tourne autour de la monnaie devient bouc-émissaire. Une accumulation de poncifs et d’approximations.Quant aux positions les plus extrêmes, on est dans l’aberration la plus totale sur la question de la monnaie puisqu’ils réclament le retour à l’inflation, ce qui n’est pas totalement incohérent puisque les américains le font mais ils n’admettent pas qu’ils vont appauvrir l’épargne et faire baisser le pouvoir d’achat. Mais le pire est qu’ils n’en ont probablement même pas conscience. Ce n’est même pas un mensonge mais une incompréhension.Quelle conclusion en tirer ?
Jean-Marc Daniel : La déconnexion entre le discours politique et les réalités économiques n’est donc pas uniquement la conséquence d’une incompréhension de certaines questions. Il y a surtout une erreur de méthode, de confusion profonde entre le technique et le politique, ainsi qu’une lâcheté profonde qui s’appuie sur une façon de considérer le peuple comme n’étant pas assez mature ou curieux pour comprendre l’économie.Charles Beigbeder : La société civile, en particulier ses élites entrepreneuriales, ne peut plus rester les bras croises face aux défis de notre pays. Il est plus que temps qu'elle s'engage en politique !Pour faire la pédagogie des solutions, de bon sens et bien connues pour la plupart. Et dont la plus efficace réside dans la diminution de la part publique dans l'activité nationale. Par transfert progressif du non régalien à ce secteur privé.
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