TOUT EST DIT

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dimanche 27 janvier 2013

L’histoire secrète du dollar

L’auteur d’HHhH a lu pour « Marianne » le livre de Malek Abbou : « Fondements métaphysiques du dollar ». Une plongée instructive dans l’imaginaire puritain du néolibéralisme.

Dans Pastiches et Postiches, Umberto Eco s’était amusé à faire l’explication de texte d’un billet de cent mille lires. Dans Fondements métaphysiques du dollar (Fage éditions), Malek Abbou se livre au même exercice avec le billet vert et son érudition n’a rien à envier à celle du vieux sage de Bologne. 
Ainsi apprend-on que le signe signifie «spanish pillar dollar» parce que le mot «dollar» est une déformation hispanisante du thaler, monnaie autrichienne que les Habsbourg ont exportée en Amérique latine via l’Espagne, la double barre représentant les colonnes d’Hercule censées encadrer le détroit de Gibraltar. On apprend aussi que l’air coincé de George Washington sur les one dollar bills provient d’un dentier rudimentaire ou que l’aigle qui orne le Grand Sceau présidentiel s’est imposé au détriment du Phénix mais que Benjamin Franklin aurait préféré une dinde ou un serpent à sonnette. 

Le projet de l’auteur, cependant, ne se limite pas à cette collection d’anecdotes savoureuses. A partir du sociologue Max Weber, qu’il reprend et dépasse en exposant magistralement le «double bind infernal» où nous place la doctrine mortifère de la prédestination, il lit dans les lignes du billet vert la trajectoire idéologique d’une nation partie de Calvin pour arriver aux agences de notations : la Main invisible du marché fait écho à la divine Providence, l’acceptation des inégalités engendrées par le capitalisme a été préparée par cette religion qui fait du Salut une loterie arbitraire et immorale, et de fait on est frappé par la connotation puritaine des discours de Friedrich Hayek ou Milton Friedman, les théoriciens du néolibéralisme, lorsqu’ils prônent «la nécessaire soumission aux forces impersonnelles du marché» en vue de construire «quelque chose de plus grand que ce que nous tous pouvons comprendre pleinement» (Hayek). 

Pour Abbou, l’histoire du dollar est donc «ce cauchemar qui menace de transformer l’ethos puritain en nature universelle» consacrant la «coupure franche entre les élus et la masse déchue» grâce à la devise mensongère inscrite sur les billets : E pluribus unum, «De plusieurs un seul», ou comment faire passer les intérêts d’une minorité dominante pour ceux de toute la société. 
  
« Fondements métaphysiques du dollar » de Malek Abbou, Fage éditions, 134 pages, 18 euros. 

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