TOUT EST DIT

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dimanche 27 janvier 2013

Réflexions et mise en perspective sur le mariage homosexuel


Le parlement doit examiner mardi 29 janvier le texte de la loi Taubira permettant aux homosexuels de se marier et d’adopter un enfant. Cette réforme est le fruit d’une longue histoire qui a commencé dans les années 1970. Qu’est-ce qui l’a rendue possible ? Pourquoi suscite-t-elle des craintes chez certains ? Récit et mise en perspective.

Délire de lesbienne a qui il faut dire NON, pas de PMA !
Ce n’est qu’un début. Nul ne peut prévoir aujourd’hui les conséquences du projet de loi ouvrant le mariage aux couples de personnes de même sexe qui sera discuté au parlement le 29 janvier prochain. Ce projet est une révolution anthropologique, un bouleversement juridique, et surtout une grande réforme laïque imposant l’égalité de tous devant la loi. 

Il signe « la reconnaissance de l’égale dignité des parents, qu’ils soient hétérosexuels ou homosexuels », selon Eric Garnier, qui a écrit le meilleur livre sur « L’homoparentalité en France » (1). Il a déjà fait couler beaucoup d’encre, au point de laisser croire qu’il se réduisait à un affrontement entre les partisans du mariage pour tous et ses opposants. On ne compte plus les articles parus dans la presse, les débats à la télévision ou sur les ondes, et le nombre d’auditions devant la commission des lois à l’Assemblée Nationale ; ce projet est une aubaine pour les amateurs de polémiques qui sont partie prenantes, mais il est décevant quant à la forme qu’il a pris. Il fait souvent fi des doutes et interrogations de ceux qui n’ont pas d’avis préétabli, et il efface parfois les points litigieux concernant la filiation et les problèmes de bioéthique qui en découle. Le débat sur le mariage pour tous se présente alors comme l’arbre qui cache la forêt. Il déchaîne les passions, mais pour les faire taire. 

Il accélère le pas, mais il brouille le sens de la marche. Les associations favorables ou pas au projet donnent le « la » et tentent d’imposer une hégémonie culturelle – la leur – qui reflète de manière imparfaite le besoin de comprendre de la majorité de la population. Il fallait réagir à cette rhétorique antifasciste ou religieuse, et c’est ce que nous avons tenté de faire. Il fallait étayer ce qui se dit aujourd’hui de la famille, de l’homosexualité, du mariage, de la filiation, et des nouvelles techniques de procréation qui s’émancipent dorénavant de la sexualité.
 

Ce n’est pas rien ! D’autant que lorsque « l’opinion publique a pris une pente, il est bien difficile de la lui faire remonter », disait déjà Balzac dans « Le contrat de mariage » (1835). Quelle pente ? Certainement pas celle que dénonçait l’auteur de la Comédie Humaine, la prison du mariage qui soumettait les femmes à la loi du mari ; le Code Civil qui a mis la femme en tutelle ; la tyrannie paternelle ; plutôt celle d’une réhabilitation du mariage dans un contexte inédit. On pourrait l’appeler la pente de l’inéluctable, si on considère à juste titre que le droit des homosexuels prend la suite du droit des femmes, et qu’il permet enfin aux homosexuels d’entrer dans le droit « par la grande porte du Code Civil » (Robert Badinter). 

Ce projet de loi se présenterait alors comme l’aboutissement d’une lutte qui aurait commencé sous la Révolution française. C’est la thèse de José Luis Zapatero : grâce au mariage pour tous, la République Française sera plus républicaine. Qu’il y ait des homosexuels qui ne veulent pas se marier ne change rien à l’affaire. Pas plus que de savoir qu’aujourd’hui en France 56% des enfants naissent hors mariage. Seul importe un droit légitime, dès lors que le droit au mariage – et le droit d’héritage – s’inscrit dans une longue marche, dont l’horizon ne peut être que l’égalité de tous devant la loi. Cette révolution inéluctable, que la France prend avec un train de retard, au regard de l’Espagne, par exemple, qui a enregistré 3380 mariages entre personnes du même sexe sur 163 085 mariages en 2011, ce qui est somme toute minime, repose cependant sur certains présupposés qui ne sont pas toujours explicites. 

Pourquoi parler de « mariage pour tous » ? Le mariage, par définition, ne peut pas être « pour tous ». L’accès au mariage est assorti de conditions – âge, consentement, notamment – et d’interdits, on ne peut épouser son père ou sa mère, il ne peut donc être accessible à qui veut. Etait-il nécessaire de légiférer pour tous à l’occasion d’une faculté de se marier et d’adopter pour quelques uns ? Fallait-il au nom de l’homoparentalité – qui nécessite évidemment un cadre juridique – faire la chasse au nom de père et de mère et tordre les mots de la loi existante afin de pouvoir écrire d’un enfant qu’il est « fils de » et non « né de » ? Ces questions ont évidemment surgi dans les nombreuses tribunes qui sont parus dans la presse. Mais elles sont vite apparues comme le révélateur d’une guerre de tranchées entre les partisans de l’ordre familial – la Manifestation pour tous du 13 janvier – et les bataillons des nouvelles familles. Il aurait fallu qu’elles soient moins massives et moins intimidantes pour éviter les amalgames. 

Car le débat sur le mariage pour tous est un débat à plusieurs étages, il faut d’abord monter au premier, celui de la famille, avant d’atteindre le palier du mariage, et celui de la filiation. 

Ce projet surgit dans une époque où le nombre de mariages ne cesse de baisser depuis le pic de l’an 2000, où 305 000 couples s’étaient alors mariés. On en compte 249 000 en 2010. Il est aussi la conséquence du lent déclin de la présomption de paternité – le fait de déduire du mariage (fait connu), le fait que le mari de la mère est le père de l’enfant (fait inconnu) – qui fut pendant des siècles le pilier de l’ordre familial. Et il aura fallu deux guerres mondiales et la montée en puissance du féminisme pour que le droit de la famille rattrape son retard sur les mœurs. Il aura fallu passer par ce que la sociologue Irène Théry aujourd’hui acquise à la cause du mariage pour tous a appelé dans un livre fondateur « Le démariage » (1993). La famille fut longtemps en effet un sujet de littérateurs, elle est depuis Durkheim, le fondateur de la sociologie, devenue un vivier pour toutes les sciences humaines. Elle mêle l’archaïque (la prohibition de l’inceste) et le moderne (le désir d’autonomie), et est en proie aux interprétations les plus diverses, laissant croire aux uns à sa désinstitutionalisation, aux autres à son regain de vitalité. Mais ce qu’on a commencé à appeler la crise de la famille est finalement assez récent. 

La sociologue Evelyne Sullerot a raconté également en 1997 dans un livre désormais classique le grand remue-ménage qui s’est produit après le familialisme consensuel des années 1945-1955. Il devait déboucher à ses yeux sur un démaillage systématique de la cellule familiale (2). Dans la maison du père assiégée les murs se fissuraient de partout. La reconnaissance de l’égalité des époux ne pouvait être différée plus longtemps et les lois régissant mariage, divorce, filiation, autorité parentale devaient être profondément modifiées de 1965 à 1975. C’est ainsi que dans la foulée en 1966 la loi portant réforme de l’adoption – la fameuse adoption plénière – par imitation forcée de la nature, permit aux enfants adoptés d’avoir les mêmes droits et les mêmes obligations que les enfants dits légitimes et permit également l’adoption par une seule personne. Un an plus tard, et en attenant la loi Veil sur l’IGV en 1975, les femmes eurent la possibilité d’avoir recours à la contraception, les naissances non désirées se firent plus rares, les enfants adoptables aussi. Ce fut néanmoins le véritable acte de naissance de la parenté sociale ; une brèche en tout cas dans la sacro sainte parenté biologique qui permit plus tard, lorsque se développèrent les études sur l’homoparentalité en France (3), de distinguer trois dimensions de la parenté et de leur donner un statut distinct : être né de (lien biologique), être enfant de (lien légal de filiation), être élevé par (lien social). 

Une deuxième brèche fut tout autant essentielle. Le cœur du mariage qui fut représenté pendant des siècles par la présomption de paternité, s’est déplacé au cours de ces années décisives du côté du lien que constitue le couple. « Ce qui importait auparavant n’était pas que la paternité repose sur la vérité biologique, mais qu’elle s’inscrive dans le mariage, seul lieu légitime de la procréation. La loi du 3 janvier 1972 a entamé cette idée en prônant l’idée que l’intérêt de l’enfant serait que sa filiation soit conforme à sa réalité biologique. Cette idée a été confortée ensuite car les progrès de la science ont permis de savoir par une expertise biologique qui est le père », écrit Anne-Marie Leroyer, professeur de droit à la Sorbonne (4). La présomption, ravalée au rang de simple règle de preuve, fut ainsi progressivement écartée, et donc plus facilement contestée, par le père, la mère, voire plus tard par l’enfant, ouvrant ainsi la voix aux actions en contestation de paternité. 

Comme le souligne Irène Théry qui défendit un temps l’union civile pour les couples de même sexe, « le mariage n’est pas une institution éternelle » ; et le déclin de la présomption de paternité en apporte la preuve. On dira, quel drôle d’institution, que celle qui repose sur une présomption ! Mais c’est que le mot mariage aujourd’hui n’a plus le même sens que celui qui fut le sien du XIII siècle, où émergea le droit canon, au terrible XX siècle ! Il était censé organiser la société, il n’organise plus qu’un rapport de couple. C’est pourquoi on se trompe de bataille en en faisant le nerf de la guerre sociale entre gardiens d’un ordre disparu et prophètes d’un monde nouveau. Le mariage civil  homosexuel ne rétablit pas une « aura » du mariage laquelle ne perdure plus que dans les lieux de culte, il fait partie intégrante de cette mutation, et ce en dépit de l’enjeu éminemment symbolique de la revendication du « mariage », et non d’une union spécifique pour les couples homosexuels, laquelle est cependant revendiquée par certains d’entre eux. Car ce « mariage pour tous » ne plaît pas à tous, pour un certain nombre de couples homosexuels il est perçu plutôt qu’un progrès comme une régression à un modèle religieux du passé qui ne concevait de filiation légitime que dans le mariage. Ainsi certaines femmes ayant eu ou adopté seules des enfants se voient-elles dans l’obligation d’épouser leur compagne pour ensuite divorcer officiellement – alors qu’elles en sont déjà séparées en bons termes – afin que ces dernières puissent bénéficier d’un droit de garde. 

Le mariage redevenant ainsi la voie royale permettant d’atteindre la félicité domestique. Ce paradoxe n’efface pas cependant l’essentiel. Puisqu’il ne repose plus sur une complémentarité hiérarchique des sexes, puisque la loi de 1972 a établi l’égalité des droits des enfants nés dans le mariage et hors mariage, la fiction du mariage, c’est était une, a perdu de sa consistance, hors les religions qui ont le devoir de la maintenir. Précisons toutefois que ce n’était pas pour des raisons de mœurs que la loi de 1972 fut votée, la part des enfants naturels étaient à  l’époque finalement très faibles, mais pour des raisons de légitimité. Mais en élargissant le cadre de cette légitimité – au père, à la mère, aux enfants mêmes – une brèche s’est ouverte dans le droit de filiation qui ne s’est jamais refermée. 

Ces années charnières – 1966 et 1972 – elles impriment encore de nos jours leurs marques. Et si Robert de Saint Loup, père de famille, homosexuel, militaire, qui perdit sa croix de guerre au bordel, déchiré entre sa sexualité et sa paternité, comme Colette, mais sur un mode mineur, entre la sienne et son amour pour sa mère, font figure de personnages d’un autre temps, il n’est pas sûr que le droit puisse répondre à toutes les questions que posent l’homoparentalité ou plus simplement les parents homosexuels. Et c’est heureux. Car si le droit avait réponse à tout, ce n’est pas simplement la fiction du mariage qu’il faudrait anéantir, mais la fiction propre aux rencontres. Il n’en demeure pas moins que le droit est ce qui porte à conséquence concernant le concept de filiation. 

Ce n’est donc pas un hasard si le débat s’est focalisé sur celle-ci. Le fait que l’acte procréatif ait été dissocié de la sexualité ouvre naturellement – si on peut dire – la porte à toutes les formes de fécondation. Pour l’heure, le gouvernement socialiste n’a pas fourni toutes les clés. Il s’en tient à l’adoption plénière pour les couples du même sexe. Mais cela n’empêche pas de faire un inventaire de l’état des lieux avant le débat parlementaire. Tout n’est pas limpide dans l’univers impitoyable de la filiation, même si on se rassure en insistant outre mesure sur la capacité narrative des parents à raconter la véritable histoire de leur enfant, né d’une PMA, ou d’une mère porteuse. Ils ne feront ni mieux, ni plus mal, avec les moyens du bord, en fonction de leur trajectoire de vie, comme tous les parents du monde, uniques en leur genre, et tout aussi aventureux. Sans doute. Cette quiétude a néanmoins des limites. La filiation n’est pas qu’un  roman familial, elle est un lien de droit qui unit un enfant au père ou/et à la mère que le droit désigne. Elle est un lien que le droit institue et non un fait que la nature désigne. Ce lien donne une place à l’enfant dans la parenté et une identité dans la société. Et comme le mariage, il a connu des ruptures récentes, qui nous obligent à le reconsidérer. Jusqu’où ? Ce sera l’enjeu de ce siècle. La filiation en effet a d’abord désigné à partir du XIII siècle le lien charnel du père avec le fils. Elle était une notion juridique fondée sur la mimétique avec la nature. Une acception qui a perduré jusqu’à nous. « La première rupture est le détachement progressif de la notion juridique de filiation de l’engendrement. Ce détachement est très net avec la loi du 11 juillet 1966, introduisant la possibilité pour une personne seule d’adopter » souligne Anne-Marie Leroyer. Il s’est poursuivi ensuite avec les lois portant réforme de la filiation : l’ordonnance du 4 juillet 2005 qui stipule que le père ou la mère que le droit désigne peut ne pas être le géniteur. 

« Ce détachement est aussi net avec le droit de la procréation médicalement assistée, encadré par les lois des 29 juillet 1994 et 6 août 2004, les père et mère étant ceux légalement désignés et non les tiers donneurs », souligne Anne-Marie Leroyer. Mais la seconde rupture, la plus importante, pour l’heure non consacrée par le droit français, et c’est l’enjeu du débat, réside dans le détachement du concept de filiation de l’idée de reproduction bisexuée. Le père et la mère s’effacent devant les parents. Et cela se traduit par un changement de vocabulaire dans les textes, comme on le vérifie dans les pays qui ont admis l’adoption conjointe par deux personnes du même sexe. Le terme parent introduit alors un vocabulaire de la filiation qui ne distingue plus les sexes. 

Et la notion de filiation se retrouve sans lien avec l’altérité sexuelle. Faut-il s’en plaindre ? La question est presque dépassée. Elle concerne pourtant tous les citoyens. Car si la filiation « est sans rapport avec l’engendrement ni avec la reproduction bisexuée, elle devient un concept juridique détaché de la nature des choses et qui n’a plus guère de raison d’en suivre ni le modèle, ni les limites », précise la professeure de droit qui sur ce point a horreur du vide. 

On en est là. Exit la nature, exit la généalogie, la filiation n’est plus qu’un concept nominaliste, un nom qui s’est affranchi de ses attaches générationnelles pour vivre sa vie de concept sans avoir de comptes à rendre à quiconque. La science a pris le dessus, et le droit s’incline ? Car dans cette perspective, pourquoi poser des conditions d’âge pour l’établissement de ce lien de filiation ? Pourquoi limiter le nombre de parents à deux ? Interdire un lien qui modifierait les structures généalogiques de la parenté ? Ces questions sont sous-jacentes au débat concernant l’assistance médicale à la procréation aux couples du même sexe. Elles ne sont pas sans rapport avec la prudence du gouvernement qui s’en tient pour l’heure à l’adoption plénière qui a le grand avantage de rompre in abrupto le lien avec la biologie. Mais elles étaient déjà en germe dès lors que furent dissociées la filiation et l’engendrement. 

Une chose est sûre, ces ruptures dont certains craignent qu’elles aillent trop loin sont trop récentes pour les appréhender à leur juste valeur. Nous manquons de recul pour en mesurer les effets. N’était la confiance dans l’humanité qui anime l’anthropologue Françoise Héritier, peu encline cependant à satisfaire la gestation pour autrui, il est trop tôt pour savoir ce que produira à l’échelle du monde ce grand chambardement juridique. Reste qu’aujourd’hui des enfants naissent encore sans passeport juridique à cause de leur origine procréative. Ils ne peuvent être tenus responsables de leur mode de conception. Le chantier éthique risque donc de se prolonger. Et le combat, continuer. 

Comme le clamait une manifestante lors de la manifestation pro mariage pour tous du 16 décembre 2012 : « mes parents sont hétéros, pourtant je suis névrosée ». Et comme l’affirme la psychanalyste Geneviève Delaisi de Parseval, « le brevet de bon parent n’existe pas ». Mais le droit, lui, s’il n’est pas une simple règle malléable à merci, a le pouvoir de limiter la casse. Il institue la vie ; il énonce une limite. C’est la seule chose que l’on puisse attendre d’un débat parlementaire qui accouchera d’un nouvel état civil : instituer l’enfant, l’aider à trouver sa place, pour qu’il puisse dire un jour : « mes parents sont homosexuels, pourtant je suis névrosé » ! 

(1) Editions Thierry Marchaisse, 19 euros. 
(2) Le grand remue-ménage, Fayard. 
(3) Homoparentalité une chance pour la famille ? de Stéphane Nadaud, 2002. Et : Qu’est-ce que l’homoparentalité de Martine Gross, Payot. 
(4) Droit de la famille, PUF, 15 euros. 

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