TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

samedi 29 décembre 2012

L’ombre crépusculaire s’allonge sur la presse écrite

L’ombre crépusculaire s’allonge sur la presse écrite


La presse écrite ne cesse de s’enfoncer dans un crépuscule qui, d’année en année, s’assombrit et approche de plus en plus de la nuit. Au début du mois, durant un bref séjour d’une dizaine de jours en Allemagne, j’apprenais la disparition au même moment de deux grands titres germaniques : le Financial Times Deutschland et le Frankfurter Rundschau. Cette semaine c’est un fleuron de la presse américaine, l’hebdomadaire progressiste américain Newsweek qui, à deux mois de son quatre-vingtième anniversaire et après une pénible agonie de plusieurs années, passe l’arme à gauche.
Sale temps pour la presse écrite ! L’éditorialiste du Monde nous rappelle : « En France La Tribune n’a plus qu’une édition imprimée par semaine et perd encore de l’argent, France Soir n’existe plus, L’Equipe et Le Figaro réduisent leurs effectifs. » Et si le flibustier Bernard Tapie s’est offert à crédit (ou presque) un groupe de presse – La Provence, Var Matin, Nice Matin, Corse Matin – c’est d’abord parce que celui-ci est perclus de dettes. On spécule beaucoup sur les intentions politiques de Bernard Tapie, qui aurait la mairie de Marseille dans sa ligne de mire (voir Présent de mercredi). Mais il y a fort à parier que, quelles que soient ses intentions, celui-ci, au final, accomplira avec ses journaux ce qu’il a toujours fait avec les entreprises que jadis il reprenait : après les avoir achetées à rabais (parfois pour un franc symbolique, ce que valent aujourd’hui la plupart des titres de la presse écrite), le repreneur fossoyeur les dépeçait, vendant à la découpe leur patrimoine immobilier. Le dépeceur Tapie qui, du temps de sa splendeur, et quand les journaux valaient encore quelque argent, se gardait bien d’en acquérir : « Je préfère acheter des journalistes qu’un journal, cela me revient moins cher », disait-il avec son cynisme habituel.
Aujourd’hui la tendance s’est inversée. Beaucoup de journaux ne sont même plus à vendre, mais à ramasser. Suffit de se baisser. Le septuagénaire Tapie, en enlevant ceux d’Hersant au nez et à la barbe du gouvernement socialiste qui ne voulait plus de lui, fait au moins la démonstration que ses articulations sont toujours aussi souples. Rien d’autre pour le moment.
“Le Monde”, en ce temps-là…
En Mai 68, un demi-siècle déjà, Le Monde exerçait encore son magistère intellectuel et chaque après-midi, dans les amphithéâtres en ébullition, les trublions arrêtaient leurs palabres et leurs gesticulations (ou reposaient leurs pavés) pour lire l’éditorial du « quotidien de la rue des Italiens », dont beaucoup de journalistes soutenaient le mouvement estudiantin en rébellion contre le pouvoir gaulliste. Les temps ont bien changé. Les étudiants, tout à leurs tablettes, ne lisent plus de journaux. Et même les hommes politiques préfèrent tweeter sur leurs portables.
Parmi les signes avant-coureurs de ce déclin de la chose écrite, j’en avais cité un, en 1986 ou 1987, qui m’avait particulièrement frappé. Je dînais à Poitiers chez des amis, qui avaient aussi, ce soir-là, parmi leurs invités, un couple d’enseignants, que la maîtresse de maison m’avait prudemment signalés comme étant « des militants de gauche ». La conversation s’engagea néanmoins fort aimablement entre eux et moi. Au cours de notre échange, je citais un article que j’avais lu quelques heures auparavant dans la bible du soir. A quoi je m’entendis répondre par la « militante de gauche », prof de français (agrégée je crois) : « Ah ! bon… Vous savez, nous ne lisons plus Le Monde. Nous avons résilié notre abonnement l’année dernière pour nous abonner à Canal+. »
La phrase m’est restée gravée en mémoire. Et au milieu des années quatre-vingt nous n’en étions encore qu’à la télé (avec un nombre de chaînes limité) et au magnétoscope. Internet balbutiait. Nous en sommes aujourd’hui à l’explosion des smartphones. « Une tablette suffit pour lire ses mails, surfer sur le net, aller sur les réseaux sociaux, jouer ou même travailler. » Alors vous pensez si, à l’heure du tout-électronique, la presse écrite est devenue obsolète. Tout à fait ringardisée. Hachée menue par les nouvelles technologies.
Le cercle des libraires disparus
Autres signes de cette agonie de la chose imprimée dans son ensemble. Au début de Présent le quartier où il est installé comptait trois librairies. Plus deux bouquinistes au Passage de Choiseul et au Passage des Panoramas. Plus les rayons librairies (très vastes) des Galeries La Fayette et du Printemps, dont nos locaux étaient proches. De toutes ces surfaces livresques, au milieu desquelles je me suis beaucoup promené, il ne reste aujourd’hui plus rien. La dernière librairie (Del Ducca) a fermé à la fin du mois dernier. Autant en emporte le mauvais vent cybernétique… Amis du papier imprimé, circulez, il n’y a plus rien à lire. Pour se procurer un bouquin, il faut maintenant se rendre à la FNAC, où les livres servent de produits d’appel…
Désertée par les lecteurs, la presse écrite l’est aussi, de plus en plus, par les annonceurs. Un naufrage auquel les patrons de journaux auront eux-mêmes contribué avec leurs supports gratuits, corroborant ainsi l’idée chez les consommateurs de nouvelles que l’information est désormais devenue gratuite. Une idée très répandue sur le Web, où, à travers une multiplicité de sites, circule en permanence un flot de commentaires de toutes sortes. De l’information jetée à la vanvole, mais qu’importe : Nous sommes à l’ère de l’industrie des médias. « Que le média soit fait d’information, de distraction, de services ou de toute autre activité susceptible d’attirer le public ne fait guère de différence pour le publicitaire. Le prospectus jeté dans une boîte aux lettres, le site internet de rencontre, la plate-forme des jeux vidéo ou le quotidien sérieux acheté en kiosque, tout cela est du média,l’intermédiaire entre le producteur et le consommateur. » Un univers où tout est confusion, sauf pour les tenant du tiroir-caisse.
“Présent” et ses héroïques lecteurs
Les fidèles de la presse écrite ont depuis quelques années l’impression réfrigérante d’entrer en frissonnant dans une sorte d’hiver électronique. Quelques nouvelles pourtant pourraient les réchauffer un peu.Un spécialiste de la presse nous explique, à propos des Etats-Unis, où, comme en France et en Europe, meurent les mastodontes de papier, que « l’heure est plutôt aux médias de niche ou à l’information politiquement située (…) Les médias qui marchent sont ceux d’opinion ». De son côté, le magazine XXL assure qu’il est possible « de refonder une presse post-internet (…). La presse peut être financée par ses lecteurs ». Il aurait pu ajouter : la preuve par Présent !
On mesure l’exception culturelle que représente celui-ci, né au moment où la presse écrite enclenchait sa descente aux enfers et qui survit aujourd’hui dans l’actuel « écosystème numérique des médias » où l’air pour la chose imprimée ne cesse de se raréfier. Nous survivons difficilement, à travers beaucoup de difficultés. Néanmoins nous continuons d’exister. Un quasi-miracle qui dure maintenant depuis trente ans. Et les nouvelles qui nous viennent d’Amérique, où « les médias qui marchent sont ceux d’opinion » nous apportent quelque réconfort. Et quelques lueurs d’espoir. Avec son profil politique « parfaitement situé » et bien affirmé Présent occupe une « niche » politico-religieuse où il n’a guère de concurrents. Dans son dénuement, notre quotidienpossède, mieux que d’autres, les derniers atouts qui restent à la presse écrite pour survivre dans le déluge où celle-ci se trouve entraînée. Et qui demain lui permettront peut-être d’être à la pointe de la refondation d’une presse « post-internet ».
Même si Présent, après tant de douloureuses restrictions, ressemble plus à un esquif qu’à un paquebot, il navigue néanmoins en haute mer. Et face aux multiples subversions du monde moderne et des périls de toutes sortes qui menacent notre civilisation, il n’a toujours pas baissé pavillon. Présent existe, et continuera d’exister, tant que ses lecteurs le soutiendront. Malmenés par les événements mais toujours debout, les rédacteurs du dernier quotidien national souhaitent unanimement une bonne et combative année à ses héroïques lecteurs.

0 commentaires: