TOUT EST DIT

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mercredi 10 octobre 2012

L'islam radical a-t-il un projet politique pour l’Occident ?

La police a procédé vendredi matin à un vaste coup de filet dans les milieux islamistes radicaux en France. Hier, Marine Le Pen, la présidente du Front national, a demandé aux musulmans de "combattre" l'islam politique. Le débat sur la stratégie politique de l'islam radical en Occident est lancé.

La police a procédé vendredi matin à un vaste coup de filet dans les milieux islamistes radicaux en France. Hier, Marine Le Pen, la présidente du Front national, a demandé aux musulmans de "combattre" l'islam politique. Existe-t-il un projet politique de l’islam radical en occident ?

Mathieu Guidère : Il n’existe pas un projet unifié qui concerne l’islamisme radical car il y a différentes tendances et courants au sein même de l’islamisme radical. On peut dire néanmoins qu’il existe des projets islamistes radicaux qui s’articulent de la façon suivante : un projet intracommunautaire, extra communautaire, national et enfin international.
Dominique Thomas : Le terme « radical » peut être interprété différemment selon le pays dans lequel on se trouve. Ce qui est considéré comme un mouvement radical en France, ne l’est pas forcément en Angleterre par exemple. Il peut y avoir des mouvements qui se réclament de l’idéologie des Frères musulmans qui en Grande-Bretagne sont parfaitement acceptés et qui en France posent problème. A part les institutions du type du Conseil Français du culte musulman et de l’Union des organisations islamiques de France, en France aucun parti politique, aucun mouvement à caractère religieux ne pourrait se créer sous prétexte de déroger à la règle de la laïcité. Nous sommes dans un contexte différent en France, où le projet politique de l’islam radical est de créer les conditions pour que la communauté musulmane puisse disposer de lieux de culte, vivre sa foi le plus librement possible et essayer de créer un espace strictement musulman, une bulle musulmane licite. Une sorte d’espace limité, réservé uniquement aux musulmans. C’est une approche communautaire, on ne peut pas vraiment parler de projet politique. Le projet n’est pas d’instaurer un Califat en France.
Ce projet rejette certaines valeurs de l’occident, de la France. La Laïcité est un concept surtout présent en France et qui est rejeté par ceux qui se revendiquent d’un islam fondamentaliste.
Haoues Seniguer : D’une part, il est à mon avis dangereux d’associer "islam" et "radical" côte-à-côte. Parce que, à tort ou à raison, on laisse germer l’idée, dans l’imaginaire collectif, qu’il y aurait un continuum entre l’appartenance à l’islam et le passage à l’acte violent. Bon gré mal gré, le croyant musulman, fût-il parfaitement respectable, devient alors, le cas échéant, suspect. S’il est contrefactuel de parler "d’islam radical", il est en revanche beaucoup plus opérant, au plan analytique, de dire qu’il existe effectivement des musulmans qui versent dans la violence au nom d’une religion dont ils se réclament : l’islam. Pour autant, il n’y pas d’islam démocratique, pas plus qu’il n’est d’islam totalitaire. L’islam est d’abord ce qu’en font des acteurs situés.
D’autre part, parler de projet, c’est accorder beaucoup trop d’importance aux tenants du radicalisme. Les islamistes (qui utilisent les ressources symboliques de l’islam dans l’espace politique et public) radicaux n’ont pas à proprement parler de projet politique, planifié, clair ou rationnel, quant à la construction prospective d’une contre-société ou d’un Califat en Occident. Cela relève, me semble-t-il, du fantasme. En revanche, les activistes musulmans violents se sentent souvent étrangers à une société (occidentale) qu’ils estiment trop permissive, dépravée et immorale. En ce sens, oui, les islamistes radicalisés peuvent avoir maille à partir avec la liberté de conscience, la liberté d’expression, qui sont les valeurs de l’extrême majorité des Occidentaux, musulmans comme non-musulmans.  

Idéologiquement, existe-t-il différents courants ? 

Mathieu Guidère : Le projet islamiste radical intracommunautaire est articulé autour de la notion de domination des autres courants de l’islamisme politique. Il existe une compétition entre les différents courants et notamment les trois plus importants, le courant des Frères Musulmans, le courant salafiste et le courant djihadiste. Cette compétition fait que le projet islamiste radical intracommunautaire est un projet d’hégémonie sur les autres courants. L’objectif étant d’unifier la communauté musulmane autour de sa doctrine avant d’envisager autre chose à l’extérieur.
Le projet islamiste radical extracommunautaire (toujours dans le cadre du territoire national) se positionne par rapport aux autres communautés qui se définissent à partir d’un référent religieux. Les islamistes radicaux vont regarder toute communauté qui se définit avec un référent religieux et ils tombent systématiquement sur la communauté juive. L’objectif sera d’attaquer, ou de dominer, cette autre communauté. Cela explique les manifestations d’antisémitisme et même les attaques contre la communauté juive.
Le projet islamiste radical au niveau national vise à se positionner au niveau national comme des représentants dans l’imaginaire collectif, et dans les faits, de la communauté musulmane. Le but est d’assimiler la communauté musulmane à la forme d’islam qui est représentée par ces islamistes radicaux.
Le projet islamiste radical au niveau international a une double orientation. La première est la défense des musulmans partout dans le monde. Les islamistes radicaux parlent de la défense de la Oumma partout où elle se trouve, notamment par le biais du Djihad. La tendance djihadiste va revendiquer la défense des musulmans et de l’islam par la lutte armée. Mais il existe une autre tendance dont le projet à l’international est de diffuser au maximum l’islam. C’est une visée offensive de la propagation de l’islam. Il faut mettre au centre des débats les problématiques islamistes et la vision islamiste radicale du monde.
Dominique Thomas : En France, des organisations institutionnelles comme le Conseil français du culte musulman représentent les musulmans de France qui ont des affinités par pays d’origines plutôt que par idéologie. Sauf l’UOIF, souvent présentée comme une organisation proche des Frères musulmans, mais cela ne signifie pas grand-chose. Mais dans le contexte français, ce n’est pas significatif. Il est vrai que cette organisation aura tendance à défendre et à s’approprier certaines revendications, notamment celles qui concernent le voile, le halal, la finance islamique, et qui peuvent être en confrontation avec la société occidentale française. C’est pour cette raison que l’on estime que l’UOIF est proche des Frères musulmans, mais il n’est pas question de créer un parti politique d’obédience des Frères musulmans. C’est impossible en France. L’UOIF est le courant majoritaire de l’islam politique, à côté de cela il existe des mouvances dans un projet de réislamisation, notamment de la mouvance du tabligh et la mouvance salafiste qui sont dans un projet de réislamisation, de réappropriation des fondements de l’islam, un peu missionnaire. Mais le courant djihadiste n’est pas présent en France, hormis dans la clandestinité. Il peut y avoir en France des personnes appartement à ce courant mais elles ne peuvent se revendiquer ouvertement djihadiste. Ni dans l’espace public, ni dans les mosquées, ce courant est totalement clandestin. En revanche, les salafistes peuvent s’exprimer car jusqu’à preuve du contraire exprimer sa foi à travers le salafisme n’est pas interdit par la loi française.
En France, on peut parler d’une approche sociocommunautaire, mais pas d’une approche politique. L’approche politique est forcément rejetée du fait de la législation en France et de la constitution qui interdit les partis à mouvance religieuse. En Angleterre il existe un parti musulman britannique (Islamic Party of Britain). Certes pas très important, mais ils ont le droit d’exister.
Haoues Seniguer Si vous parlez des islamistes, en effet, il en existe une multiplicité : cela va des acteurs d’AQMI à ceux de l’AKP turc, ou encore des islamistes tunisiens d’Ennahda ou du Parti de la Justice et du Développement marocain qui respectent pour leur part les règles du pluralisme politique dans leurs pays. 

Quels sont les moyens de mettre en œuvre ces projets politiques ? Un jihad est-il le seul moyen d’y parvenir ? Ou n’y a-t-il pas une guerre idéologique plus subtile menée par certains intellectuels ?

Mathieu Guidère : Comme je l’ai démontré, cela fonctionne par cercles concentriques : intracommunautaire, extra communautaire, national et enfin international. A l’intérieur de chacun de ces cercles, vous pouvez avoir des proximités idéologiques et politiques, des intérêts communs, entre différentes personnes qui concourent au même objectif mais qui n’ont pas les mêmes méthodes. Par exemple, défendre les musulmans dans le cadre national fait aussi partie, mais avec des méthodes complètement différentes,  du projet des Frères Musulmans dont se revendique un certain nombre d’intellectuels comme Tarik Ramadam.
La guerre idéologique a toujours existé, notamment entre le capitalisme et le communisme, c’est de « bonne guerre ». Le danger réside dans la violence et la violence nait de l’ambigüité générée par un discours qui ne clarifie ni un postulat ni un objectif.
Dominique Thomas : La mise en œuvre du projet politique de l’islam radical se fait essentiellement par la conviction, la prédication, en essayant de faire un travail de sensibilisation auprès des musulmans pour leur expliquer qu’ils constituent une force social et une communauté à part entière qui a le droit de revendiquer des espaces. Il y a un équilibre à trouver par rapport à la législation française qui est très restrictive dans ce domaine. Ce sont essentiellement des réseaux de prédicateurs, des responsable, des congrès, il y a également un travail associatif important. L’associatif est un biais qui permet de contourner la laïcité.
Encore une fois les djihadistes en France, et je pense qu’il n’y en a pas énormément, y compris chez les personnes radicalisées de manière très rapide. Je pense qu’ils n’ont pas de projet politique. Ils considèrent que la France est l’ennemie de l’islam en raison de sa politique restrictive sur la laïcité, sa politique anti-foulard et pour les polémiques récurrentes de la place des musulmans dans la société française. Et que la réponse appropriée est la violence mais c’est dans une optique défensive.
Haoues Seniguer Pour ce qui de l’islamisme légaliste, dans les pays majoritairement musulmans, il s’agit d’arriver au pouvoir par les urnes, et une fois le pouvoir acquis, entre autres choses, de ramener les musulmans à une pratique de l’islam plus scrupuleuse. Pour ce qui est des militants de l’action armée, il s’agit de proclamer le jihad pour justifier un rejet absolu de ce qu’ils voient comme les indices d’un hégémonisme occidental en terre d’islam : présence militaire en Irak ou en Afghanistan, etc. Il arrive aussi aux djihadistes de s’en prendre aux gouvernements arabes qu’ils estiment inféodés aux intérêts occidentaux. Ce qui est certain, et ce qui saute aux yeux, c’est la grande pauvreté théologique (et intellectuelle) des éléments de doctrine mobilisés par les candidats au jihad. 

La société française renie-t-elle l’aspect politique de l’islam, favorisant ainsi l’émergence d’un potentiel projet politique ?

Mathieu Guidère : Le cœur du problème est aujourd’hui la banalisation des thématiques islamistes générée par l’ambigüité dont je parle dans ma précédente réponse. En effet, cette ambigüité a provoqué la banalisation des thèses islamistes dans le champ politique et social. Jusqu’en 2011, les choses étaient assez claires. Il y avait d’un côté les séculiers qui militaient pour la séparation du la religion et de la politique et de l’autres les radicaux.
Mais le Printemps arabe a provoqué une ouverture totale du champ politique et donc des thématiques et discussions. Cette libération a conduit à la banalisation de thématiques qui étaient à la marge. Des choses tout à fait inimaginables auparavant sont devenues tout à fait banales. L’exemple type de ce renversement est la burqa. Du jour au lendemain, avec la chute de Ben Ali, Moubarak et Kadhafi, la burqa devient autorisée et même revendiquée. Etant toujours interdite dans l’hexagone, la France change alors subitement de statut  et devient liberticide. C’est le problème aujourd’hui. Il existe des citoyens français musulmans qui ne comprennent pas comment la France, pays de la liberté, interdit ce qu’ils peuvent faire de l’autre côté de la méditerranée. Ce bouleversement politique a entrainé une ambigüité de discours et une impression de double langage.
Dominique Thomas : L’aspect structurant de la laïcité dans la politique française ne permet pas d’intégrer le fait que les communautés en France puissent avoir un projet un politique. Il y a un dialogue de sourd. Mais encore une fois, l’objectif des musulmans dans un positionnement d’Islam politique n’est pas d’entrer dans la sphère politique mais plutôt de reformater une sphère communautaire aujourd’hui en construction et considérée comme étant trop limitée par les restrictions juridiques. Le projet politique n’est pas le même en France que dans les pays à majorité musulmane. 
Haoues Seniguer Toute religion a forcément un volet politique et social, parce qu’elle est en prise avec et sur le monde. Le religieux ou le croyant, musulman ou non, porte forcément un regard sur l’état de la société ou des politiques publiques qui sont menées, dans la mesure où il est tout à la fois citoyen (quand il l’est effectivement) et croyant. À ce titre, de la même manière qu’il est des chrétiens démocrates, il est aussi, sur l’échiquier politique, musulman ou non, des musulmans démocrates. Seule la sémantique change.

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