TOUT EST DIT

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jeudi 5 juillet 2012

"Sincérité de gestion" mais pas de langage... Jean-Marc Ayrault et l'euphémisation de la rigueur

Le Premier ministre a terminé mercredi sur TF1 une longue séquence budgétaire entamée par la publication du rapport de la Cour des comptes sur les finances publiques. Même s'il le nie, l'austérité est bien là et risque de toucher aussi les classes moyennes et les ouvriers.

Après le rapport de la Cour des comptes, la déclaration de politique générale et la présentation du projet de budget rectifié, Jean-Marc Ayrault a terminé une longue séquence consacré au budget en étant interviewé mercredi sur le plateau du 20h de TF1. Sur le fond, puis sur la forme, l'avez-vous trouvé convaincant ?

Christian Delporte : Je remarquerai d’abord que cette séquence a été portée par Jean-Marc Ayrault, seul ou presque, jusqu’à cette interview sur TF1. Bien sûr, un
Premier ministre est toujours mis en avant au moment du discours de politique générale. Mais là, il était seul sur le devant de la scène pour annoncer les premières mesures gouvernementales et encore en vedette mercredi soir à la télévision. Le message recherché était celui du « retour à la norme » du fonctionnement de la Ve République : au Premier ministre, chef de la majorité, les questions intérieures et quotidiennes ; au Président, l’international, la crise de l’euro, les grands « domaines réservés ». Et, pour marquer symboliquement cette répartition des tâches, Hollande, chef des armées, a choisi hier de faire une visite surprise au sous-marin nucléaire « Le Terrible », tandis qu’Ayrault était à Paris sur le dossier de la crise économique française. Un contraste d’image moins dû au hasard qu’à une communication bien réfléchie.

Aux Français de dire s’il a été convaincant. En tout cas, il s’est efforcé de rassurer les « classes populaires » et les « classes moyennes » (« les efforts sont justes »), mais aussi de montrer qu’il tenait fermement le gouvernail de la politique française. C’était une opération « pédagogie », justifiant ses choix (mot plusieurs fois utilisé) : gouverner, c’est choisir ! Pas d’annonce particulière, mais la volonté d’affirmer une proximité avec la vie quotidienne des Français, comme l’indiquent ses propos sur le prix du gaz qui ne doit pas dépasser la hausse générale des prix.

Comment interpréter le fait que le Premier ministre n'utilise pas le mot "rigueur" ? Il est même allé plus loin en se déclarant "fondamentalement hostile à l'austérité".

« Sérieux », « sincérité de gestion », « regarder les choses en face », dit Jean-Marc Ayrault… Cela sent évidemment les éléments de langage. On fait de la rigueur, mais il ne faut surtout pas le dire. Le refus du mot est aussi vieux que la sortie de France de l’ère des Trente glorieuses. Sous Giscard, Raymond Barre proposait des plans de « lutte contre l’inflation » ou de « lutte pour l’emploi », mais il ne fallait pas parler de rigueur. En 1983, Mitterrand (qui dénonçait l’« austérité » conduite par son prédécesseur), avait tenté de masquer le fameux « tournant de la rigueur » par la savoureuse formule de « nouvelle étape du changement ». En 2008, pour éviter les mots « crise » et « récession », les ministres et amis du pouvoir avaient rivalisé d’imagination : « croissance molle », « passage récessif » et même « croissance négative » !
En fait, le terme de « rigueur » finit par s’imposer malgré tout, à commencer dans les médias. Mais il est perçu par les politiques comme anxiogène et source d’impopularité. Alors, ils s’évertuent à euphémiser la réalité en employant des mots qui apaisent, qui donnent de l’espoir (« je suis sûr qu’on va s'en sortir », disait Ayrault, mercredi soir) et qui habillent un réel inquiétant et difficile à supporter. Le mot rigueur a un autre défaut : il semble s’appliquer à tout le monde, alors que tous les gouvernements affirment (à tort ou à raison) vouloir épargner les plus faibles.

Sur le fond, ne risque-t-il pas de se mettre à dos un certain électorat de gauche avec ces 7,2 milliards de hausse d’impôts ?

On n’en connaît pas encore précisément la répartition ; il faudra voir aussi ce qu’implique la réforme fiscale, car il y aura nécessairement des gagnants et des perdants. Une grande partie de l’électorat de gauche se définit comme appartenant aux « classes moyennes » que le Premier ministre dit vouloir épargner. Mais leur définition est à la fois large et floue. Certaines catégories de cadres ou de professions intellectuelles qui se considèrent comme faisant partie des « classes moyennes » ne seront-elles pas touchées par les hausses d’impôts ? Cette conception très ample des « classes moyennes » est un piège pour le gouvernement.

Mais, pour l’heure, deux catégories sont en jeu. La première est celle d’une frange d’ouvriers qui, bénéficiant jusqu’ici des heures supplémentaires défiscalisées, risquent de se retrouver privés d’une partie de leurs revenus. La seconde est celle des fonctionnaires. Là, la question fiscale n’est pas seule en cause : le blocage des traitements, la contraction des avancements, le non-remplacement des départs à la retraite dans les ministères non prioritaires risquent de produire beaucoup de mécontentement. Le gouvernement Ayrault pourra toujours dire que Sarkozy réélu aurait fait pire, beaucoup de fonctionnaires à petit revenu auront du mal à encaisser le coup.

Une politique de rigueur n’est jamais populaire, qu’elle soit de droite ou de gauche, et le thème de l’ « héritage » n’aura qu’un temps (six mois tout au plus). Or, d’ici fin 2012 au moins, les perspectives restent sombres (chômage, croissance…). Le pire pour un gouvernement n’est pas de proposer un plan de rigueur, mais de devoir en annoncer un deuxième, puis un troisième… Le « sérieux » se transforme alors en impuissance, et l’opinion fait payer les promesses de meilleurs lendemains après l’effort au prix
maximal de la défaite. On perd alors les élections parce qu’on a été abandonné par son électorat. La gauche l’a appris à ses dépens. On verra bientôt si elle en a tiré les leçons.

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