Il est parfois bon de se reposer de l’Orient à Paris et d’y admirer
le visage féminin sans masque et sans peur. Notre liberté des femmes y
est une histoire ancienne que l’on retrouve narrée avec humour par
Louis-Sébastien Mercier, merveilleux auteur du XVIIIème siècle. « Les
femmes de Paris à l’époque des Lumières » (éditions Tallandier) est un
livre pétillant pour des vacances françaises.
En ces temps d’assassinat de femmes (en Afghanistan) et de
voilement général des espérances ; en ces temps où les révolutions
arabes - que leurs héroïnes espéraient universalistes et féministes- se
muent en contre-révolutions obscurantistes, il y a quelque chose de
fascinant à relire un délicieux ouvrage sur les Parisiennes d’un certain
Louis-Sébastien Mercier. Ecrit à la fin de l’Ancien régime puis après
la Révolution, cet adorable tableau de mœurs m’a été récemment très
utile dans quelques capitales où être femme pose des problèmes de plus
en plus compliqués. Glissé dans ma valise au Caire, je l’ouvrais pour
respirer un peu d’air frais au soir de journées poisseuses passées à
cahoter entre niqabs et hidjabs, insultes et tumultes. J’en savourais
également quelques pages à Tunis où le ténébreux spectacle des
salafistes adulés par le gouvernement au pouvoir a de quoi obscurcir,
hélas, le beau sourire des filles de Carthage. Je suis sûre que Habib
Bourguiba, qui aimait et respectait tant le visage des femmes libres,
avait lu Mercier !
Ecrivain, dramaturge et journaliste, ce dernier a fait une part bien méritée aux femmes dans son Tableau de Paris
qui court sur 2000 pages. L’extrait republié chez Tallandier est un
chef-d’œuvre car il donne la clé principale de l’irrésistible liberté
qui garde le teint si frais aux Parisiennes jusque dans un âge où toutes
les autres femmes de la terre ont remisé depuis longtemps leurs charmes
et leurs espérances. Car entre la Seine, Montmartre, la Bastille et le
Palais-Royal, l’indépendance féminine, c’est historique ! Mercier ne
peut que constater : « Les femmes à Paris, accoutumées dans les
lieux publics à se mêler avec les hommes, ont leur fierté, leur audace
et presque leur démarche ». Flânant dans les magasins, le nez collé
aux vitrines, il s’émerveille du charme des vendeuses et des
marchandes, aussi roses que leurs fleurs et aussi brillantes que leurs
parures. « Les femmes d’artisans travaillent de concert avec les hommes et s’en trouvent bien » se félicite ce badaud inspiré qui ajoute, complètement bluffé, : « Les femmes de Paris recèlent les femmes les plus gaies, les mieux portantes et les moins bégueules ! ».
Inquiet, cependant, du sort des plus pauvres, ces grisettes qui ont la
taille aussi mince que leurs ressources, le bon Mercier supplie le
législateur point encore convaincu des bienfaits du travail féminin : « Que
les filles soient autorisées à exercer le métier qu’elles choisiront
sans maitrise, sans gêne ni contrainte, sans taxe quelconque.../ Que
l’on donne aux femmes la même liberté dont jouissent les hommes, avec
qui elles sont incessamment mêlées... »
Où l’on voit
que notre liberté de Parisiennes remonte à loin, tout comme l’humeur
gracieuse des hommes qui nous aiment ! Cette aisance à se mouvoir dans
la capitale française qui est par ailleurs l’une des villes les plus
féminines au monde, nous a été enviée par les femmes du monde entier.
Quant aux mâles exotiques, russes ou orientaux, il est clair que le
charme légendaire qui les attirait vers la Parisienne tenait moins à sa
beauté- peu classique- qu’à son impertinence, fruit spirituel, nacré et
dodu des libertés individuelles et collectives.
Lire ces
pages lointaines et si modernes est aussi agréable aujourd’hui que
nécessaire. En effet, il m’arrive de plus en plus souvent de croiser sur
mes chemins parisiens des visages tristement voilés et comme en deuil.
Qui enterre-t-on dans le métro, l’autobus, sous les platanes, de la
place Clichy à la place de l’Etoile ? Pour qui sont ces fichus noirs,
serrés collés sur un front juvénile ? Ne sont-elles pas Parisiennes,
elles aussi, ces porteuses de chiffon sévère importé de cieux affreux où
l’on flagelle, censure et torture à tour de gros bras ? N’ont-elles pas
compris, ces jeunes et moins jeunes femmes, l’avantage immense qui est
le nôtre, le leur, le mien : celui de marcher, nez au vent, dans une
ville qui, historiquement, n’a jamais séparé hommes et femmes ! Ne
savent-elles pas que leur façon d’obéir à une propagande religieuse
fabriquée en dépit du bon sens humain, sous des cieux opaques, constitue
une véritable faute de goût dans notre Paris, capitale de la liberté ?
Chères sœurs parisiennes, la démocratie primordiale, celle de l’espace
partagé, est ici, voyez-vous, une réalité si ancienne qu’elle nous est
devenue comme instinctive. C’est pourquoi, épuisée par le spectacle des
linceuls qui s’abattent ailleurs, je me ranime à lire Louis-Sébastien
Mercier, témoin de la beauté des vies féminines parisiennes. Il eût
sûrement été aussi navré que moi par les voiles qui tentent aujourd’hui
d’en attrister le ciel !
jeudi 12 juillet 2012
Eloge de la Parisienne par temps islamiste
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