TOUT EST DIT

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jeudi 12 juillet 2012

Eloge de la Parisienne par temps islamiste

Il est parfois bon de se reposer de l’Orient à Paris et d’y admirer le visage féminin sans masque et sans peur. Notre liberté des femmes y est une histoire ancienne que l’on retrouve narrée avec humour par Louis-Sébastien Mercier, merveilleux auteur du XVIIIème siècle. « Les femmes de Paris à l’époque des Lumières » (éditions Tallandier) est un livre pétillant pour des vacances françaises. En ces temps d’assassinat de femmes (en Afghanistan) et de voilement général des espérances ; en ces temps où les révolutions arabes - que leurs héroïnes  espéraient universalistes et féministes- se muent en contre-révolutions obscurantistes, il y a quelque chose de fascinant à relire un délicieux ouvrage sur les Parisiennes d’un certain Louis-Sébastien Mercier. Ecrit à la fin de l’Ancien régime puis après la Révolution, cet adorable  tableau de mœurs m’a été récemment très utile dans quelques capitales où être femme pose des problèmes de plus en plus compliqués. Glissé dans ma valise au Caire, je l’ouvrais pour respirer un peu d’air frais au soir de journées poisseuses passées à cahoter entre niqabs et hidjabs, insultes et tumultes. J’en savourais également quelques pages à Tunis où le ténébreux spectacle des salafistes adulés par le gouvernement au pouvoir a de quoi obscurcir, hélas, le beau sourire des filles de Carthage. Je suis sûre que Habib Bourguiba, qui aimait et respectait tant le visage des femmes libres, avait lu Mercier !

Ecrivain, dramaturge et journaliste, ce dernier a fait une part bien méritée aux femmes dans son Tableau de Paris qui court sur 2000 pages. L’extrait republié chez Tallandier est un chef-d’œuvre car il donne la clé principale de l’irrésistible liberté qui garde le teint si frais aux Parisiennes jusque dans un âge où toutes les autres femmes de la terre ont remisé depuis longtemps leurs charmes et leurs espérances. Car entre la Seine, Montmartre, la Bastille et le Palais-Royal, l’indépendance féminine, c’est historique ! Mercier ne peut que constater : « Les femmes à Paris, accoutumées dans les lieux publics à se mêler avec les hommes, ont leur fierté, leur audace et presque leur démarche ». Flânant dans les magasins, le nez collé aux vitrines, il s’émerveille du charme des vendeuses et des marchandes, aussi roses que leurs fleurs et aussi brillantes que leurs parures. « Les femmes d’artisans travaillent de concert avec les hommes et s’en trouvent bien » se félicite ce badaud inspiré  qui ajoute, complètement bluffé, : « Les femmes de Paris recèlent les femmes les plus gaies, les mieux portantes et les moins bégueules ! ». Inquiet, cependant, du sort des plus pauvres, ces grisettes qui ont la taille aussi mince que leurs ressources, le bon Mercier supplie le législateur point encore convaincu des bienfaits du travail féminin : « Que les filles soient autorisées à exercer le métier qu’elles choisiront sans maitrise, sans gêne ni contrainte, sans taxe quelconque.../ Que l’on donne aux femmes la même liberté dont jouissent les hommes, avec qui elles sont incessamment mêlées... »

Où l’on voit que notre liberté de Parisiennes remonte à loin, tout comme l’humeur gracieuse des hommes qui nous aiment ! Cette aisance à se mouvoir dans la capitale française qui est par ailleurs l’une des villes les plus féminines au monde, nous a été enviée par les femmes du monde entier. Quant aux mâles exotiques, russes ou orientaux, il est clair que le charme légendaire qui les attirait vers la Parisienne tenait moins à sa beauté- peu classique- qu’à son impertinence, fruit spirituel, nacré et dodu des libertés individuelles et collectives.

Lire ces pages lointaines et si modernes est aussi agréable aujourd’hui que nécessaire. En effet, il m’arrive de plus en plus souvent de croiser sur mes chemins parisiens des visages tristement voilés et comme en deuil. Qui enterre-t-on dans le métro, l’autobus, sous les platanes, de la place Clichy à la place de l’Etoile ? Pour qui sont ces fichus noirs, serrés collés sur un front juvénile ? Ne sont-elles pas Parisiennes, elles aussi, ces porteuses de chiffon sévère importé de cieux affreux où l’on flagelle, censure et torture à tour de gros bras ? N’ont-elles pas compris, ces jeunes et moins jeunes femmes, l’avantage immense qui est le nôtre, le leur, le mien : celui de marcher, nez au vent, dans une ville qui, historiquement, n’a jamais séparé hommes et femmes ! Ne savent-elles pas que leur façon d’obéir à une propagande religieuse fabriquée en dépit du bon sens humain, sous des cieux opaques, constitue une véritable faute de goût dans notre Paris, capitale de la liberté ?

Chères sœurs parisiennes, la démocratie primordiale, celle de l’espace partagé, est ici, voyez-vous, une réalité si ancienne qu’elle nous est devenue comme instinctive. C’est pourquoi, épuisée par le spectacle des linceuls qui s’abattent ailleurs, je me ranime à lire Louis-Sébastien Mercier, témoin de la beauté des vies féminines parisiennes. Il eût sûrement été aussi navré que moi par les voiles qui tentent aujourd’hui d’en attrister le ciel !   

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