TOUT EST DIT

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jeudi 12 juillet 2012

Emprunts à taux négatifs : les prémices d'une explosion de l'euro?

La France a pour la première fois bénéficié de taux d'emprunt négatifs, lundi 9 juillet, à l'occasion d'émissions d'obligations à très court terme d'un montant de près de 6 milliards d'euros, confirmant sa place dans le club très fermé des pays vertueux de la zone euro. Mais si ces taux négatifs baissent la charge de la dette, ils augmentent aussi le risque de récession.
C'était la Une de toutes les radios mardi 10 juillet : la France emprunte à des taux réels négatifs. Des 6 milliards d'euros d'obligations à trois et six mois émis lundi par la France, les investisseurs n'en récupèreront pas la totalité, les taux d'intérêt étant de - 0,005 % et - 0,006 %. Autrement dit, la France gagne de l'argent en empruntant ! Qui l'eût cru, six mois après la perte du triple A et quelques semaines seulement après l'arrivée au pouvoir de François Hollande ? Force est de constater que les marchés n'ont pas attaqué l'Hexagone et qu'ils semblent même avoir une certaine confiance dans la dette française. 

Immédiatement le gouvernement et l'opposition se sont renvoyés la balle sur le sujet. Côté gouvernement, cette marque de confiance montrerait que la politique économique de François Holllande s'est rendue crédible auprès des investisseurs. Côté opposition, Valérie Pécresse s'est empressée de percevoir dans cette performance le résultat de la politique de SarkozyMais les uns comme les autres semblent se réjouir de la nouvelle. Ils n'ont pas forcément raison. Voyons pourquoi.

D'abord, nombreux sont les économistes à insister sur le caractère très relatif de cette confiance accordée à la France par les marchés. Il s'agit de très court terme (trois et six mois), même si les obligations à dix ans bénéficient également de taux favorables (2,4% environ). L'économiste et ancien expert du MEDEF Jean-Luc Gréau considère qu'il y a «une dimension de pari» dans ces taux négatifs proposés à la France. Il n'hésite pas à rappeller qu'en 2006, juste avant la crise économique, «la Grèce et l'Irlande avaient obtenu sur les marchés des taux d'emprunt plus avantageux que l'Allemagne, preuve que les investisseurs ne sont pas infaillibles.»

Les investisseurs qui ont des liquidités à placer n'ont plus aucune confiance dans le système bancaire, pouvant théoriquement rapporter plus d'argent mais présentant trop de risques. C'est dans cette perspective que, mardi 10 juillet, le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, a parlé de «dysfonctionnement des marchés » : le secteur bancaire apparaît fermé aux investisseurs car trop instable. Ceux-ci préfèrent se réfugier vers les titres d'Etat. En quelque sorte, prêter à la France revient pour eux à choisir la sécurité pour leurs placements, comme s'ils louaient un coffre-fort...

Cette confiance dans la dette française doit également s'interpréter au regard de la très grande inquiétude suscitée par les pays du Sud, la Grèce, l'Espagne et l'Italie notamment.
Pour l'économiste Paul Jorion, l'un des rares commentateurs économiques à avoir anticipé la crise des subprimes américains de 2007, «ces taux d'emprunt sont certes une bonne nouvelle pour la France car ils vont faciliter l'objectif de retour à 4,5% de déficit public à la fin de l'année. Mais ils témoignent de l'état de dégradation de la zone euro. Les marchés viennent clairement de couper l'Europe en deux : ceux qui peuvent survivre avec l'euro et les autres. L'Espagne emprunte aujourd'hui à des taux avoisinant les 7% (sur 10 ans), c'est une situation impossible.» Et selon lui, si la France se retrouve dans le cercle des pays vertueux, c'est parce que François Hollande a «totalement capitulé face à l'Allemagne et s'est aligné sur la vision d'Angela Merkel et de son traité de discipline budgétaire. Avec Sarkozy, la France et l'Allemagne étaient unis à 80%, avec Hollande il y a fusion à 95%.» En visite à Londres, le Président Hollande semble confirmer cette analyse en prônant, devant le Premier ministre anglais Cameron, une Europe à plusieurs vitesses.  

Un mécanisme pervers

Si, d'un point de vue franco-français, ces emprunts à taux négatifs se présentent comme une bonne nouvelle, ils pourraient très rapidement se transformer en cadeau empoisonné pour la France. C'est l'avis de Dominique Garabiol, directeur à la BPCE (organe central commun aux Caisses d'épargne et aux Banques populaires) : «Plus les investisseurs font confiance aux pays du Nord, plus ils sont méfiants vis-à-vis des pays du Sud, qui voient donc leurs taux d'emprunt s'envoler et leur capacité à se refinancer se réduire considérablement. Dans quelques mois, il n'est pas impossible que la France et l'Allemagne soient obligées, par solidarité européenne, de dépenser beaucoup d'argent pour aider l'Espagne ou l'Italie, sachant que dans les caisses de l'Europe il n'y a pas de fonds suffisants pour sauver les deux pays en cas de difficulté.» Pour lui, on est loin de pouvoir parler de bonne nouvelle ou pire de sortie de crise : «Le mécanisme est très pervers, et finalement ces taux favorables entretiennent la crise. Prêter à la France augmente les difficultés de l'Espagne par exemple, ce qui à terme pourrait rejaillir sur l'Hexagone.»

En outre, cette confiance dans la dette qui place la France parmi les pays vertueux, ne doit pas occulter un autre problème, celui de la compétitivité et du déficit commercial, s'élevant environ à 70 milliards d'euros par an. Si les marchés sont myopes et n'ont pas regardé l'avenir au-delà des six mois pour les émissions d'obligations, les difficultés ne doivent pas être masquées, selon Jean-Luc Gréau : «Les recettes sont en baisse et l'emploi est de plus en plus fragilisé. D'ici l'automne, le pays risque d'entrer en récession, les chiffres de la production ont de grandes chances d'être très mauvais. La crise est loin d'être terminée et 2013 sera peut-être semblable à l'année 2008. Mais l'avenir économique est pour l'instant imprévisible...»

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