TOUT EST DIT

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jeudi 28 juin 2012

Entre idéologie et banalité


Heureusement qu’il y a la philo. Cette particularité française de faire plancher les candidats au baccalauréat, quelle que soit leur orientation, est une survivance étonnante d’une époque où l’examen ouvrant aux études supérieures vérifiait, aussi, une capacité à penser, à argumenter, à analyser. Les sujets de cette année – je m’en tiendrai aux séries scientifiques et littéraires – comportaient de beaux sujets de dissertation.
« Avons-nous le devoir de chercher la vérité ? » Et : « Serions-nous plus libres sans Etat ? » De facture classique, les sujets de philosophie des Terminales S permettaient une réflexion de fond. Pour les littéraires, la richesse des dissertations pouvait être grande aussi, voire magnifique : « Que gagne-t-on en travaillant ? » Et : « Toute croyance est-elle contraire à la raison ? »
Se posent tout de même deux problèmes. Celui de la capacité des jeunes à raisonner, rudement mise à mal chez beaucoup par une formation qui réduit l’analyse à la portion congrue et aboutit à ce que la plupart des élèves de Terminale ne savent pas tirer une idée générale d’un texte. Et – deuxième difficulté – la charge idéologique des sujets, qui peuvent aboutir à une correction orientée. Il n’est pas certain que le fait de citer Benoît XVI et ses réflexions sur les nécessaires rapports entre foi et raison assure une bonne note…
Pour les autres matières, les épreuves ont varié entre l’encyclopédique (et donc la superficialité), le banal et le carrément orienté.
Les textes à étudier à l’épreuve de français anticipée étaient pourtant rassurants, eu égard à l’insistance des autorités éducatives à mettre au programme des œuvres lestes et des films « explicites ». Les « S » devaient se pencher sur la satire, à travers quatre poèmes de Du Bellay, La Fontaine, Verlaine, Rimbaud – on se dit qu’ils apportent par ailleurs la preuve qu’ils pouvaient mieux faire. Chaque texte était assorti d’un lexique plus que miséricordieux. On peut être en première, ont dû se dire les rédacteurs des sujets, et ne pas comprendre que « par ses ongles » veut dire, pour un lion, « par ses griffes », et que « me doit échoir » se dit, en bon français, « doit me revenir ». On apprend aussi, en note : Seigneur : apostrophe conventionnelle en début de sonnet ; Du Bellay adresse son poème à un puissant. » Ou que ce qui « me dépite », m’irrite et me peine. « Surplis » et « frac », « appareil » (comme dans « plus simple appareil) et « drille » (il en est de joyeux), « cornac » sont supposés inconnus.
Le sujet d’invention était, comme vous allez le voir, du plus haut intérêt : « Vous imaginerez un dialogue entre deux critiques littéraires au cours d’un débat sur la poésie. L’un pense que la poésie doit être utile et éveiller l’esprit critique du lecteur ; l’autre estime que l’on ne saurait la réduire à cette seule fonction. »
Pour les littéraires les textes étaient axés sur le bon sauvage, les « victimes de la colonisation » et la découverte de l’autre à la Renaissance. Sujet pipé. Deux textes sur quatre étaient de Jean de Léry : son voyage au Brésil, raconté en 1578, lui a permis de gagner une relative notoriété que la qualité de sa plume n’eût pas expliquée. « Que je lui dis, qu’elle me dit », tel est « presque » le niveau de son reportage à propos de ses rencontres amérindiennes. Et là aussi, il y a un lexique : mais passons.
L’histoire-géographie permet aussi de faire passer l’idéologie avant les faits. Les élèves de 1re de la série S, qui passaient pour la première fois une épreuve anticipée sanctionnant un programme vaste comme le monde, devaient parler de « la guerre d’Algérie » – gare ! – ou bien de « la mutation de la population active de 1850 à nos jours » – ce qui pourrait bien occuper dix sociologues pendant trois ans au CNRS.
Les Terminales S de cette année planchaient sur le programme désormais caduc, et des sujets non moins chargés dans tous les sens du mot : « La décolonisation de la fin de la Seconde Guerre mondiale aux années 1960 » et « La Ve République : institutions et vie politique ». Deux gros manuels de première année de droit ne suffiraient pas à répondre en la matière…
Le sujet de sciences anticipé en Première L était attendu car pour la première fois il comportait le fameux thème lié à la théorie du genre, « Féminin-masculin, devenir homme, devenir femme ». Les élèves n’ont pas été interrogés sur ce point mais en revanche ils ont dû plancher sur le meilleur moyen de traiter une stérilité dans un cas concret : insémination artificielle avec ou sans donneur extérieur au couple, fécondation in vitro avec ou sans les gamètes du couple. Frais.
Les littéraires ayant choisi une option science en Terminale ont planché sur une « pasta party » à avaler avant un marathon, et un thème au choix. Le premier, « la place de l’homme dans l’évolution », comportait cette citation mémorable : « L’homme ne descend pas du singe comme on le dit trop souvent. C’est un singe. » Le propos d’André Langaney était soutenu par une note fournie par les rédacteurs du sujet : « 99 % des gènes sont communs aux deux espèces. » L’option maths, d’une simplicité quasi enfantine en ce qui concerne le calcul, invitait les candidats à réfléchir à l’indice de masse corporelle, à vérifier si une jeune fille était anorexique et à calculer sa perte de poids en fonction de son régime…
En SVT, l’épreuve générale des Terminales S les a fait entre autres travailler sur l’hypogonadisme, l’affection qui fait que les garçons, à la puberté, des organes génitaux trop petits. Frais, encore. Les « spécialistes » étaient épargnés.
Quant aux épreuves écrites de langues vivantes en espagnol et anglais, elles ont été d’une banalité, voire d’une vulgarité consternante par le choix des textes, pris dans des romans ou des articles de journaux tous postérieurs à 2005, au langage relâché, argotique ou médiocre. Quant aux questions posées, elles consistaient presque toutes à chercher des informations dans les textes et à les restituer telles quelles.
Avec tout ça, les correcteurs auront comme tous les ans des consignes de clémence et on remontera les notes qu’il faudra !

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