TOUT EST DIT

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samedi 30 juin 2012

Bayrou et le suicide du centre

Après avoir été l'un des hommes forts de la présidentielle de 2007, le parti de François Bayrou est dans la déroute. Le chroniqueur Roland Hureaux revient sur les raisons d'un échec pas tellement surprenant.
La déroute de François Bayrou fait oublier qu’il fut bien près de gagner la dernière élection présidentielle. Revenons trois mois avant celle-ci. La cote de Sarkozy était au plus bas: on s’accordait même autour de lui à penser qu’il ne pouvait plus gagner. Il payait le prix à la fois d’une politique de réformes brouillonnes qui lui avait valu beaucoup d’ennemis, souvent pour pas grand-chose, et d’une personnalité imprévisible et stressante, qui, aux yeux de beaucoup de Français, ne convenait pas à la fonction.

Au même moment, les sondages donnaient Bayrou gagnant au second tour contre tout adversaire, y compris Hollande. Une conclusion s’imposait: Bayrou ne devait pas faire campagne «à mi-chemin de la droite et de la gauche» -un lieu géométrique pour le moins difficile à situer pour les électeurs qui dénonçaient la ressemblance des programmes UMP et PS et qui auraient dû être sa cible principale!
   
Bayrou devait faire campagne au centre droit et même à droite. C’est d’ailleurs là que le parti communiste, mais aussi une partie de l’électorat a toujours situé le soi-disant centre. Souvenons-nous du duel Pompidou-Poher vu par Jacques Duclos: «blanc bonnet  et bonnet blanc»! C’est aussi comme cela qu’on le voit dans les campagnes béarnaises où les centristes sont du côté du curé, donc de droite.  

L’affaiblissement extrême du candidat de l’UMP, dans une partie du spectre politique proche du sien où les électorats sont relativement fongibles, lui offrait un trou d’air, une chance exceptionnelle qu’il n’a pas saisie. Il a cru au contraire que son potentiel électoral était à gauche. Grave erreur! Il se fondait sur l’expérience de 2007. Une expérience très singulière et qui avait peu de chances de se répéter: le machisme du PS et la personnalité bien injustement contestée de Ségolène Royal, conjugués à un effet de mode «bobo», avaient porté une partie des  électeurs naturels du PS à se rallier à lui (c’est essentiellement ceux-là qu’il a perdus, descendant de 18,5 à 9,3%). Mais dès lors que François Hollande avait une pleine légitimité à gauche, François Bayrou n’avait en 2012 aucun espace de ce côté.

Au souvenir de l’élection précédente s’ajoutait le vieux complexe des centristes vis-à-vis de la gauche. Non reçus à gauche, autrefois à cause de la religion, aujourd’hui, de la pesanteur sociologique et du sectarisme, ils sont d’autant plus fascinés par elle  et passent leur temps à lui faire des clins d’œil, des avances, jamais payés de retour. Ceux de Bayrou aux rocardiens au cours de la dernière campagne sentaient tant leurs années soixante-dix!

C’est le même complexe qui avait amené le président du MoDem à se rallier, il y a déjà quelques années, au mariage (mais non à l’adoption) pour les homosexuels. Il n’en tira pas une voix à gauche, tandis qu’il se coupait de sa base catholique –la vraie, pas l’équipe de Télérama

Bloqué à gauche, Bayrou avait encore, pour percer, la solution d’aller droit  au peuple sur de sujets qui n’étaient encore investis par aucun des extrêmes. Il l’a tenté une fois, mollement, en promouvant le made in France. Ce fut à peu près tout. Hélas pour lui, il  n’eut pas l’occasion, comme en 2007 d’administrer une claque à un jeune effronté ce qui n’avait pas peu contribué, on s’en souvient, à sa percée populaire.

Le reste de ses propositions n’avait pas de quoi emballer l’électeur: retour à la proportionnelle, non-cumul des mandats, prise en compte du vote blanc, équilibre budgétaire au prix d’un alourdissement des impôts, des propos raisonnables sur l’éducation nationale mais qui ne pouvaient susciter l’enthousiasme. Même sans empiéter sur les plates-bandes du Front national, les sujets pourtant ne manquaient pour aller au devant du sentiment populaire, notamment les mille et une réformes qui désespèrent les Français: démantèlement des services publics, abandon de la politique d’aménagement du territoire, désordre des politiques sociales, pénurie de logement, intercommunalité désordonnée, escalade normative etc.

François Bayrou est resté prisonnier de ce qui caractérise désormais, plus que tout, le centre: non plus l’idéologie démocrate-chrétienne, à bout de souffle, mais la proximité avec la technocratie. Camdessus, Peyrelevade, une partie des «Gracques» trouvent Bayrou très bien: c’est déjà mauvais signe. Car c’est de ces ceux-là que viennent, sur fond d’européisme intégriste, à peu près toutes ces  réformes que nous venons d’évoquer et qui sont  si mal reçues des Français, y compris celles que l’on a imputé à tort à Nicolas Sarkozy comme l’introduction des méthodes managériales dans le secteur public et la mesure généralisée de la  performance qui va avec.

L'attentat de Montauban

La rupture de Bayrou avec la droite fut consommée avec l’attentat de Montauban. Pointant immédiatement un doigt accusateur vers Le Pen et Sarkozy, il péchait non seulement contre la vertu de prudence mais aussi contre celle de justice, car on ne savait encore rien du meurtrier. C’était ensuite une grave erreur sociologique. Il y a certes en France quelques allumés d’extrême-droite: depuis trente ans c’est eux que l’on accuse en premier, comme les Juifs au Moyen-Age, avant de devoir généralement se raviser.

Mais c’est bien mal connaître la psychologie de ces gens-là (fort peu nombreux au demeurant) que d’imaginer qu’ils pourraient tirer  sur un soldat français, quelle que soit la couleur de sa peau. Gageons que dans leur piaule trône un képi blanc! Le racisme français s’est toujours arrêté aux portes des casernes de la Légion!
 
Mais Bayrou commettait aussi une erreur politique: même si la droite n’est pas l’extrême droite, une partie ressent mal, qu’on le veuille ou non, les attaques véhémentes dont celle-ci fait l’objet, comme beaucoup d’électeurs de la gauche modérée ressentaient  mal autrefois ce que Georges Marchais appelait l’«anticommunisme primaire». En faisant du Front national (et indirectement de  Sarkozy) sa cible privilégiée, Bayrou avait, certes, la satisfaction de jouer au progressiste mais il se coupait de l’électorat qui seul pouvait lui permettre d’accéder au second tour: on ne convainc pas les gens de  droite, même modérés, avec des arguments de gauche!

L’idée, propagée par les médias, qu’à côté de la «droite glauque», existerait une «droite républicaine» partageant avec la gauche l’horreur du FN est largement illusoire. Il y a certes  des politiciens de la droite classique qui prennent cette posture, à la fois parce que Le Pen chasse sur leurs terres (si mal gardées!) et qu’ils veulent continuer d’être invités par les médias. Mais la grande majorité de l’électorat modéré, sans vouloir nécessairement que Marine Le Pen vienne au pouvoir, ne sympathise pas du tout, au contraire, avec les campagnes supposées antiracistes menées contre elle. Le durcissement des attaques contre le FN en fin de campagne a sans doute contribué à  la remontée de Sarkozy! On pourrait même aller plus loin: combien de retraités de l‘EDF ou de La Poste, qui votent socialiste par habitude, s’inquiètent en privé davantage de l’immigration ou de l’insécurité que de leurs avantages acquis?

La droitisation de l’opinion (qui rend d’autant plus paradoxal un basculement à  gauche du gouvernement!), le passage au parti socialiste de ce qui reste de la démocratie chrétienne (l’Ouest, incarné par le nouveau premier ministre, formé au MRJC comme les Pyrénées atlantiques, est en passe de devenir un fief socialiste): tout cela laisse peu de place au centre tel qu’on l’avait connu autrefois. Quant à la vingtaine de centristes qui demeurent au sein de l’UMP autour de Borloo, il est vraisemblable que, plus que jamais, ils ne seront que des figurants.

Il est  significatif que, dans le naufrage du MoDem, les seuls survivants soient les deux représentants de ce qu’on pourrait appeler, sans que cela ait pour nous rien de péjoratif, le populisme du centre; Philipe Folliot et Jean Lassalle, le premier ancien du RPF de Pasqua, le second défenseur intraitable de son terroir pyrénéen, crypto-souverainistes l’un et l’autre (ce qui est tout de même  un comble pour les deux rescapés du courant démocrate-chrétien!). Ils furent tenus aux marges de la campagne de Bayrou, plus  inspirée par les inspecteurs des finances des Gracques et conduite par  l’entourage parisien de Marielle de Sarnez; on les assimilait  sans doute à ces groupes  folkloriques, à ces «bandas», chargés de donner de la couleur et de chauffer la salle dans   les meetings. Bref, on ne les prenait pas au sérieux. A tort. Bayrou n’en serait pas où il en est s’il avait un peu plus écouté Lassalle et  un peu moins Peyrelevade.

 

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