TOUT EST DIT

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vendredi 18 mai 2012

Réfractions corréziennes

C’était étrange de voir ce 6 mai, à la télévision, la place de la cathédrale de Tulle où j’ai vécu les années Mitterrand et Chirac. Les samedis matin, jours de marché, Hollande y distribuait des tracts avec des militants de son parti.
Il m’arrivait d’aller le saluer. Comment aurais-je imaginé qu’il y prononcerait sa première allocution de président, sous les vivats d’une foule en liesse ? Songeait-il vraiment à un éventuel destin national lorsque, au printemps 1995, il fut battu à Tulle par mon ami Aubert aux municipales après avoir été battu par le même en 1993 aux législatives ? Y songeait-il même au soir du second tour de la présidentielle de 2007 ? Il marchait dans une rue, toujours à Tulle, seul, et semblait à ce point désemparé que j’étais descendu de voiture pour aller le saluer. J’ignorais les aléas de sa vie privée ; je savais juste, comme tout le monde, qu’il avait mal vécu la campagne de Ségolène Royal, et que les ténors du PS ne le prenaient pas au sérieux.
Il s’est accroché, la chance lui a souri, et voilà que les journalistes parisiens redécouvrent la Corrèze dans son sillage. Oui, c’était étrange pour moi qui ai vécu dans l’euphorie l’élection de Chirac d’assister sans joie à celle de Hollande. Sans joie car, vraiment, je n’ai pas d’atomes crochus avec la gauche française et je suis convaincu qu’un second quinquennat de Sarkozy eût été à tous égards salutaire. Mais je ne nierai pas pour autant une certaine sympathie pour la personne de Hollande, ainsi qu’un rien de gloriole corrézienne. Queuille, Charbonnel, Chirac, Hollande : nos arpents de verdure ne sont pas infertiles. À vrai dire les liens de Chirac avec la Corrèze étaient plus charnels que ceux de Hollande : il l’incarnait, tandis que Hollande lui restitue son identité de terre de gauche. Les amis ussellois de l’un ne ressemblent pas tout à fait aux camarades tullistes de l’autre. Question d’histoire-géo, et de tempérament aussi. Chirac séduisait par son rythme et sa gestuelle, c’était physique ; Hollande emporte l’adhésion à la longue par son humour et son sens de l’esquive. Chirac “sabrait au clair” ; Hollande lâche ses coups avec une fausse désinvolture. Chirac était cordial ; Hollande est jovial, nuancé.
Hollande donc est président. Tant mieux pour la Corrèze. Mais gouvernera-t-il ou régnera-t-il ? La question mérite d’être posée. Saura-t-il mettre au pas Aubry, Fabius, Delanoë et Montebourg, qui l’ont beaucoup et ouvertement pris pour un cave ? Saura-t-il rabattre les caquets de Joly, Duflot, Mélenchon et autres idéologues, lui qui n’a jamais caché sa faible inclination pour les avatars du gauchisme soixante-huitard ? Saura-t-il convertir les chefs syndicaux au principe de réalité ? Gouverner, c’est tailler dans le vif, et marginaliser la concurrence interne en sorte que ses aigreurs ne puissent faire tache d’huile. En Corrèze comme à la tête du PS, il a donné l’impression de temporiser en souslouant les places aux factions, aux courants, aux seconds couteaux. Saura-t-il tenir des positions quand le consensus s’avérera impossible ? L’art des conciliations est précieux ; encore doit-on savoir trancher, et il y faut une autorité qui peut-être fait défaut à François Hollande. Peut-être pas. On verra à l’usage s’il a la trempe d’un Mitterrand ou les limites d’un Auriol.
Quel réconfort de retrouver à Orléans la France immémoriale après cette séquence électorale où fatalement elle a caricaturé ses travers ! La ville célébrait sa libération par Jeanne d’Arc, en même temps que le six centième anniversaire de la naissance de celle-ci, et son maire, Serge Grouard, m’avait convié, en qualité d’ancien et éphémère “président” de ces fêtes. La symbolique des cérémonies (passation de l’étendard, messe en la cathédrale Sainte-Croix célébrée par le nonce apostolique, défilé militaire, hommage des provinces, etc.) réconcilie miraculeusement l’Église, l’État et son armée, la foi des uns, la laïcité sourcilleuse des autres et le patriotisme de tous à l’enseigne de Péguy. La Jeanne live du cru 2012 se prénomme Pauline ; la “mienne”, celle de l’an 2009, Agnès, était là parmi ses devancières. Cette ronde de la mémoire, ce défi aux trivialités de l’immanence, cette réincarnation d’une sainte de vitrail sous les dehors d’une jeune fille sagement “moderne”, ce peuple orléanais communiant comme chaque printemps détage, c’est en version presque intégrale la France que j’aime. 

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