TOUT EST DIT

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dimanche 6 mai 2012

Les 12 travaux de Panagiotis Karkatsoulis

Quel que soit le parti vainqueur des élections du 6 mai, la réforme de l’Etat sera l’un de ses défis majeurs. Or, de manière aussi surprenante qu’encourageante, c’est un Grec qui a été élu meilleur fonctionnaire du monde par une institution américaine.
Panagiotis Karkatsoulis est un homme à la personnalité débridée. Il s’exprime au travers de dialogues où il utilise une voix différente pour jouer son propre rôle (voix grave) et celui des autres (plus aïgue) ; il gesticule, se gratte la tête, griffonne des diagrammes sur un papier, écrit à nouveau quelque chose à toute vitesse. Il ne s’arrête jamais. Parfois, il conclue par un "Ouf, c’était moi en train d’expliquer une idée !"
Etre considéré comme une rareté lui inspire donc une tirade dont il a le secret. Il s’indigne et rit en même temps. "Moi, une exception? Je ne suis pas une exception !" Il se souvient du reportage réalisé quand l’attribution du prix de l’American Society for Public Administration (l’ASPA, Société américaine pour l’administration publique, récompense une personne qui a contribué à des changements dans la fonction publique) a été rendue publique, il y a quelques mois. "Ils sont allés demander à des gens sur la Place Syntagma [une grande place d'Athènes] quelle était la nationalité du meilleur fonctionnaire du monde. Il y en a un qui a répondu : ‘Suédois, Finlandais, Allemand... Sûrement pas Grec !’ Un autre a simplement dit : ‘N’importe laquelle mais pas grecque’", sourit-il.

23 000 responsabilités différentes

Panagiotis Karkatsoulis travaille au ministère de la Réforme administrative ce qui lui a valu d’être très souvent en contact avec des responsables de la troïka [FMI, BCE et Commission européenne]. Il enseigne également  à l’Ecole nationale de la fonction publique. Il nous reçoit dans son cabinet, où figurent plusieurs reproductions dont une du duo Gilbert & George, un tableau rose qui, aujourd’hui, s’accorde avec sa chemise. Il affirme que dans son service, les fonctionnaires sont très compétents et dévoués. "C’est un service où les gens étaient parmi les mieux payés, avec des salaires d’environ 3 000 euros. Aujourd’hui, ils atteignent mille et quelques euros. Ces gens-là auraient tous pu partir vers le privé. Mais ils sont restés. Et ils travaillent plus qu’avant. Pour quelle raison ? Je ne sais pas, sans doute quelque chose qui s’apparente à du patriotisme..."
L’indignation de Karkatsoulis ne s’attarde pas trop sur la lourde, et folle, machine de l’administration publique grecque – une étude qu’il a réalisée avec 200 de ses collègues à la demande de la troïka a montré que l’administration centrale compte près de 23 000 responsabilités différentes, et qu’elles changent en moyenne 1 140 fois par an. Mais aujourd’hui, il dévalorise cela. "Ces chiffres démontrent quelque chose: oui, 23 000 compétences officielles c’est énorme. Mais, si on regarde attentivement, nous voyons que l’ensemble de ces 23 000 compétences n’affectent pas les fonctionnaires de la même façon, certaines existent mais n’ont aucune utilité."
La troïka se trompe à vouloir des solutions rapides, ignorant la réalité du pays où elle se trouve, soutient-il. Ses fonctionnaires ne connaissent rien du lieu où ils sont détachés. "Il y en a eu un qui est allé jusqu’à demander: ‘Est-ce que tout cela est lié à quelque chose de plus profond, à votre ADN?’", raconte-t-il en élevant la voix. Il baisse de ton aussitôt pour les excuser : "C’est vrai qu’ils sont sous pression".
Ce que l’on demande à la Grèce, "c’est comme si on voulait que quelqu’un court cent kilomètres en dix secondes alors qu’il ressemble à un esclave XIXe siècle – ce n’est pas possible", dénonce Karkatsoulis. "Il s’agit d’un paramètre objectif. Ce n’est pas une discussion pour savoir si je vais le faire, si je suis corrompu pour ne pas le faire, si je n’ai pas envie – c’est tout simplement impossible."

Des réformes jamais réalisées

Il y a autre chose qui l’irrite: l’impression que le problème [de la Grèce] est facile à régler. "Ah oui? Alors pourquoi tout le monde essaye de trouver une solution, même [l’économiste] Paul Krugman ?" Ce qui l’énerve encore plus, c’est de voir que "souvent, on veut répondre par une pensée basique, un peu primitive. Par exemple, quelqu’un vient de France et dit: ‘Réformez-moi ça’. La majorité d’entre eux essayent de transférer ici leur propre réalité."
Il existe un problème en Grèce avec les réformes mille fois annoncées et jamais réalisées. Qui ne supporte pas les réformes? "Dites-moi ! Le système? C’est évident que les politiques ne veulent pas de changements. Si c’était le cas, pourquoi font-ils tout pour s’y opposer ?", confie-t-il. "Beaucoup de choses devraient changer", ajoute Karkatsoulis mais "pas seulement en Grèce, à Bruxelles, au FMI aussi. Et comme rien ne se passe, la seule prévision que je peux faire, c’est que la crise va s’aggraver."
Ce qui nous amène aux élections. Pour qui va voter Panagiotis Karkatsoulis? "Je ne sais pas, je suis ouvert aux propositions", s’amuse-t-il. "Si l’on pense à partir de critères rationnels, on doit voter pour l’un des deux grands partis [Pasok, gauche, et Nouvelle Démocratie, droite]. Les choses vont mal mais elles vont s’améliorer. Si l’on estime que les choses vont s’aggraver, alors il faut aller plus à gauche ou plus à droite." Il précise néanmoins qu’il va choisir l’un deux grands partis car il pense qu’"il est plus facile de faire des changements via ces partis. Les petites formations vont mettre beaucoup plus de temps à faire quelque chose". Il compare la situation actuelle avec ce qui s’est passé après la chute de la dictature [en 1974], quand les partis de gauche ont proliféré : "J’étais engagé là-dedans, bien sûr, c’était générationnel".
Contrairement aux analystes politiques, Karkatsoulis ne considère pas cette élection comme un moment-clé. "Je ne crois pas que cela soit quelque chose de dramatique ; je ne leur accorde pas tant d’importance. Je pense que le pays est en transition et tout cela va durer quelques années."




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