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dimanche 13 mai 2012

«Hollande et Merkel pourraient bien s'entendre»

Depuis la fin de la Seconde guerre mondiale, les duos président-chancelier n'ont eu de cesse de maintenir un lien privilégié entre la France et l'Allemagne. Le chercheur Jacques-Pierre Gougeon met la recontre de mardi en perspective avec l'histoire de ces relations chaotiques


Pourquoi la première visite d'État du nouveau président de la République reste-t-elle, encore aujourd'hui, réservée au voisin allemand? Jacques-Pierre GOUGEON*. - L'Histoire fait qu'il y a des incontournables. Après la Seconde guerre mondiale, il y avait des blessures à panser entre la France et l'Allemagne pour pouvoir reconstruire une Europe moderne. Plus de soixante ans après, cette dimension est encore très forte et il est frappant de constater que, dès qu'on remet en question un symbole de cette relation, cela pose toujours problème. Il reste donc impensable que la première visite d'État du président français ne se fasse pas à son homologue allemand, et vice versa.
Au début de son mandat en 2007, Nicolas Sarkozy avait pourtant tenté de sortir de cette relation exclusive, en se tournant vers le Royaume-Uni?
Il n'est pas le seul à avoir essayé. En 1998, Gerhard Schröder avait aussi tenté une alliance avec Tony Blair. Mais in fine, ça ne marche jamais. À cause du poids historique de la relation franco-allemande, bien sûr, mais aussi parce que l'on s'aperçoit que le Royaume-Uni conserve une relation particulière avec les États-Unis, et que la relation franco-britannique n'est donc jamais pure: c'est toujours un couple à trois. Enfin, le Royaume-Uni n'a pas le même rôle que l'Allemagne dans la construction européenne. Les Allemands se voient comme un pont entre l'est et l'ouest du continent, ils parlent de «centralité». Tous ces éléments font que l'alliance franco-britannique est ponctuelle, sur des dossiers précis, tandis que l'alliance avec l'Allemagne est structurelle.
Cette relation n'a pour autant pas toujours été idyllique.
Il y a en effet des phases de refroidissement. La relation franco-allemande comporte une forte dimension émotionnelle, ce qui est à double tranchant car cela lui confère une part d'irrationnel. Quand on regarde l'Histoire, on s'aperçoit par exemple qu'à chaque fois que l'un des deux partenaires apparaît comme plus puissant que l'autre, des tensions naissent. C'était le cas au début du XXe siècle, quand l'Allemagne est devenue la première puissance économique de l'Europe: elle avait alors une image extrêmement négative en France. Plus récemment, en 1968, l'Europe a subi une grave crise monétaire, qu'on a attribuée à un mark fort, et le président De Gaulle était furieux. «Les Allemands bombent encore le torse», disait l'ambassadeur français de l'époque. Un nouveau refroidissement a suivi la réunification allemande, en 1990, qui faisait peur. Mais à chaque fois, les deux pays ont su trouver un projet commun qui les a ressoudés.
Chacune de ces périodes correspond à un couple président-chancelier différent. Les relations personnelles entre les dirigeants français et allemand pèsent-elles beaucoup?
À chaque fois, les dirigeants en place ont su trouver un lien qui les unissait. De Gaulle et Adenauer sont arrivés juste après la guerre: c'est donc la dimension historique, la nécessité d'une réconciliation, qui les a portés. Mitterrand et Kohl étaient deux passionnés d'histoire. Ils ont donc eu beaucoup de discussions intellectuelles qui les ont rapprochés. Giscard et Schmidt partageaient un idéal européen, et ils ont beaucoup œuvré ensemble à la construction de l'Union. Ce qui est notable, c'est que la majorité de ces couples associait des dirigeants de bords politiques différents: c'est donc une relation transpartisane. Paradoxalement, c'est entre Sarkozy et Merkel que la relation était la plus instable, alors qu'ils qui étaient de la même famille politique. Mais ils avaient deux personnalités extrêmement différentes: la chancelière est une universitaire, à la pensée très analytique, tandis que lui, avocat, était plus dans l'énergie et les effets de manche. Ça a beaucoup décontenancé Angela Merkel au début. Mais à partir de 2009, c'est la crise qui les a rassemblés.
Comment imaginez-vous les relations futures entre François Hollande et Angela Merkel?
Ils pourraient bien mieux s'entendre qu'on ne l'imaginerait au premier abord. Bien sûr, ils viennent de familles politiques opposées, et il ont déjà un contentieux sur le pacte budgétaire. Mais c'est là que l'aspect personnel de l'axe franco-allemand pourrait reprendre toute sa dimension. Comme Merkel, Hollande est un rationnel, qui aime la stabilité. Les Allemands, à son sujet, utilisent d'ailleurs souvent le terme Berechenbarkeit, au sens de «fiabilité». Et puis l'année prochaine, nous fêterons les 50 ans du traité de l'Élysée, qui donnera une belle occasion à ce duo de retrouver toute la symbolique de l'amitié entre les deux pays. 2013 pourrait par exemple être une formidable année culturelle franco-allemande!
*Jacques-Pierre Gougeon est directeur de recherche à l'Institut de relations internationales et stratégiques (IRIS) et auteur en 2012 de «France-Allemagne: une union menacée?», aux éditions Armand Colin.

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