TOUT EST DIT

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samedi 2 avril 2011

Sauvez le soldat Ashton

Alors que la crise libyenne se déroule aux portes de l’Europe, le Haut réprésentant pour la politique extérieure de l’UE est totalement absent de la scène. C’est à se demander si son poste a encore un sens, écrit l’analyste José Ignacio Torreblanca. 

D’abord la Tunisie, ensuite l’Egypte, puis la Libye. L’UE n’avait rien vu venir ; elle a systématiquement tardé à réagir, pire elle s’est montrée extrêmement divisée sur la conduite à tenir. Elle a au moins eu le mérite de le reconnaître. Soyons honnêtes : d’abord, les capitales portent une responsabilité plus lourde que Bruxelles dans l'échec de cette politique méditerranéenne et elles n'ont pas rendu de compte pour cela.
Ensuite, la lenteur de leur réaction est compréhensible : la prudence est toujours le réflexe naturel de la diplomatie, une réalité à laquelle même Obama a été confronté, lui qui est pourtant à la tête d’une immense machinerie diplomatique. Enfin, cette division entre Européens est dans une certaine mesure tout aussi inévitable : chaque Etat membre a sa propre histoire et ses propres intérêts, parfois difficilement conciliables.

Un énorme budget pour une politique qui ne décolle pas

C’est un point qu’on oublie trop souvent. Or, si l’unité avait prévalu dès le départ, il n’y aurait pas eu besoin de dirigeants, ni d’institutions pour créer une politique extérieure commune, mais seulement des fonctionnaires pour l’exécuter docilement. Et c’est précisément la raison pour laquelle nous avons besoin de dirigeants et d’institutions européennes : afin d’élaborer des politiques communes à partir d’intérêts divergents. Voilà pourquoi nous nageons en plein paradoxe. Pendant 10 ans nous avons déploré le manque d’institutions européennes en matière de politique extérieure.
Le Haut Représentant [pour la politique étrangère], Javier Solana, avait beaucoup de bonne volonté, mais peu de moyens et des institutions faibles, ce qui l’obligeait à passer d’une crise à l’autre à bord d’avions prêtés pour l’occasion tout en se débrouillant avec une équipe réduite au stricte minimum et un budget de fonctionnement inférieur à celui consacré par la Commission européenne au nettoyage des bâtiments officiels. Aujourd’hui, semble-t-il, nous sommes confrontés à la situation inverse.
Nous sommes enfin dotés d’un ministère des Affaires étrangères européen qui ne s’avoue pas comme tel mais n’en possède pas moins toutes les qualités. Nous l'avons doté d'un énorme budget, de son propre service diplomatique, et mieux encore, de tout le pouvoir qui jusqu'alors était fragmenté entre trois institutions (le Conseil, la Commission et la présidence tournante de l’Union), qui se chevauchaient et ne cessaient de se contredire.
Forte du traité de Lisbonne, l'Europe est une et trinitaire, et la Haute représentante est toute-puissante. Et pourtant, sa politique ne décolle pas. En somme, nous avons enfin les institutions, mais nous n'avons toujours personne, apparemment, pour exercer un leadership fort.
Les révolutions arabes ont mis la politique étrangère européenne à rude épreuve. Après un an et demi à ce poste, Ashton est de plus en plus critiquée, parfois avec raison, parfois injustement. Les médias l'accusent d'être allergique aux feux de la rampe, de fuir la presse, de préférer rester discrètement au second plan. Et dans les capitales nationales, elle ne suscite pas non plus d'enthousiasme.

La Syrie d'El Assad : le test pour les chancelleries européennes

Ainsi, lors du Conseil européen extraordinaire sur la Libye, Sarkozy a tancé publiquement Ashton pour sa passivité, sans que personne ne prenne sa défense, pas même son compatriote Cameron. Ses défenseurs font valoir qu'Ashton s'est vu confier une mission impossible : faire le travail de trois personnes et régner sur 27 ego nationaux qui se considèrent tous plus compétents qu'elle. Ils ont tous partiellement raison, et par là même partiellement tort : Ashton ne veut pas taper du poing sur la table, alors que Sarkozy adore le faire. Quand on voit la surenchère d'El Assad en Syrie et les précédents de la Tunisie, de l'Egypte et de la Libye, il est évident que le soldat Ashton risque fort de rester isolé derrière les lignes ennemies.
Aussi est-il urgent d'organiser une mission de sauvetage pour préserver la suite de son mandat, dont il lui reste encore trois ans et demi. Idéalement, ce devrait être les ministres de Affaires étrangères des Vingt-Sept qui se portent volontaires pour le sauvetage et insuffler de l'énergie à la politique étrangère européenne. Mais y sont-ils vraiment prêts ? N'est-ce pas eux, qui par leurs actes, mais aussi leurs omissions, sont les principaux responsables de la situation actuelle ? Nous aurons bientôt la réponse à ces questions quand nous saurons jusqu'où ils sont prêts à aller avec la Syrie d'El Assad, elle aussi tellement choyée par de nombreuses chancelleries européennes.

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