TOUT EST DIT

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dimanche 18 décembre 2011

Vaclav Havel est mort

L'ancien président tchèque, symbole de la résistance à l'oppression communiste devenu homme clef de la révolution de Velours en 1989, est décédé à l'âge de 75 ans. En 2008, L'Express l'avait rencontré. Entretien. 
Un héros de la révolution disparaît. Vaclav Havel, l'ex-président tchèque, est mort ce dimanche à l'aube à l'âge de 75 ans, a annoncé son office. 
A l'heure de la politique spectacle, Vaclav Havel offrait à L'Express en 2008 un entretien. Attablé au café Slavia, à Prague, haut lieu de l'âme tchèque, il contemple les scènes de rue de cette ville qui a connu tant d'événements dramatiques. Il y a quarante ans, dans la nuit du 20 au 21 août 1968, les chars du pacte de Varsovie écrasaient le Printemps de Prague. Jusqu'à aujourd'hui, l'itinéraire de Vaclav Havel symbolise à lui seul la résistance à l'oppression communiste.  
Courageux dissident, il s'est imposé d'évidence comme l'homme clef de la révolution de Velours, en 1989. "Président philosophe" de 1990 à 2003, homme de théâtre, "faiseur" de paix, il incarne l'âme d'un peuple, mais aussi une autre manière de faire de la politique et une haute vision de l'Europe. C'est pourquoi sa parole est d'or. Entretien. 
L'Express: "Vous avez connu trois chocs majeurs : l'occupation allemande, l'occupation soviétique puis l'éclatement de l'ancienne Tchécoslovaquie. Pouvez-vous dire aujourd'hui que le peuple tchèque est enfin heureux?
Vaclav Havel: Un homme peut rarement se dire complètement heureux. Il est vrai que notre pays a aujourd'hui atteint un niveau de sécurité qui n'a pas d'équivalent dans le passé. Maintenant que nous sommes membres de l'Union européenne et de l'Otan, nous sommes en sécurité. Nous avons toutes les libertés de base, un Etat indépendant, et la situation économique générale est bonne. Mais cela ne veut pas forcément dire que les gens sont heureux. 
Milan Kundera dit que "[votre] vie est une oeuvre d'art". Quel est désormais votre combat?
Durant ma période de dissidence, j'ai constaté à quel point le soutien international est important pour le combat en faveur des droits de l'homme. C'est là que je ressens l'obligation de m'engager. Je participe à des rencontres de dissidents de plusieurs pays (Birmanie, Cuba, Biélorussie, Iran...). Je les rencontre fréquemment et je fais partie de différents comités de soutien. Telle est ma mission. Car la défense de la démocratie est plus d'actualité que jamais. Souvenez-vous, par exemple, qu'il existe encore une vraie dictature en Europe, en Biélorussie. 
Justement, quel jugement portez-vous sur l'action et le style de Vladimir Poutine?

Avec Poutine, nous avons découvert un nouveau type de dictature, très sophistiqué. Ce n'est plus le communisme. Ce n'est plus le pur nationalisme. Il faut en parler ouvertement. On ne peut pas continuer à fermer les yeux. Ce régime tout à fait particulier va de pair avec une certaine expansion économique, ce qui n'est pas vraiment surprenant. L'éclatement de l'Union soviétique a été traumatisant et Poutine souhaite reconstruire, peut-être d'une façon nouvelle, cet ensemble dissolu. Il supporte très mal la diminution de la sphère d'intérêt de l'ancienne URSS. En réaction, le système qu'il a bâti est fondé sur une sorte de confrérie politique et économique. C'est un système clos où le premier qui viole les règles du jeu est envoyé en Sibérie. 
Quelle attitude adopter face à ce régime?
Je pense qu'il faut maintenir des relations amicales avec la Russie, mais rester exigeant. Il n'y a pas d'amitié possible en gardant les lèvres serrées. Il faut rouvrir le dossier de la démocratie, même dans des réunions officielles, les entretiens semi-officiels, etc. On ne peut pas laisser se perpétuer cette image d'une Russie forte, pays important et bien armé, qui a toutes les matières premières imaginables, devant lequel on se met à genoux dès qu'il hausse le ton. Non. Il faut toujours marcher droit en suivant nos principes. Même au risque de disposer de moins de gaz ou de moins de pétrole. 
Votre pays célèbre ces jours-ci les 40 ans du Printemps de Prague, le soulèvement du peuple tchèque, écrasé par les chars du pacte de Varsovie. Considérez-vous que ce type d'intervention appartient définitivement au passé?
Il me paraît très peu probable qu'un événement de ce type puisse se reproduire aujourd'hui. Mais il est évident que nos sociétés démocratiques sont menacées par de nouvelles formes de violence. Je pense en particulier au terrorisme. Il ne faut jamais perdre de vue notre sécurité. C'est pourquoi il faut vraiment bâtir des systèmes de défense adaptés. Il serait irresponsable de penser que l'on a gagné et que la paix régnera pour toujours. Il y a encore des menaces, mais elles sont différentes. 

Quelle mémoire gardez-vous de l'intervention soviétique, de ce qui s'est passé sur la place Wenceslas, tout près d'ici?
 Je ne peux pas oublier l'union absolue du peuple, la solidarité et la volonté de faire quelque chose pour autrui. Le fait de signer des pétitions pour les prisonniers avait beaucoup de force suggestive. Ceux qui ont vécu tout cela au coeur de l'action s'en souviendront toute leur vie. 
Depuis le non irlandais au référendum sur le traité de Lisbonne, on dénonce le fossé qui sépare les élites de Bruxelles et les peuples de l'Union. Qu'en pensez-vous?
Cela demanderait une analyse très pointue. Je pense que l'Union européenne a surmonté tant de situations compliquées, si diverses, depuis sa création, que le non irlandais n'est qu'un obstacle passager. Il y en aura d'autres; il me semble néanmoins que le processus d'intégration européenne est irréversible. 
En 2004, la République tchèque entrait dans l'Union. En 2008, le gouvernement est réservé, voire eurosceptique. Est-ce que l'Europe a déçu?
Il existe une tradition tchèque qui consiste à se plaindre. Mais il en est une autre qui s'ancre dans l'universalisme. Quand on invoque notre passé "impérial" pour expliquer parfois un certain scepticisme vis-à-vis des grands ensembles supranationaux, je réponds qu'il faut être particulièrement peu éclairé pour comparer les ensembles supranationaux dont nous avons fait partie et l'Union européenne. Le fait que les Irlandais puissent dire non à une majorité de 150 000 voix et bloquer tout le mécanisme de réforme de l'Europe est une preuve de l'esprit démocratique qui règne dans cet ensemble.
Croyez-vous vraiment que, sous l'Empire austro-hongrois ou au temps de la domination soviétique, quelque 150 000 personnes eussent pu forcer le pouvoir central à reconsidérer une décision politique? 
Tout de même, le président tchèque actuel a eu des formules féroces contre l'Europe, notamment en disant que "le traité de Lisbonne est mort"...

Notre président aime bien provoquer. Je prends ce qu'il a dit comme un discours provocateur, mais contradictoire. Le processus de ratification va continuer, même si l'Europe se trouve aujourd'hui dans une impasse. C'est très important parce que, même si ce traité n'entre jamais en vigueur, ce processus sera un témoignage sur lequel on pourra bâtir la phase suivante. D'ici à dix ou quinze ans, il faut établir une Constitution européenne très brève, compréhensible par tout le monde, contrairement au traité de Lisbonne, qui n'est pas vraiment conçu pour être lu par le grand public. Cette Constitution doit être un texte que les enfants puissent apprendre facilement à l'école. Tout le reste doit être renvoyé à des annexes réservées aux experts. Dès maintenant, dans un silence absolu, on devrait mettre en place une équipe de quatre ou cinq personnes pour essayer de rédiger un tel texte. 
Est-ce que l'Europe souffre d'un déficit de leaders?
Il est toujours bon qu'une structure soit dotée d'une tête. Cela peut être une fonction symbolique, ou pas, mais, ce qui compte, c'est que les gens sachent qu'il y a bien quelqu'un là-haut, au sommet de la pyramide. Du moment qu'ils connaissent son nom et son visage, les citoyens peuvent se raconter des blagues à son sujet, se moquer de lui ou le respecter ; peu importe, pourvu qu'ils se l'approprient. Quant au profil du dirigeant, la seule chose qui compte c'est qu'il délivre une vision du futur et incarne la dimension spirituelle de l'unification européenne. Il ne peut pas être uniquement le gardien des douanes, des quotas, des tarifs, etc. Aujourd'hui, l'Union européenne paraît être une institution bureaucratique qui ne s'occupe que de sujets techniques et administratifs. Or l'Union comporte une dimension culturelle, historique, traditionnelle, spirituelle. La tâche principale du "leader" devrait être de souligner cette profondeur. 
Vous avez soutenu l'intervention militaire en Irak, en 2003, qui divisait profondément l'Europe. Le regrettez-vous maintenant?

J'ai toujours partagé la même opinion au sujet de la guerre en Irak: l'homme ne peut pas être indifférent aux crimes qui s'accomplissent autour de lui ni rester passif. La vie d'un être humain représente une valeur plus importante que la souveraineté d'un Etat; c'est mon point de vue. Cela veut dire qu'on a le droit d'intervenir par la force là où s'accomplissent des crimes de masse, où le mal opprime les peuples. Mais il faut toujours bien peser ses choix avant d'agir. En l'occurrence, il fallait bénéficier d'un appui international, mobiliser les milliers d'experts dont disposait le gouvernement américain afin d'évaluer les suites d'une intervention éventuelle. Je l'ai toujours dit, y compris au président Bush, avant le début de l'intervention. Tout cela n'a pas été fait, ou mal fait dans le cas de l'Irak. 
Soutenez-vous l'initiative américaine, acceptée par Prague, d'installer un bouclier antimissiles en Pologne et en République tchèque?
Je ne pense pas qu'il y ait dans cette initiative quoi que ce soit qui aille contre l'esprit de l'Otan, ni contre les valeurs de l'Union ou l'esprit européen. Le fait que deux pays signent des accords bilatéraux est prévu par les textes en vigueur. Je ne suis pas un expert en matière balistique, mais je crois qu'en l'occurrence on peut se comporter comme de vrais alliés et aider les Etats-Unis dans leur projet. 
Votre adhésion au bouclier n'est-elle pas l'expression d'une vieille peur face à la Russie?
Cela fait partie d'un raisonnement beaucoup plus vaste, qui s'étend à l'ensemble de notre planète et répond à des menaces prévisibles ou potentielles. Un système de défense consiste à se défendre! Il est tout à fait absurde que la Russie y voie un motif de protestation. Elle ne fait que montrer que ce système de défense a une vraie raison d'être. Autrement, les Russes ne seraient pas gênés. 
Avez-vous fait un choix entre John McCain et Barack Obama dans la course à la Maison-Blanche?

Si j'étais encore président, je ne pourrais me prononcer. Citoyen, je peux en dire un peu plus. Je connais McCain en personne et c'est vraiment quelqu'un de très bien. Je ne connais pas Obama, mais, malgré tout, je voterais pour lui. Car, à ma manière, j'ai été de tout temps un démocrate américain. Idéalement, j'aimerais que Hillary devienne la vice-présidente d'Obama. 
Qu'attendez-vous de la présidence française de l'Union européenne, et que pensez-vous de Nicolas Sarkozy, au style si opposé au vôtre?
Je ne connais pas personnellement Nicolas Sarkozy. Je ne l'ai jamais rencontré. Mais j'ai l'impression qu'il est très dynamique en politique internationale. Il est omniprésent, très actif. Je trouve cela sympathique. En particulier, il essaie d'améliorer les relations entre la France et les Etats-Unis, ce qui est très important, car je me souviens d'avoir été témoin, à plusieurs reprises, lors de ma présidence, de la vive tension entre le président Chirac et les Américains. J'apprécie également l'intérêt de Nicolas Sarkozy pour l'Europe centrale. ll s'est rendu en République tchèque avec la ferme volonté de mener une politique européenne active. Il y a là un espoir au niveau de l'Union. Je souhaite que la présidence française donne une impulsion nouvelle, ravive la flamme. 
 EN QUELQUES PHRASES :
"Avec Poutine, nous avons découvert un nouveau type de dictature, très sophistiqué"

"La vie d'un être humain représente une valeur plus importante que la souveraineté d'un Etat"

EN QUELQUES DATES :
5 octobre 1936
Naissance à Prague. 
1968
S'engage dans l'opposition à la suite de l'écrasement du Printemps de Prague  
1977
Auteur de pièces de théâtre et cofondateur de la Charte 77, organisation de défense des droits de l'homme, il est emprisonné à plusieurs reprises. 
1989
Révolution de velours. Il devient président de la République. 
20 juillet 1992
Démissionne : il refuse de cautionner la partition de la Tchécoslovaquie. 
Janvier 1993-2003
Président de la République tchèque. 
2007
Il publie une pièce, Partir, sur l'abandon du pouvoir. 

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