TOUT EST DIT

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lundi 12 décembre 2011

Pourquoi la nudité impacte tant nos cerveaux

Selon une étude américaine, une personne qui laisse apparaître des parties de son corps dénudées est automatiquement perçue comme plus à même de ressentir des émotions et de s'y livrer. Et plus elle se vêtit, plus elle donne l'air de savoir se contrôler et de faire des choix rationnels. Explications sur nos tendances à transformer les autres en "objets". 

La personnalité d'un individu change-t-elle selon que la même personne porte un pull, un débardeur ou apparaît dénudée ? La question semble absurde. Pourtant, en pratique et même si la personne elle-même reste la même quels que soient ses vêtements, c'est ainsi que nous déterminons notre perception des autres.
Une étude menée par une équipe de prestigieux psychologues américains conclut que plus un individu laisse paraître de sa chair, moins il semble à même  de se maîtriser et plus il est enclin à laisser ses émotions le dominer. C’est la conclusion à laquelle sont arrivés  des chercheurs américains des universités de Harvard, Yale, Northeastern et du Maryland.  
Les  scientifiques estiment que l’être humain évalue l’esprit de l’autre via deux dimensions principales. La première est l’agency, qui se comprend comme étant la capacité prêtée à l’autre d’agir, de planifier, de se contrôler lui-même ; la seconde est dite experience, et renvoie à la capacité prêtée à l’autre de ressentir et percevoir des émotions. En somme, ce qui est réfléchi et ce qui est ressenti. Selon les psychologues, ces deux dimensions fonctionnent ensemble, comme une dualité : par exemple, si quelqu’un est perçu comme ayant une forte propension à prendre du plaisir en faisant quelque chose, il sera d’autant plus perçu comme n'étant pas maître de lui-même.
Les capacités à raisonner ou à agir à l'instinct seraient donc opposées l’une à l’autre et s’annuleraient. L’étude estime alors que l’on peut en réalité très facilement attribuer plus de capacité à ressentir ou à penser à la même personne en fonction de l’apparence sous laquelle elle nous est présentée. 

La raison et la morale ou l'instinct et les plaisirs

Ainsi de la première expérience menée : 159 étudiants se sont vus soumettre les photos d’une jeune fille et d’un jeune homme, Erin et Aaron (voir photo ci-dessus), tous deux plutôt séduisants. Les deux premières photos ne révèlent que leur visage. Les deux photos suivantes montrent leur visage et leur torse dénudé, Erin ne portant qu’un soutien-gorge.
Dans les deux cas, la photo d’origine est la même, celle montrant le visage n’étant qu’un gros plan de la photo de base. Six questions étaient posées au panel : en comparaison d’une personne moyenne, les étudiants devaient dire à quel point la jeune fille ou le jeune homme sont capables d'une part de "se contrôler eux-mêmes", "d'avoir un comportement moral", "de planifier" (trois notions qui renvoient à la capacité d’action), et d'autre part de ressentir du "plaisir", de la "faim" et du "désir" (trois notions renvoyant au ressenti).
Le résultat est net : même personne, même expression faciale et même descriptif présenté avec la photo et pourtant une perception très différente. Quand les étudiants ne voient que le visage d’Aaron ou d’Erin, ils les créditent de plus "d’agency", donc de capacité à agir et à se maîtriser. Quand ils voient ce même visage mais également une partie de leurs torses dénudés, les deux sujets des photos sont crédités de plus d’experience, donc de propension à écouter leur instinct plutôt que leur raison.

Entretien d’embauche et site de rencontre

Donc, plus on apparaît dénudé, plus on renvoie l’image d’un être émotif plutôt que rationnel. La seconde expérience confirme cette thèse. Les chercheurs ont présenté deux photos d’une même jeune fille. Sur l’une, elle a l’air sérieux, comme si elle postulait à un emploi. Sur l’autre, elle cherche à mettre en valeur son charme, comme si elle répondait à une annonce d’un site de rencontre.
Les étudiants devaient regarder chaque photo selon deux perspectives différentes. Ils ont estimé que la capacité d’agir de la jeune fille était bien plus élevée lorsqu’elle paraissait sérieuse que lorsqu’elle mettait en avant son charme. Et quand on a demandé au panel à quel point la jeune file avait l’air "sexy", la photo de l’entretien d‘embauche était sensiblement moins convaincante que celle du site de rencontre.
Les autres expériences confirment la tendance. C'est le cas lorsque des photos montrant une dizaine de personnes tour à tour habillées et nues, mais toujours dans la même position, celle-ci variant, selon les personnes, d’une posture neutre ou sexuellement suggestive. Enfin lorsqu’il s’agit de savoir, entre un jeune homme plutôt beau et musclé et un autre au physique moins parfait, lequel est le plus sensible à la douleur : les réponses varient encore en fonction de s’ils sont présentés habillés ou dévêtus (et donc laissent ou non apparaître leur musculature plus ou moins saillante). 

Notre cerveau est-il kantien ou platonicien? 

Cette étude permet d'éclairer un champ philosophique notamment exploré par Kant sur ce qui arrive quand nous regardons un autre corps. Pour Kant, l'attraction sexuelle fait de l'autre un objet d'appétit et dès que cet appétit est satisfait, la personne est rejetée "comme un citron dont aurait pressé tout le jus". En d'autres termes, regarder une personne nue induit une forme d'aveuglement du cerveau. L'autre est transformé en objet, il devient un vecteur de satisfaction plutôt qu'un personne douée de capacité de raisonnement. De quoi expliquer qu'il ait été constaté que dans les pubs, les femmes soient le plus souvent représentées avec un corps attirant quand les hommes sont plus représentés par leurs visages uniquement, ce qui recouvre les rôles sociaux traditionnels attribués aux deux sexes (femmes émotives contre hommes "pensants").
Or l'étude souligne que la réalité est un peu plus compliquée que cette vision de Kant. La nudité n'induit pas que nous regardions l'autre comme un "objet" mais comme un être plus enclin à se laisser aller à ses émotions qu'à penser.
Nous serions donc des dualistes platoniciens puisque Platon considérait que nous avons deux formes d'esprit, l'une pour la pensée et le raisonnement, l'autre pour les émotions et la passion. Ce qui apparaît dans cette étude, c'est à quel point, nous passons de l'un à l'autre de ces modes de fonctionnement du cerveau.
Ces résultats peuvent à la fois paraitre logiques et surprenants. Qui ne penserait pas, au moins inconsciemment, en voyant un bodybuilder, qu’il agit plus à l’instinct qu’à la raison ? Qui ne trouverait pas qu’une femme, portant des habits larges couvrant son corps, a l’air plus à même de raisonner qu’un top model finement vêtue ? Au-delà de l’expérience, l’étude rappelle à quel point l’apparence conditionne les hommes. Et qu’il est parfois bon d’essayer de réfléchir, justement en contrôlant son instinct. 

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