vendredi 21 octobre 2011
La fin d’un despote insaisissable
La révolution permanente. Mouammar Kadhafi y tenait plus que tout. C’était son inspiration initiale, dans les années 1960, pour prendre le pouvoir sur les traces de Nasser, son modèle. La révolution, c’était aussi son astuce suprême pour envelopper d’un semblant de théorie politique son emprise totale, durant quarante-deux ans, sur le peuple libyen. Sa révolution est finie. Stoppée par une autre révolution qu’il n’avait pas vu venir. Celle des sociétés civiles arabes.
Fantasque, pittoresque, cruel. Kadhafi était un peu tout à la fois. Oscillant entre les figures classiques de la tyrannie et la psychopathologie politique. Produit de la guerre froide, il a été de tous les grands mouvements du demi-siècle passé. Socialisme, panarabisme, panafricanisme, islamisme. Il a même prétendu en être le Guide, son autre obsession.
Personne, en fait, ne l’a jamais vraiment suivi. Longtemps paria de la Ligue arabe, moteur encombrant
pour l’Afrique sub-saharienne, Kadhafi a surtout su naviguer à chaque changement d’époque. Fort, tantôt, des soutiens de Moscou, tantôt de ses pétrodollars.
Kadhafi aura aussi bénéficié des dix ans d’hiver sécuritaire que le 11-Septembre a provoqués dans toute la Méditerranée. L’obsession de la stabilité, de l’approvisionnement énergétique et de l’endiguement des flux migratoires a fait sortir les sociétés civiles nord-africaines des radars européens. Elle a amené les dirigeants occidentaux, français compris, à renouer les relations avec le Guide. Malgré les violations systématiques des droits de l’homme. Malgré le souvenir des victimes des attentats télécommandés par Tripoli.
Le rôle déterminant de l’Otan
Ce qui, toutefois, aura distingué la dictature kadhafiste de ses voisines maghrébines, ce sont les spécificités de la Libye. Pays immense. Riche en ressources naturelles. Conservateur dans l’âme. Sans tradition étatique, si ce n’est quelques vestiges fragiles de la colonisation italienne. L’économie de rente a rendu moins nécessaire la structuration de la société. Kadhafi en a usé et abusé. L’État, c’était lui. Mouammar. Sa sortie de scène laisse d’ailleurs un vide réel particulièrement délicat pour les prochains mois.
Le déroulement des derniers mois donne raison aux protagonistes de l’opération militaire de l’Otan. Elle a joué un rôle déterminant dans le renversement de cette dictature. Nicolas Sarkozy voit là sa diplomatie des manoeuvres audacieuses récompensée, de façon beaucoup plus substantielle que dans le cas de la crise géorgienne.
Nul ne peut regretter le Guide, évidemment, et quiconque a contribué à sa chute, même tardivement, peut à bon droit revendiquer une part du mérite. Contrairement au déplorable comportement français dans le cas tunisien, Paris a su ici peser dans le bon sens. Dont acte.
La mort de Kadhafi vient compléter le processus de libération de toute une frange de l’Afrique du Nord. Le semblant d’équilibre que les dictatures tunisienne, égyptienne et libyenne, prétendaient garantir dans les années 2000 a vécu. Partout, l’heure est à la transition, avec ses espoirs de démocratie mais aussi ses incertitudes et ses fragilités extrêmes. Jamais, depuis la décolonisation, une telle page blanche n’a été à écrire en Méditerranée.
Inscription à :
Publier les commentaires (Atom)
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire