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samedi 8 octobre 2011

Après la mort de Steve Jobs, une tristesse collective étonnante


L'annonce de la mort de Steve Jobs, cofondateur d'Apple, a suscité un flot de réactions élogieuses, comme peu de décès en ont provoqué. Des consommateurs de la marque aux hommes politiques de tous bords en passant par d'anciens concurrents, tous ont salué un génie qui a bouleversé l'humanité.

Pour Nicolas Herpin, sociologue de la consommation, cet engouement posthume est une réaction collective étonnante, pour ne pas dire démesurée. "Certes, c'est un industriel de génie mais il y en a d'autres et ils ne mobilisent pas autant les esprits", rappelle le chercheur à l'observatoire sociologique du changement, le laboratoire sociologique de Sciences Po Paris.

Le sociologue explique cet emballement, qui n'est pas que médiatique, par le parcours de Steve Jobs. Un héros mythologique des temps modernes. "Voilà un homme qui incarne l'image de quelqu'un qui est capable de sortir des produits du néant", estime-t-il. De son garage jusqu'à la une des journaux, le créateur de l'iPhone a une histoire qui fascine, un parcours qui fait rêver les foules. "Il est ce que tout le monde veut devenir, dans une époque où tout le monde est anonyme", estime Nicolas Herpin.

UNE MORT ANNONCÉE

Tout le monde savait que Steve Jobs était en mauvaise santé. Il l'a lui même rappelé en abandonnant la direction du groupe de Cupertino, en août. Et pour Nicolas Herpin, cette mort annoncée change tout. "C'est encore plus touchant. Il nous dit 'Je m'en vais parce que je vais mourir' et le voilà qui meurt tout de suite. Il serait mort vingt ans après, les éloges auraient été moins nombreux", argue le chercheur avant de rappeler que la mort de François Mitterrand, quelques semaines après la fin de son mandat, avait suscité le même type de réactions. Un engouement qui laisse peu de place à la critique constructive.

Si certains ont rappelé le mauvais caractère de Steve Jobs ou pointé du doigt les conditions de travail des ouvriers chinois de l'usine de Foxconn, d'autres comme le maire de New York, Michael Bloomberg, ou des centaines d'utilisateurs de Twitter n'hésitent pas à comparer Steve Jobs aux plus grands scientifiques, comme Einstein ou Léonard de Vinci. "Du délire !", s'insurge Michel Dubois, sociologue des sciences au CNRS, pour qui Steve Jobs n'est qu'"un industriel" parmi d'autres.

Selon lui, Steve Jobs n'a rien d'un homme de sciences. Parce qu'il ne s'est pas attaqué à la recherche fondamentale, la plus prestigieuse. Mais surtout parce que sa logique industrielle est contraire à l'esprit scientifique. "Apple s'est construite sur une logique de propriété avec des verrouillages de tous les côtés. Steve Jobs n'a jamais joué le jeu académique de la diffusion des idées", rappelle l'universitaire.

LA PERTE DE STEVE JOBS, LA PERTE DE SOI ?

Si l'émotion a étreint l'espace public, c'est bien parce que "l'attachement à un iPhone ou à son ordinateur portable relève sans doute d'une logique comparable à celle qui régit l'attachement à un souvenir de famille ou un objet de collection", présume Thierry Bonnot, sociologue à l'Ecole des hautes études en sciences sociales, qui analyse notre rapport aux objets.

Nicolas Herpin abonde. "Son mérite est d'avoir poussé le consommateur à s'identifier aux objets. Autrefois, personne n'aurait imaginé que le téléphone devienne un produit individualisé." Et comment s'est-il personnalisé ? "Grâce à la culture", explique le sociologue. En incluant musique et cinéma dans un objet aux vertus principalement utilitaires, Steve Jobs a permis à ses consommateurs d'y mettre un peu de leur personnalité. En perdant Steve Jobs, les consommateurs de ses produits doivent-ils faire le deuil d'une part d'eux-mêmes ?

Si le deuil est collectif, il ne concerne qu'une minorité. "Il y a des milliards d'êtres humains que la disparition de Steve Jobs laisse froids, soit qu'ils n'en aient jamais entendu parler, soit qu'ils n'utilisent jamais ni iPhone, ni iPad, parce qu'ils n'ont pas les moyens de le faire", rappelle Thierry Bonnot.

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