La question n'est pas nouvelle. Déjà, le 7 juillet 2010, l'économiste Mark Cliffe envisageait l'hypothèse dans son étude "quantifier l'impensable". Mais il évoquait des conséquences soi-disant trop dures pour qu'on la laisse devenir réalité. "La Grèce connaîtrait une récession de 7% la première année et l'euro-zone de 1%" prédisait-il. Cela n'empêche pas certains politiques de l'envisager en 2011. "Le scénario d'un éloignement de la Grèce de l'euro est désormais sur la table", déclarait ainsi la commissaire grecque à la Pêche en mai dernier. Mais c'était avant le vote d'un nouveau plan de soutien au pays censé tout régler une fois pour toute.
Le problème, c'est que la capacité - ou la volonté-, de la Grèce de vraiment réduire ses déficits est aujourd'hui clairement mise en cause. Du coup, certains Etats ne se gênent plus pour menacer clairement le pays. Les Pays-Bas ont ainsi pris la tête de la fronde anti-Grèce. Le ministre des finances hollandais a réclamé jeudi une exclusion de la zone euro en cas de non-respect du Pacte de stabilité. La veille déjà, son Premier Ministre évoquait la création d'un poste de commissaire européen chargé de surveiller les comptes publics... Et de faire sortir les mauvais élèves de la zone euro.
La Finlande n'a pas encore franchi le pas. Mais elle y est poussée par le "Parti des vrais finlandais", très eurosceptique, qui réclame la sortie de la Grèce de l'euro. Pour l'instant le gouvernement menace de ne pas participer au second plan de sauvetage si des garanties ne lui sont pas apportées. Le pays a lui-même traversé une période noire de récession, avant d'intégrer la zone euro en 1995. Il proteste contre le manque de discipline grecque. Reste qu'avec au maximum 4% de participation au montant total du Fonds européen de stabilité financière (FESF), la menace ne remet pas en cause le plan. Du moins pour l'instant. "Attention à l'effet d'entrainement. Si les finlandais refusent de payer, d'autres pourraient s'y mettre sous la pression de leur opinion. Si ça commence comme cela on est perdus ", craint Philippe Martin, professeur d'économie à Science Po.
L'effet domino a pourtant bel et bien commencé. La Slovaquie a repoussé le vote du FESF à décembre. Le Premier Ministre Richard Sulik l'a même qualifié "d'outil pour produire davantage de dette". Quant à l'Estonie, son ministre des finances juge " illogique" ne pas envisager la faillite du pays. Le pays a dû mettre de sévère réformes économiques en marche par le passé, avant d'être intégrée à la zone euro en début d'année.
Ce clan d'euro-sceptiques tape du poing sur la table alors que les comptes grecs sont en pleine déconfiture. Au 2e trimestre la récession s'est chiffrée à -7,3%. Et "l'objectif de 17 milliards d'euros de déficits prévu en 2011 sera explosé. En juillet le pays était déjà à 15,5 milliards. Idem pour la récéssion annuelle qui tournera plutôt à -5% au lieu de -3,5%", constate Céline Antonin, économiste à l'OFCE.
Si le scénario noir de la sortie de l'euro se concrétisait, quels impacts ? Selon une récente étude d'UBS, la sortie de l'euro d'un Etat en difficulté comprendrait un défaut souverain, un défaut des entreprises sur leurs emprunts, mais aussi l'effondrement du système bancaire et du commerce international. Au total, UBS estime que le coût de sortie de la zone euro d'un pays en difficulté - tel que la Grèce, l'Irlande ou le Portugal - atteindrait entre 40 à 50% de son produit intérieur brut, soit 9.500 à 11.500 euros par habitant.
Avec des conséquences pour l'ensemble de l'Europe. "Cela pourrait créér un appel d'air pour l'Italie et l'Espagne, des pays fragiles actuellement. On peut même envisager que l'Allemagne en sorte", craint Céline Antonin. Si la Grèce était amenée à quitter l'euro, l'impact serait aussi désastreux pour les banques exposées à la dette du pays. Mais François-Marc Durand, associé-gérant au sein de la Lazard Frères Gestion ne veut pas croire à l'éclatement de l'euro. " Cette anticipation ne tient pas sur des éléments crédibles. Elle est davantage l'objet d'une discussion de salon que d'une réelle réflexion. "Mais selon Philippe Martin le scénario reste possible. "Je n'exclus plus aujourd'hui que la Grèce en sorte. Il y a eu dans le passé des zones monétaires qui ont éclaté. Et cela n'a pas forcément été une catastrophe".
Bruxelles tente tant bien que mal de couper court à ce scénario noir. "Aucune sortie, ni expulsion de la zone euro n'est possible d'après le traité de Lisbonne. La participation à la zone euro est irrévocable", a répliqué jeudi le porte-parole de la Commission européenne.
La France, quant à elle, a été le premier pays à voter le plan d'aide jeudi. Mais on échafaude déjà des scénarios de crise en cas d'échec dans d'autres pays. Le président français de l'Autorité des marchés financiers évoque une mise sous tutelle au cas ou le plan d'aide ne marcherait pas. Selon Jean-Pierre Jouyet, "La solidarité, elle ne se voit pas d'un seul côté. Elle vaut aussi de la part des Grecs vis-à-vis des autres". Une procédure qui n'est aujourd'hui pas prévu par les traités. Mais le principe serait "de la même manière qu'en France où les collectivités peuvent être sous tutelle de l'Etat ", une administration des comptes de la Grèce par Bruxelles, selon l'économiste Nicolas Bouzou.
L'Allemagne prépare quant à elle le vote du FESF au Parlement, mais des fissures apparaissent. Une partie des libéraux comme des chrétiens-démocrates menacent de ne pas voter le texte. Et le ministre des finances Wolfgang Schäuble n'a pas mâché ses mots sur la volonté grecque de prendre son problème à bras le corps. "Je comprends qu'il y ait de la résistance aux mesures d'austérité au sein du peuple grec, mais au final, c'est à la Grèce de savoir si elle peut remplir les conditions qui sont nécessaires pour faire partie des membres de la devise commune" a-t-il déclaré jeudi sur une radio allemande. Des propos qui tranchent avec ceux d'Angela Merkel. La chancelière avait exclu lundi toute sortie de la zone euro d'un Etat membre en difficulté, estimant qu'une telle issue produirait un "effet domino" dangereux.
Et après l'autorisation du premier plan d'aide par la Cour constitutionnelle allemande, des doutes persistent. La Cour Karlsruhe a certes autorisé la participation de l'Allemagne au Fonds de secours européen mais a interdit le recours aux obligations européennes, un instrument qui permettrait de mutualiser les risques des pays en difficultés. Et a soumis chaque grande décision européenne à la validation du Parlement "au cas par cas". Des choix qui rendront sans doute plus compliqués les éventuels plans d'urgence à d'autres Etats de la zone euro.
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