Quand, envoyé spécial des DNA, je suis arrivé à New York le 15 septembre 2001 dans l’un des premiers avions qui avaient pu s’y poser après quatre jours de fermeture de l’espace aérien — un siècle pour l’Amérique ! — j’ai trouvé une ville hébétée, avec le sentiment d’atterrir sur le tournage d’un film catastrophe. Les ombres — fantomatiques dans la lumière des projecteurs — de l’énorme panache de fumée qui s’élevait encore au-dessus de Ground Zero, les barrages qui filtraient l’accès à Manhattan avec GI’s en armes et tenue de combat, le quartier de Wall Street bouclé, les avenues, d’ordinaire trépidantes à cette heure de la soirée, désertées, et Time Square quasiment vide… à 21 h 00.
Dans cette ville plongée dans un état si singulier pour elle, inédit — elle était à l’arrêt — les clignotements inlassables des néons semblaient totalement décalés, comme des pulsations presque obscènes. Des images « de jour d’après » ou de guerre des mondes, séquences auxquelles les New-Yorkais peinaient à croire qu’elles étaient bien réelles parce qu’ils n’avaient jamais imaginé devoir les vivre autrement que sur un écran de cinéma. Au fur et à mesure qu’ils prenaient conscience de l’ampleur de la tragédie, il était clair qu’ils ne pourraient jamais oublier l’irruption de ce sentiment de vulnérabilité dans leur existence.
Cette violence-là, inconnue dans une ville qui, pourtant, en expérimentait bien d’autres, avait immédiatement entraîné un traumatisme profond, d’autant plus sévère que les crashes des Boeing dans les tours du World Trade Center avait été ressentis comme une agression contre un symbole de l’occident. Comme un viol ciblé, aussi.
La métropole en était profondément, durablement et intimement marquée. Bien au-delà du drame géopolitique planétaire qui venait de se jouer ici, c’était d’abord un drame personnel pour la cité. On pressentait déjà qu’elle avait définitivement perdu dans l’attentat cette insaisissable légèreté qui avait toujours fait partie de son identité.
Elle peinait d’autant plus à faire son deuil que la montagne de gravats des Twin Towers ne rendait que très peu de corps et qu’il n’y avait, dans les hôpitaux, que peu de blessés, hormis les sauveteurs intoxiqués. Entre les morts — cadavres invisibles — et les vivants, incrédules, il n’y avait plus rien. Plus ce lien physique entre deux mondes qui permet d’affronter les tragédies.
Avec la formidable énergie dont Big Apple, formidable dynamo, est capable de déployer, la vie, heureusement, a fini par reprendre ses droits.
New York s’est découvert de nouvelles solidarités héritées de ces milliers de lumières posées dans les squares en hommage aux disparus. Mais le choc psychologique du « 9-11 » a aussi laissé derrière lui, des ondes de stress et de peur qui mettront encore des années pour se dissiper. New York, on peut en être sûrs, finira par en venir à bout.
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