TOUT EST DIT

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jeudi 1 septembre 2011

Haro sur le “tourisme de la cuite”

Après les émeutes sur la Costa Brava et plusieurs chutes mortelles de balcons d’hôtels à Majorque, les autorités espagnoles cherchent des moyens de sévir contre le tourisme alcoolique. 

Depuis des décennies, l’Espagne s’est montrée très complaisante vis-à-vis des touristes étrangers qui viennent chaque année consommer des océans d’alcool dans ses stations balnéaires. Ce n’est plus le cas. Sur la Costa Brava, à Lloret de Mar, l’une plus grandes destinations espagnoles de tourisme de masse, la fête est bel et bien finie. Au mois d’août, les forces de l’ordre ont tiré à balles de caoutchouc pour disperser des bandes de fêtards éméchés et déchaînés qui défonçaient des vitrines à coups de pieds et ont incendié une voiture de police.
Deux nuits durant, les affrontements se sont poursuivis jusqu’à 7 heures du matin. Bilan : vingt blessés, dont neuf policiers, et vingt arrestations. Fait révélateur, dans cette ville de 40 000 habitants qui ne compte pas moins de 25 discothèques, 261 bars et accueille près d’un million de touristes par an, tous les émeutiers interpellés étaient des ressortissants étrangers.

Avec les oxy-shots, plus besoin de boire pour se soûler

L’affaire n’est pas nouvelle : en 2004, quand, après des incidents similaires, le ministre de l’Intérieur catalan de l’époque avait inventé l’expression "tourisme de la cuite", les autorités avaient déjà promis un grand coup de propre. Aujourd’hui, après la mort d’un touriste britannique de 15 ans, Andrew Milroy, poignardé devant une boîte de nuit, elles se disent plus déterminées que jamais à sévir : "Nous avons touché le fond dans cette affaire, s’exaspère Roma Codina, maire de Lloret de Mar. Nous allons fermer les bars qui posent le plus de problèmes et interdire la prostitution dans les espaces publics." Pour faire bonne mesure, les heures de fermeture des discothèques seront plus strictement encadrées et la consommation d’alcool des mineurs sévèrement réprimée. La présence policière a par ailleurs été massivement renforcée.
Mais un retour à la normale était à peine amorcé à Lloret de Mar, que les choses dégénéraient ailleurs. Récemment, les autorités des îles Baléares ont mis en garde contre une nouvelle vague de décès dues au "balconing", grand jeu des touristes éméchés qui plongent dans une piscine depuis le balcon de leur chambre d’hôtel. A Ibiza et à Majorque, cette pratique a déjà fait trois morts cette année – deux Britanniques et un Italien, tous trois âgés d’une vingtaine d’années – et plus d’une douzaine de blessés. Les propriétaires d’hôtels de Majorque ont annoncé qu’ils allaient surélever les garde-corps et les cloisons séparant les balcons. Les campagnes de sensibilisation dans les pays d’origine des touristes que réclamaient certains habitants se sont en fait résumées à de simples prospectus expliquant les risques qu’il y avait à se jeter la tête la première d’un balcon.
Il y a peu encore, à Magaluf, il n’y avait même plus besoin de boire pour se soûler : le 25 août, la police a confisqué à tous les bars et discothèques de la ville leurs inhalateurs "oxy-shot", qui vaporisent l’alcool et permettent à l’organisme d’en absorber dix à vingt fois plus vite que sous forme liquide. Ce mode de consommation qui fait fureur à Majorque est désormais interdit. "Les oxy-shots peuvent détruire les poumons, car contrairement à l’alcool liquide métabolisée par le foie, ce mode d’absorption n’offre aucun moyen d’éliminer les toxines", explique José Cabrera, toxicologue.

Des happy hours qui se prolongent jusqu'en fin de matinée

Mais bien entendu, certains savent encore se tenir. "La grande majorité des touristes vient simplement passer de bonnes vacances et s’amuser", concède un Espagnol qui n’a accepté d’être identifié que sous les initiales MLC. Il livre de la bière depuis douze ans à El Arenal et à Magaluf – que les Espagnols appellent les deux grands "ghettos" allemand et britannique de Majorque. "Mais j’ai remarqué que les gros buveurs sont plus jeunes – ils ont entre 15 ou 16 ans –, boivent davantage, et sont plus violents qu’auparavant. Pour moi, il n’est pas question d’aller dans ces ghettos tout seul. J’aurais trop peur. Enfin, du moins dans le ghetto britannique. Les Allemands, passe encore : ils picolent mais se contentent de chanter à tue-tête."
Il est vrai qu’à une heure du matin un samedi soir à Benidorm, sur une place rebaptisée "British Square", l’atmosphère est tout sauf calme. La première chose que l’on remarque est que l’on n’entend pas un mot d’espagnol, pas plus qu’on ne le lit dans la jungle de panneaux et enseignes publicitaires pour des pintes de bière, des pies et des matchs de football. De longues files de fêtards croisent en titubant et en zigzaguant d’immenses troupes de buveurs devant une rangée de bars en plein air, tous affublés de noms à l’anglaise, tels Piccadilly, Carnaby Street ou The Red Lion.
On boit – beaucoup – mais personne n’est encore malade, et je ne vois pas la moindre bagarre ; il y a même quelques familles, dont les gamins de six ou sept ans traînent dans les parages. Lorsque des violences éclatent, à en croire les résidants britanniques, elles sont généralement circonscrites à une zone particulière : "C’est vers le British Square que l’on voit des jeunes gens s’effondrer et vomir", assure Tracy, serveuse au Duke of Wellington, l’un des plus anciens pubs anglais de Benidorm.
Les Européens du Nord sont si demandeurs de vacances alcoolisées à bas prix – des voyagistes proposent des formules d’une semaine tout compris à pas plus de 200€ – que depuis trois ans, la région d’Alicante a perdu une demi-douzaine de ses hôtels cinq étoiles les plus emblématiques. "On voit maintenant des happy hours qui se prolongent jusqu’en fin de matinée", confirme MLC.
A Barcelone, troisième destination européenne des fêtards britanniques, les happy hours sont interdites depuis deux ans. Mais à Benidorm et dans d’autres stations, la guerre des prix a atteint des extrêmes grotesques. Fin août à Benidorm, le cubata de vodka – un cocktail espagnol contenant généralement trois ou quatre doses britanniques – coûtait 4 €, et la pinte (un demi-litre) de bière blonde 1 € "jusqu’au premier but du match de la Ligue".
Or, les Espagnols sont en train de comprendre que ces offres sont une arme à double tranchant. L’alcool à bas prix attire certes davantage de clientèle, mais il se traduit également pas une multiplication des agressions irresponsables et des jeux idiots. Tant que ce cercle vicieux ne sera pas rompu, il risque d’être très difficile d’inverser certaines tendances.

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