TOUT EST DIT

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dimanche 3 juillet 2011

Colonel Chabert

Il était colonel de la Grande Armée, disparu à Eylau, réapparaissant dix ans plus tard à Paris, pour trouver son épouse remariée, ses biens accaparés et sa vérité effacée. Il s’appelait Chabert, héros balzacien, et il finit ses jours en reclus, ressuscité indésirable d’être mort trop longtemps.
Chabert avait perdu dix ans, Dominique Strauss-Kahn n’aura connu que six semaines d’enfer : mais six semaines, de nos jours, semblent valoir l’éternité. Rendu à la vie par la justice américaine, il perturbe déjà des camarades, inquiets qu’il puisse réclamer ce qui devait être sa place : la première. Ces "pas touche au calendrier de la primaire" sont mesquins et paradoxaux : alors que Martine Aubry a été une amie fidèle et attentive des Strauss-Kahn, ce sont ses partisans qui cadenassent la primaire : l’amie est aussi la remplaçante, et la politique ne rend pas gentil.

Cette histoire est stupide et logique à la fois. Stupide parce que précipitée : nul ne sait ce que voudra Dominique Strauss-Kahn totalement blanchi. Nul ne sait ce qu’il pensera, de lui-même et de nous et de nos bavardages, et des déballages crapoteux que sa tragédie a provoqués. Quelles seront chez lui les parts de la revanche et de la fatigue, de la force et du dégoût, de l’envie de tout reprendre et de la conscience de la vanité? En attendant, nous l’instrumentalisons à nos feuilletons et nos désirs. 
Ou à nos besoins?

C’est l’autre aspect du problème : le 28 juin dernier, deux jours avant son sauvetage, Dominique Strauss-Kahn avait vu le vieux monde poursuivre sa route sans lui ; le même jour, Christine Lagarde le remplaçait au FMI, Martine Aubry à la primaire, et la crise grecque atteignait le climax. Laissons ici Lagarde à sa chance. Mais restons sur Aubry, entrée en campagne dans un discours d’une gauche toute d’opposition et résolument gauloise, et ne trouvant pas un mot pour analyser l’austérité imposée au peuple grec par un gouvernement socialiste, lui-même contraint par l’Europe, elle-même tenue par la peur de l’effet domino de la faillite grecque.

C’est ici que Strauss-Kahn manquait, au-delà de la tragédie. En dépit de l’amitié et de tous les pactes, il était radicalement différent de Martine Aubry : à gauche, le seul homme d’État capable de rendre la France au monde ; ou au moins, le seul capable de structurer un projet politique sur les questions internationales et européennes. DSK disparu, la campagne socialiste était rentrée dans une bulle tricolore. DSK libre à nouveau, sa différence revient, et elle réveille l’envie d’ailleurs. Instantanément, en dépit de lui-même, et quoi qu’il en pense. Ce qu’il en fera lui appartient, et rien ne pourra contraindre un homme qui a failli se faire voler sa vie. Mais DSK le sait, et tous les socialistes : Chabert, ici, est un sujet politique.

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