Maintenant, on sait. On l’a vu. Vécu en direct. Jusqu’à la catastrophe de Fukushima, le danger nucléaire restait une abstraction. Personne n’imaginait qu’un incident dans une centrale d’une grande puissance technologique, pourrait dégénérer à ce point pour devenir totalement incontrôlable. Personne n’imaginait cette terrible impuissance à arrêter la course irrésistible de six réacteurs s’emballant vers l’enfer. Vers une fusion mortelle. Nous assistons au spectacle, tant redouté par les films d’anticipation, de l’homme incapable de dominer sa création. Et nous avons compris qu’un seul accident peut avoir des conséquences immenses, et pour des siècles.
Fukushima marque une rupture dans l’histoire de notre monde contemporain. Une césure dans notre imaginaire. Il y aura désormais un avant et un après. La tranquille représentation d’une rassurante sécurité nucléaire, cette confiance inconsciente qui nous habitait, a volé en éclats avec la réalité d’une situation où les équipes les plus expérimentées semblent dépassées par les événements. Perdues. Réduites à l’improvisation. À d’expédients pour tenter de refroidir un combustible indomptable. Bataillant pour trouver l’eau nécessaire aux piscines de refroidissement. Et Tokyo..., d’ordinaire trépidante et intrépide, pétrifiée par l’attente angoissée d’un adversaire invisible: le nuage radioactif.
Il y avait eu Tchernobyl, oui, mais c’était différent. Une centrale déglinguée que l’impéritie d’un régime soviétique à bout de souffle avait menée jusqu’à l’explosion: au moins il y avait une explication qui soulageait notre inquiétude. Là, nous sommes au Japon, vanté jusque-là, pour son exemplaire politique de précaution... et qui ne peut rien faire pour éviter le pire.
Il n’y a aucune indécence à s’interroger sur les périls d’une aussi redoutable énergie. Ce n’est pas de la peur frileuse et égoïste d’un Occident protégé des tsunamis... Car ce drame n’est pas seulement japonais. C’est aussi celui d’une humanité confrontée aux méfaits durables de l’héritage empoisonné qu’elle laissera aux générations futures. Cette tragédie, qui fatalement se reproduira un jour, ailleurs et pour d’autres raisons, est-ce donc le prix à payer pour perpétuer nos modes de vie développés? Si on répond froidement oui, c’est effrayant de cynisme. Mais si on répond non, rien ne sert de pleurnicher. Il faudra aller au bout de la logique, dépasser la contradiction d’une société confortable et aboutir à la nécessité d’un autre monde, plus raisonnable. Ce qui signifie, sous une forme ou sous une autre, envisager l’impensable décroissance...
C’est un choix. Un vrai choix qui se présente à nous, loin des polémiques politiques et des petits calculs électoraux. Nous avons le devoir d’y réfléchir sereinement. C’est bien le moins que nous devons à nos frères japonais.
0 commentaires:
Enregistrer un commentaire