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dimanche 19 décembre 2010

La flamme de l'hélléniste Jacqueline de Romilly s'est éteinte

La grande helléniste Jacqueline de Romilly, décédée samedi à l'âge de 97 ans, incarnait l'enseignement des études grecques classiques en France ainsi qu'une conception exigeante et humaniste de la culture.
Académicienne, Jacqueline de Romilly a écrit une oeuvre considérable sur cette Athènes du Ve siècle (d'avant JC) d'où «tout est sorti brusquement»: la philosophie, l'histoire, la tragédie, la comédie, les sophistes.
«Emerveillée» par cette époque, elle a ainsi beaucoup travaillé sur l'historien Thucydide (un des «hommes de sa vie», disait-elle), Homère, Eschyle ou Euripide. On lui doit également un livre sur la Provence, un roman et quatre volumes de nouvelles.
«Je regrette que l'on n'oeuvre pas suffisamment pour ce qui développe la formation de l'esprit par la culture, par les textes et l'intimité avec les grands auteurs, perdant ainsi un contact précieux avec ce que les autres ont pensé avant nous», estimait-elle.
Ceux qui ont rencontré cette petite dame pétillante aux cheveux blancs constataient que le grec la rendait heureuse, tant elle se montrait habitée par une profonde tranquillité intérieure, passionnée et pleine d'humour dans ses propos, malgré une cécité des dernières années.
Jacqueline David est née le 26 mars 1913 à Chartres (Eure-et-Loir). Son père, juif, normalien, philosophe, est tué au front quand elle a un an. Sa mère, romancière, l'élève. Elle rencontre un homme «aux trois quarts juif» dont elle divorcera. Sa famille s'appelle Worms et possède «Le Petit Echo de la mode». «Au moment de la Révolution française, dira l'hélléniste, les Worms avaient acheté le château de Romilly, ajouté froidement +de Romilly+ et s'étaient appelés Worms de Romilly».
Elle est tour à tour la première lauréate au Concours général, la première normalienne intégrant la rue d'Ulm, la première femme, en 1973, professeur au Collège de France. Elle ne fut toutefois que la deuxième, en 1989, après Marguerite Yourcenar, à siéger à l'Académie française, après avoir enregistré un premier échec.
La modernité des Grecs anciens l'intéressait plus que la mythologie à proprement parler. Elle admirait cette démocratie qui a eu le mérite d'avoir été inventée là, même si elle excluait nombre de catégories, notamment les femmes et les esclaves.
Jacqueline de Romilly savait parler de la pertinence de cette période historique dans l'Europe actuelle.
«On veut que les enfants sachent ce qui se passe autour d'eux. Mais quelle merveille de découvrir un monde autre pendant une heure. Pourquoi tirerait-on davantage d'une rencontre avec n'importe qui que d'un tête-à-tête avec Andromaque ou Hector ?», demandait-elle.
Elle déplorait que l'ensemble des connaissances soit aujourd'hui miné par l'utilitarisme. Sous-entendu: une société qui néglige Homère finira par oublier Voltaire.
Pour elle, le grec ancien devrait être accessible à tous. Elle a d'ailleurs écrit la préface de la seconde édition de l'Assimil du grec ancien, qui fut un inattendu best-seller.
Grand Croix de la légion d'honneur - seule une poignée de femmes y a eu droit -, Jacqueline de Romilly disait avec malice ne pas avoir eu, «bien sûr», la vie qu'elle souhaitait: «Avoir été juive sous l'Occupation, finir seule, presque aveugle, sans enfants et sans famille, est-ce vraiment sensationnel ? Mais ma vie de professeur a été, d'un bout à l'autre, celle que je souhaitais».
Ni nostalgie pourtant, ni pessimisme chez cette grande intellectuelle qui jugeait les années 2000 «inquiétantes et pleines de périls», mais restait confiante dans la «possibilité humaine de se reprendre, de se redresser et, avec l'aide du passé, d'inventer quelque chose de mieux».
Les Grecs contemporains l'adoraient et lui avaient souvent exprimé leur gratitude. Membre correspondant étranger de l'Académie d'Athènes, Jacqueline de Romilly avait obtenu la nationalité grecque en 1995 et avait été nommée ambassadrice de l'hellénisme en 2000.

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