TOUT EST DIT

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samedi 31 juillet 2010

Le paradoxe de la folie, entre absence et omniprésence

L'acteur législatif s'est récemment prononcé sur les conditions d'exercice du métier de psychothérapeute. Désormais, un temps de formation et des garanties juridiques seront exigés de la part de ceux qui prétendent recevoir des patients en psychothérapie à l'exception des seuls médecins psychiatres.

Certains en ont conclu, non sans rappeler les travaux de Michel Foucault sur le pouvoir médical, que cette faveur traduisait une recrudescence de la volonté de médicaliser la folie. Ce qui est discutable dans la mesure où le plus frappant est l'absence quasi totale d'un débat sur la folie dans notre société. Comme si celle-ci, au-delà des droits et de l'approche disciplinaire, était absente, hors présence, hors jeu, refoulée...

Les années de l'antipsychiatrie, les années Laing, les pratiques de rue dans les villes italiennes, le rôle de La Borde ou d'autres institutions légendaires sont oubliés et passés littéralement à la trappe. La folie ne donne plus guère à penser et les lits pour malades mentaux sont démesurément réduits alors même que les sciences cognitives ont pris le dessus au sein des facultés de médecine en charge de la formation des rares psychiatres. Rien ne vaut une bonne connaissance du cerveau et des médicaments ad hoc, parler de la douleur, celle qui rend fou parce que insupportable, fait perdre du temps et de l'argent. On aurait bien du mal à refaire aujourd'hui le numéro ­d'Esprit publié en 1952, porté entre autres par le psychiatre Henri Ey, intitulé Misère de la psychiatrie. On peinerait à promouvoir encore les expériences de psychiatrie de secteur valorisées dans cette revue par Jacques Hochman dans les années 1970.

Pourtant, un paradoxe n'est pas suffisamment pris en compte. La folie est évacuée des institutions et des discours mais elle est omniprésente autour de nous. Il n'est pas indispensable d'être un psychothérapeute averti pour observer que la maladie mentale se promène désormais dans les rues. En ce sens, nous vivons involontairement l'expérience italienne des années 1970 qui avait mis les malades mentaux dans les rues. Si le président Sarkozy s'en prend d'abord aux récidivistes sexuels et craint les passages à l'acte, il ne se préoccupe guère de ces fous errants qui traînent leur misère corporelle et psychique dans les rues, il ne s'y intéresse que s'ils « pètent les plombs » et deviennent violents.

Les économies à opérer dans le service public médical justifient-elles de mettre tous les maux sur le même plan ? Les médicaments sont-ils une contrepartie suffisante à l'absence d'écoute et de paroles ? Mais que représente donc cette société qui jette dehors ceux qui ne se sentent pas bien et ne leur offrent comme espaces d'accueil provisoires, comme aux toxicomanes, que des prisons devenues des jungles humaines ?

Telle est la situation : on vit dans un monde apparemment sans folie alors même que fous et malades mentaux font peur car ils sont partout et nulle part. Il y a là quelque chose de déroutant dans cette époque qui se veut sans folie, précautionneuse alors qu'elle fonctionne pourtant « à la folie ».

Luc Moullet, un cinéaste iconoclaste, a réalisé récemment La terre de la folie, un film inattendu sur ce qu'il appelle le triangle de la folie (un triangle géographique autour de la ville de Digne dans les Alpes-de-Haute-Provence). Mais on peut lui signaler que la folie est contagieuse et atteint des zones qui ne sont ni rurales, ni montagnardes, ni en déshérence. Les plus hautes solitudes et les souffrances extrêmes ne sont pas le propre des mondes retirés. La folie est là et bien là, elle est le fait d'un monde où il n'y a plus de valeur que l'argent pour se mesurer les uns aux autres puisque « je ne vaux que ce que je coûte ». Dans ce monde de folie qui vit au rythme boursier du Cac 40 et des crises à répétition, le fou est cependant absent puisqu'il ne vaut rien et ne doit donc rien coûter.

Alors qu'on n'en finit plus d'attendre le passage à l'acte du trader fou, les « pétages de plomb » de la finance, il y a une folie globale à l'origine de la chape de plomb qui pèse sur la folie elle-même car on sent bien que cette société disjoncte. Bien des comportements sont qualifiés de fous, à commencer par ceux des pyromanes en tous gen­res, à la Bourse ou ailleurs, qui ne savent pas que l'argent rend fou.

Une société qui ne sait pas parler de sa folie est un monde qui se croit surhumain et a oublié que la part de folie de chacun d'entre nous, ces zones border-line où l'humain est bancal, est l'affaire de tous. Pour ne pas voir notre propre folie partagée, on met les fous à la rue pour surtout ne pas en parler.

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