TOUT EST DIT

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vendredi 4 juin 2010

Michel Serres et le grand désarroi du monde

Le grand philosophe n'a cessé de décrire les bouleversements de la planète. En préambule aux « interviews d'avenir » qui ponctuent ce numéro spécial, il nous parle de crise et de renaissance. Parlons du présent avec...


Crises financière, économique, démographique, culturelle... Que nous arrive-t-il ?

Une sorte d'immense faille s'est ouverte sous nos pieds. Le paysage humain s'est radicalement transformé en quelques décennies. Par contre, nos institutions n'ont pratiquement pas changé. D'où un grand désarroi. Mon intuition est que nous vivons un changement décisif, comme le monde en a très rarement connu : à la fin de l'empire romain, à la Renaissance.

À quelles transformations majeures pensez-vous ?

L'humanité, qui était paysanne depuis des milliers d'années, ne l'est plus. À ma naissance, nous étions un milliard et demi d'humains, nous sommes six milliards. Demain, nous serons neuf milliards. En un siècle, l'espérance de vie a doublé. Tout a changé : nos rapports au corps, à la vie, à la mort, aux savoirs, à la nature... Comment s'étonner, dès lors, que l'enseignement, la politique, la justice, les hôpitaux, soient en crise, en France, comme ailleurs ?

Dans ce tableau des grands changements humains, y en a-t-il un qui vous réjouit ?

La paix ! Ma vie entre l'âge de 6 ans et 25 ans a été marquée par la guerre. La guerre d'Espagne et ses réfugiés que l'on recueillait dans mon Sud-Ouest natal. La Seconde Guerre mondiale. La Shoah. Les guerres coloniales. La guerre d'Algérie où j'étais soldat. Jamais l'Europe n'a connu soixante ans sans guerre depuis la guerre de Troie. En 14-18, on peut le lire sur les monuments aux morts, des villages perdaient tous leurs fils. En 39-45, à nouveau des victimes par dizaines de millions. Vous imaginez l'Occident sacrifier ainsi aujourd'hui ses enfants ? Impossible. Je ne connais pas meilleure nouvelle ! Fragile, l'Europe ? Non. Nous tenons tous à la paix.

Nos institutions ont peu changé, dites-vous. Pourtant, le pouvoir semble être passé aux mains de la grande finance. Non ?

On a vu s'effacer effectivement, progressivement, les pouvoirs religieux, militaires, politiques. Celui de la grande finance a sans doute été décuplé, mais son pouvoir est extrêmement fragile. D'une certaine manière, la crise de la finance appartient à la liste des changements observés. L'essentiel aujourd'hui est que les gens comprennent que nous traversons une période exceptionnelle, et non pas une crise de plus.

Vous décrivez aussi une humanité avide de spectacles, de jeux, souvent coupée du monde réel ?

Il est vrai que nous vivons dans une société du spectacle. Mais, parallèlement, je crois que chaque individu dispose de davantage de responsabilité et d'efficacité qu'autrefois. Nous avons longtemps fonctionné dans un cadre étroit : la tribu, la famille, le village... Désormais, l'individu peut tenir son destin entre ses mains. Je ne suis pas pessimiste.

Si vous aviez le pouvoir de créer une nouvelle institution, par laquelle commenceriez-vous ?

Je plaide depuis longtemps en faveur d'un parlement planétaire de défense de la nature, où les scientifiques y auraient toute leur place. On a beaucoup parlé de la conférence de Copenhague sur le climat. De son échec. Mais, pour la première fois à cette échelle, la communauté des savants et la communauté des politiques ont pu discuter de l'avenir de la planète. J'y vois un bon signe.


Recueilli parBernard LE SOLLEU.

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