Grand artisan de la construction européenne, Jacques Delors s'interroge sur l'avenir de l'Union et ses maux : une question d'état d'esprit, selon lui.
Parlons d'avenir avec...
Jacques Delors.
Ancien président de la Commission européenne.
Quels sont les grands défis que l'Europe va devoir relever d'ici à 2020 ?
Le principal défi est avant tout une question d'état d'esprit. La construction européenne n'a jamais été un long fleuve tranquille, mais plusieurs facteurs accentuent les difficultés. La globalisation perturbe les citoyens et les amène à demander davantage de nation, d'État. Avec la crise, certains responsables jouent volontiers de la corde populiste ou nationaliste. Notre société est caractérisée par un individualisme exacerbé qui amène les gens à se replier sur eux-mêmes. Le climat n'est pas propice à l'union des États européens. Le premier travail à faire c'est celui d'une prise de conscience de nos solidarités de fait : l'union fait la force. Cela exige un grand travail de pédagogie des gouvernements, même si actuellement, c'est le cadet de leurs soucis.
Sur le plan économique et social, quels sont les enjeux ?
L'Europe a le choix entre la survie ou le déclin. La compétitivité économique n'est pas seule en jeu, il en va aussi de nos systèmes sociaux, du Welfare, une création européenne. Ce système a fonctionné sur un double compromis entre le marché et les institutions publiques, et entre le capital et le travail. Il est maintenant d'autant plus remis en question que la démographie parle. En 1945, les Européens représentaient 15 % de la population mondiale, aujourd'hui 6 %, et en 2030 ce sera 3 %. Ce défi, nous ne pouvons le résoudre qu'ensemble. Quand je parle de défendre notre modèle, je pense aussi à l'agriculture et au monde rural, si oublié.
Sinon l'Europe risque d'être marginalisée ?
À Copenhague, l'UE avait le meilleur dossier sur le climat, mais elle n'a pas pesé, chacun a voulu faire son numéro. Je ne prône pas une politique étrangère commune, selon la formule qui figure déjà dans le traité de Maastricht (contre mon avis, parce que je trouve que les promesses qu'on ne peut pas tenir tuent la démocratie et la vitalité des peuples). Mais je pense que, chaque fois que nous avons un intérêt en commun, nous devons mener une action commune. Pour cela, il faut retourner à la bonne vieille méthode communautaire qui a fait ses preuves chaque fois que l'Europe a avancé.
À quel message les jeunes sont-ils sensibles ?
Le 9 mai, nous avons été un certain nombre à rappeler la noblesse de l'appel de Robert Schuman, je dirais même son niveau spirituel au sens laïc du terme. Il faut se souvenir. Est-ce suffisant aujourd'hui pour les jeunes générations ? Je ne crois pas. Ce qui me frappe le plus dans les rencontres multiples que je fais avec les jeunes, c'est qu'ils me disent de plus en plus « je suis le seul maître de moi-même, le seul juge de mon action ». Ce climat n'est bon ni pour la cohésion nationale ni pour la construction européenne. Il s'agit de retrouver un sens à la vie en commun, aux solidarités proches ou lointaines, à la citoyenneté active. Vous voyez, c'est une question d'état d'esprit, ou en d'autres termes, de convictions et de valeurs vécues.
vendredi 4 juin 2010
Europe : redonner le goût de la vie en commun
Recueilli parLaurent MARCHAND.
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