TOUT EST DIT

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jeudi 12 novembre 2009

Que diable vient faire Angela Merkel à Paris ?

La chancelière allemande sera le 11 novembre le premier chef de gouvernement fédéral à assister aux commémorations françaises liées à l'Armistice. Le quotidien Frankfurter Allgemeine Zeitung doute qu'elle y soit à sa place.
Un pays sorti vainqueur de la Première Guerre mondiale a parfaitement le droit, voire le devoir, de célébrer régulièrement son triomphe et les hommes qui l'ont permis. Il serait présomptueux de vouloir, au nom de l'entente entre les peuples, dissuader son voisin de toute emphase patriotique. Il n'empêche qu'un Allemand aura toujours le sentiment d'être un corps étranger dans cette affaire.

Le 11 novembre, le "monde allié" fête depuis toujours ou presque le jour de l'Armistice [de la guerre 1914-1918]. Longtemps les hommes d'Etat de l'Ouest sont restés entre eux pour l'occasion. Ce n'est que tardivement que l'on a envisagé d'inviter un chancelier fédéral allemand aux célébrations commémorant une victoire remportée sur son propre pays. Auparavant, un certain sentiment de tact défendait même d'y penser. Il a fallu attendre 1998 et le refus de Gerhard Schröder pour que cet isolement devienne une question politique. Il avait décliné l'invitation de Jacques Chirac mais, au lieu de s'exprimer clairement sur le sujet, avait invoqué des problèmes d'emploi du temps, ce qui avait semblé extrêmement ambigu, et peu sage sur le plan politique comme historique.

Angela Merkel sera à Paris le 11 novembre, devenant ainsi le premier chef de gouvernement allemand à le faire. Aux côtés de Sarkozy, qui compte faire de l'occasion une journée dédiée à la réconciliation franco-allemande, elle prononcera un discours sur la tombe du soldat inconnu. Une nouvelle qui suscite un léger frisson. Dans son “long chemin vers l'Ouest”, le mimétisme de la République fédérale est-il devenu si profond que l'on puisse désormais, au prix de contorsions politico-mémorielles, vouloir s'associer aux vainqueurs en tant que vaincu ?

Suggestion : ne pourrait-on pas neutraliser l'Armistice, le dépolitiser et en faire un moment du souvenir pour tous les soldats de toutes les nations tombés au champ d'honneur ? Un peu comme nous sommes en mesure de célébrer les traités de Westphalie [1648], qui ont mis fin à la guerre de Trente Ans, sans que cela heurte aucune des confessions concernées ? L'ambiguïté objective du lieu des cérémonies [du 11 novembre] s'y oppose. Il s'agit de l'Arc de triomphe, qui, orné de la flamme éternelle, surmonte la tombe du soldat inconnu. Il rend la victoire indissociable du souvenir des morts. Quant à ses décorations, elles célèbrent les campagnes napoléoniennes. Reinhart Koselleck [historien allemand, 1923-2006] a souligné ce fait remarquable qu'après la Première Guerre mondiale, et avec l'installation de la tombe du soldat inconnu, l'Arc de triomphe était devenu le monument de toutes les victoires françaises, rendant caduc le besoin d'un monument consacré spécifiquement à la victoire de 1918.

En outre, à Paris, le 11 novembre s'accompagne d'un défilé militaire. Quand, à Verdun, site des affrontements les plus sanglants, Helmut Kohl et François Mitterrand s'étaient pris la main, cela avait eu un tout autre caractère. Ce geste de réconciliation était non seulement légitime, mais il constituait un moment historique : il n'était pas lié à la célébration de la victoire et à une démonstration de puissance militaire, ce qu'incarne nécessairement un défilé. En Allemagne aussi, on peut honorer ce jour qui marque la fin de la Première Guerre mondiale, de préférence en se taisant. Celui qui a encore des photos de famille remontant à cette époque peut se souvenir en silence des proches qui sont tombés au combat. J'ai personnellement deux photos jaunies de jeunes gens en uniforme. Elles ont été prises en 1916 ou 1917. D'une façon ou d'une autre, je leur suis lié, mais je ne sais pas – ou j'ai oublié – comment exactement, et je n'ai plus personne à qui poser la question. Ma mère n'est plus là, elle qui se contentait laconiquement de me dire que ces deux-là non plus n'étaient “pas rentrés au pays”.

Lorenz Jäger

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