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samedi 31 mai 2014

L’Europe doit se rappeler les leçons du D-day

L’Europe doit se rappeler les leçons du D-day

Soixante-dix ans après le débarquement, c’est une France en pleine crise morale qui accueille sur ses plages la commémoration de l’événement. Et une Europe déboussolée qui doit retrouver le sens de cet événement libérateur.
« L’Europe de la paix est née ici sur ces plages normandes ».Tous les dix ans, comme un rituel, on commémore, sur les côtes de la Manche et du Calvados, le courage et le sacrifice de ces jeunes soldats américains, britanniques, canadiens, sans qui l’Europe ne serait pas ce qu’elle est devenue, une terre de paix et de réconciliation. Cette référence historique, incontournable et légitime, sera sans doute empreinte, cette année, d’un peu plus de nostalgie et de beaucoup plus d’inquiétude.
La nostalgie pour des vétérans qui, pour des raisons strictement biologiques, sont toujours moins nombreux et qui, pour l’essentiel, seront sans doute présents pour la dernière fois cette année. L’inquiétude, elle, est, bien sûr, le produit de ce qui vient de se produire en Europe et plus particulièrement en France. Mêmes les terres de l’Ouest, de vieille tradition chrétienne humaniste, y compris la Manche, le pays de Tocqueville, ont vu leurs communes être « grignotées » par le vote du Front national. « Je vais avoir bonne mine en accueillant à Utah Beach des vétérans américains et allemands », disait la semaine dernière, le maire de Sainte-Marie-du-Mont, résumant ainsi la pensée générale.
« Tout ça, pour ça ». Il y a dix ans encore, on célébrait sur les plages normandes la renaissance de l’Europe. Pour la première fois, l’Allemagne était associée aux commémorations. Les ennemis d’hier étaient devenus les meilleurs alliés d’aujourd’hui, une proximité, une complicité qui s’était exprimée, dans leurs prises de position commune face à la guerre d’Irak. Ironie de l’histoire c’était le libérateur qui paraissait presque isolé, cette Amérique si noble et généreuse hier et qui compromettait son image dans des aventures militaires douteuses. Dans la ville de Saint-Lô, surnommée « capitale des ruines » au lendemain de la Libération, j’avais présidé cette année-là, un débat entre vétérans, survivants des bombardements américains et jeunes élèves des lycées de la ville. Les premiers exprimaient toujours leur reconnaissance à l’Amérique. « Vous avez détruit notre ville, mais vous nous avez libérés ». Les seconds, lisaient les événements de 1944 à travers le prisme déformant de la guerre en Irak. Leurs discours étaient infiniment plus accusateurs et critiques. « Pourquoi avez-vous détruit notre ville ? » Il me revenait la tâche d’expliquer et de retracer le lien existant entre Omaha Beach et l’Europe des programmes Erasmus.
En 1994, l’Allemagne, à mon grand regret, n’était pas encore associée aux commémorations. Il était trop tôt, m’avait-on dit. Mitterrand et Kohl pouvaient être ensembles main dans la main à Verdun, mais pas à Omaha Beach. Le contexte était complexe. Le Mur était tombé, « l’Europe kidnappée », pour reprendre la belle formule de Milan Kundera, avait retrouvé son histoire et sa géographie. Elle avait aussi renoué avec ses démons. La guerre dans les Balkans en était l’illustration tragique.
Mais en 2014, l’Europe est-elle encore l’Europe ? Son modèle n’est-il pas en train de voler en éclat sous les coups conjoints de la dureté des réalités économiques et de la médiocrité générale de ses élites politiques ? L’Amérique non plus n’est plus tout à fait l’Amérique, comme si dans sa relation à l’Europe, elle avait donné le meilleur d’elle-même entre l’exceptionnel courage de juin 1944 et la générosité éclairée du plan Marshall. Quant à la Russie, légitimement présente, elle aussi, aux commémorations, elle se prend à rêver qu’elle est redevenue l’URSS. Non pas le pays qui retrouvait une forme de « virginité » internationale, dans son combat avec un monstre plus terrible qu’elle, l’Allemagne nazie, mais l’empire ambitieux, avide de revanche, sinon de conquêtes.
Mais le pays hôte des cérémonies, la France, n’est-il pas le plus malade de tous ? Les menaces sur sa liberté ne viennent pas cette fois de l’extérieur. Ce n’est pas l’Allemagne de Hitler qui a envahi la France. C’est le doute qui semble la posséder. Prisonnière de ses démons intérieurs, elle semble prête à capituler devant le « parti de la peur », incarné par la personnalité souriante de Marine Le Pen. Face à cette menace bien réelle, qui met en cause ses valeurs, le sauveur ne viendra pas de l’extérieur. Seule la France peut trouver en elle, les ressources nécessaires pour relever ce défi moral, le plus grave sans doute auquel elle ait eu à faire face depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Il existe des personnalités qui sont pour la France l’équivalent de ce qu’est certainement Angela Merkel pour l’Allemagne et, peut-être, Matteo Renzi pour l’Italie. Elles doivent émerger à droite comme à gauche de l’échantillon politique pour ne pas laisser un boulevard à ce qui reste fondamentalement, quels que soient les masques qu’il adopte, un parti d’extrême droite, avec lequel il n’est pas possible de pactiser.
La menace qui pèse sur la France n’est pas l’Europe, mais la France elle-même. Et cette remarque s’applique à tous les pays qui ont vu la victoire des populismes xénophobes lors des dernières élections au Parlement européen.
En cette semaine de commémoration du soixante-dixième anniversaire du D-Day, ce n’est pas la formule « du passé faisons table rase » qu’il convient de suivre. Tout au contraire, le hasard du calendrier nous invite à nous retrouver et à reprendre nos sens, face au risque de fuite en avant, dans un inconnu qui ressemble furieusement à une fuite en arrière dans un passé trop familier hélas. Qui peut penser que l’Allemagne d’Angela Merkel et la France de Marine Le Pen puissent, jamais, ne serait-ce que cohabiter ? La première pense en termes d’Union, de communauté et d’alliances. La seconde, tradition fasciste oblige, a besoin d’un ennemi pour exister.

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