TOUT EST DIT

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jeudi 13 mars 2014

L'économie française est encore loin de la reprise


Certes, le gouvernement a atteint sa prévision de croissance pour 2013, et ce porurrait être le cas en 2014. Pour autant, il n'est pas possible de parler de reprise tant que le PIB ne progresse pas à un rythme suffisant pour être à l'origine de créations d'emplois en nombre significatif, permettant de faire reculer le chômage. 
Selon l'INSEE (Institut Nationale de la Statistique et des Etudes Economiques), la croissance économique française pour 2013 s'élève à +0,3%. Supérieur à la majorité des prévisions (gouvernement, instituts de conjoncture), ce résultat est essentiellement dû à un quatrième trimestre 2013 meilleur qu'anticipé (+0,3%). Néanmoins, loin de pouvoir parler de reprise ou même de rebond, il s'agit toutefois d'un léger rattrapage qu'il convient d'analyser pour ce qu'il est et dans toute sa complexité.

 Eléments de compréhension

Les notions de PIB et de croissance économique sont liées mais différentes. En effet, la "croissance économique" renvoie à l'évolution du Produit Intérieur Brut (PIB) d'un pays. Le "PIB" représente la richesse d'un pays, c'est-à-dire qu'il évalue la valeur des biens et des services produits au niveau d'un pays. Ainsi, la "croissance du PIB" indique l'évolution de l'accumulation de richesses au sein d'une économie, il évalue donc la création de richesses pendant une période donnée (généralement annuelle ou trimestrielle). Par conséquent, le PIB (ou son évolution, c'est-à-dire la croissance économique) est représentatif de l'activité économique et il constitue une grandeur synthétique permettant d'apprécier les résultats de l'activité économique d'un pays à travers la production.
Il est d'usage d'identifier quatre grandes composantes de la croissance économique d'un pays :
  • Consommation ;
  • Investissement ;
  • Variations de stocks (entrées moins sorties de biens et d'actifs) ;
  • Solde commercial (exportations moins importations).

Les chiffres et les faits

L'observation des composantes de la croissance au quatrième trimestre 2013 (2013T4) fait apparaître une légère amélioration. En effet, après une croissance atone au troisième trimestre (+0% en 2013T3), la croissance a progressé de +0,3% en 2013T4:
  • après sept trimestres de recul de l'investissement (depuis le printemps 2012), l'investissement progresse (+0,6% en T4 contre -0,3% en T3) ;
  • idem pour la consommation des ménages (+0,5% en T4 contre +0,1% en T3) ;
  • les exportations rebondissent également (+1,2% en T4 contre -1,6% en T3) alors que parallèlement les importations décélèrent (+0,5% en T4 contre +0,8% en T3), permettant ainsi au solde commercial de progresser de +0,2% en T4 contre -0,7% en T3.
  • En revanche, après avoir fortement stocké en 2013T3 (+0,6%), les entreprises ont déstocké au cours du quatrième trimestre (-0,3%).
Le bon résultat du dernier trimestre 2013 valide les prévisions du gouvernement pour 2014. Une fois n'est pas coutume et cela est suffisamment rare pour être souligné ; dont acte. En effet, il convient d'observer qu'avec un "acquis de croissance" de +0,3% l'objectif du gouvernement d'atteindre un taux de croissance de +0,9% en 2014 paraît parfaitement plausible. En d'autres termes, si l'activité économique reste au premier trimestre 2014 au même niveau enregistré au quatrième trimestre 2013 (acquis de croissance), il suffit que la croissance du PIB atteigne ensuite +0,2% seulement par trimestre pour que la richesse nationale produite au cours de 2014 atteigne +0,9%.

Le détail des composantes est moins encourageant

L'analyse de l'évolution des composantes souligne une situation plus contrastée qu'il n'y paraît. En effet, si le chiffre global de +0,3% de croissance en 2013T3 est de bon augure pour 2014, permettant ainsi au pays de débuter l'année sur un bon acquis de croissance, le détail des composantes de ce chiffre global est moins encourageant :
  • La hausse de la consommation est probablement temporaire car elle repose essentiellement sur (1) des commandes et des achats réalisés en anticipation de la hausse de la TVA (Taxe sur la Valeur Ajoutée) au 1er Janvier 2014, sur (2) le déblocage de l'épargne salariale (l'Etat ne pouvant plus stimuler la consommation, les ménages doivent "se payer" leur consommation) et enfin sur (3) la fin du bonus-malus automobile au 1er Janvier qui a incité à accélérer des décisions d'achats qui ne se reproduiront pas en début 2014. Par conséquent, le rebond de consommation en 2013T4 n'est pas certain d'être transformé en 2014T1 (sauf si l'hiver arrive brutalement et stimule la consommation d'énergie) à fortiori avec la hausse de la TVA et la baisse annoncée des dépenses publiques et celle du chômage qui vont mécaniquement peser sur la consommation via la baisse du moral et du pouvoir d'achat des ménages.
  • La reprise de l'investissement n'est pas nécessairement synonyme de reprise cyclique mais peut renvoyer à une reconstitution des stocks. En outre, là aussi il peut y avoir un effet d'anticipation lié au durcissement des normes antipollution sur les camions neufs intervenu au 1er Janvier 2014, incitant ainsi à reconstituer la flotte de camions, pouvant présager d'un contrecoup au cours des deux premiers trimestres 2014.
  • Egalement, le taux d'utilisation des capacités de production (machines et équipements) est tellement bas que les entreprises sont mécaniquement incitées à en renouveler un certain nombre. Plus positivement, l'investissement en France peut bénéficier d'un environnement économique international relativement plus dynamique, potentiellement susceptible d'enclencher un cercle vertueux. Seule la mise en place d'une politique favorable à l'investissement est susceptible de créer les conditions nécessaires à un rebond robuste et pérenne (ex : Pacte de responsabilité annoncé début Janvier 2014 par le Président de la République française). Notons enfin que cet aspect est le plus urgent pour une reprise économique globale du pays et qu'il correspond pour partie à une reprise mécanique attendue (voir analyse de ce point fondamental).
  • Les bons chiffres trimestriels du solde commercial lié aux exportations sont souvent liés aux variations de stocks. Cette notion un peu technique est pourtant fondamentale. En effet, ce qui engendre en substance l'évolution positive des exportations est essentiellement la vente d'Airbus. Or, il convient de rappeler que les Airbus sont assemblés en France, mais avant d'être assemblés, la France importe (Allemagne, Espagne, Royaume-Uni...), formant ainsi des stocks. Puis, une fois assemblés, la France exporte les Airbus, ce qui correspond à un déstockage parallèle des importations d'équipements divers préalables. Par conséquent, la forte hausse des exportations au cours du quatrième trimestre 2013 est liée au fait que la France a vendu beaucoup d'Airbus qui se traduit par un phénomène déstockage. En effet, lorsque les variations des stocks sont intégrées aux chiffres du solde commercial, alors les deux contributions se compensent et la contribution nette finale est nulle. Toutefois, le redémarrage des partenaires commerciaux et des échanges internationaux devrait permettre au commerce extérieur français (dans un contexte de demande intérieure toujours faible) de contribuer pour près de 50% aux chiffres de croissance de 2014.

Reprise économique et sorte de crise ?

Malgré une amélioration, il n'est pas possible de parler de reprise, ni même de rebond. En effet, +0,3% de croissance au troisième trimestre 2013 (c'est-à-dire +1,2% en rythme annuel) renvoie au rythme moyen de croissance que la France peut envisager si tout va bien (croissance potentielle).
Or, avec ce surplus de croissance, la France revient fin 2013 tout juste au niveau de production que le pays avait fin 2007/début 2008. Dès lors, si la crise est "effacée" en termes absolus, la France produit aujourd'hui autant qu'il y a 6 ans alors qu'entre-temps la population française est plus nombreuse (+700'000 habitants) et plus productive.

Une richesse par habitant en baisse de 2,5% par rapport  l'avant crise

Par conséquent, la richesse par habitant est inférieure de -2,5% qu'elle ne l'était avant crise et le niveau absolu de production devrait être beaucoup plus élevé. En d'autres termes, la France n'a pas besoin d'autant de personnes aujourd'hui pour produire autant qu'il y a 6 ans, ce qui explique le niveau élevé du chômage. Le pays n'a pas réussi à mettre en place des mesures aptes à stimuler suffisamment sa croissance économique pour réellement effacer les effets de la crise économique. Dans ces conditions, parler de reprise est pour le moins maladroit, voire fallacieux; il est tout au plus possible de parler de rattrapage d'une situation antérieure.

La fin de la cris quand le chômage sera retombé à son niveau de 2007

La récession est passée mais la crise est toujours là. En effet, la récession, c'est-à-dire la diminution du niveau d'activité et donc la destruction de richesses, n'est plus à l'ordre du jour car la croissance économique lors des trimestres prochains sera probablement positive. Néanmoins, il sera possible de parler de fin de crise lorsque la France aura retrouvé le niveau de chômage qui prévalait fin 2007 (c'est-à-dire 7% de la population active), alors qu'actuellement ce niveau est 4 points au-dessus à 11% de la population active. Notons enfin, que contrairement aux récessions passées (ex : 1974 avec le choc pétrolier ou en 1992 avec la crise du système monétaire européen) il avait fallu environ 6 trimestres pour revenir au niveau de PIB d'avant crise, alors qu'il aura fallu cette fois à la France 24 trimestres, ce qui souligne avec acuité la profondeur des difficultés auxquelles est confronté le pays.

Emploi et inversion de la courbe du chômage

La France a créé 14.700 emplois au cours du quatrième trimestre 2013. Ce bon résultat apparent est probablement lié à l'effet de l'accélération des dispositifs d'emplois aidés de fin d'année pour atteindre l'objectif annoncé par la majorité au pouvoir d'inverser la courbe du chômage. Cependant, ces emplois aidés se substituent en partie à d'autres types d'embauches, et notamment dans le secteur marchand concurrentiel créateur de richesses. En outre, les créations d'emplois de 2013T4 réfèrent essentiellement à des emplois intérimaires, c'est-à-dire extrêmement précaires.
Ainsi, si la France a signé en rythme annuel 21 millions de contrats en 2013, 85% d'entre eux étaient en CDD (Contrats à Durée Déterminée) et les 2/3 étaient des CDD de moins d'un mois. Ainsi, ces emplois alimentent certes la création d'emploi totale sur un trimestre, mais pas sur une année où la France a fondamentalement détruit de l'emploi.

Une inversion de la courbe du chômage improbable en 2014

L'inversion de la courbe du chômage pour 2014 semble d'ores et déjà très improbable. Les prévisions économiques sont toujours difficiles à effectuer mais en l'espèce, et comme c'était déjà le cas en 2013 avec la promesse gouvernementale, aucun élément n'est susceptible d'émerger pour accréditer la thèse d'une diminution du chômage en 2014. En effet, le gouvernement table sur +0,9% de croissance en 2014, et les estimations indépendantes oscillent entre +0,7% et +1,3%. Or, même avec +1,3% (estimation haute et probablement très optimiste), l'économie française ne crée pas suffisamment d'emplois pour stabiliser le chômage.
Compte tenu de la structure démographique et de la productivité de la France, seul un taux de croissance de +1,5% par an au minimum peut permettre de stabiliser le chômage (et au-dessus pour le faire diminuer). Dès lors, le gouvernement peut certes continuer sa stratégie visant à créer énormément d'emplois aidés, et réussir ponctuellement à stabiliser le chômage, mais cela sera non pérenne ; et s'il diminue son rythme d'emplois aidés alors le chômage va inexorablement continuer à augmenter.
Enfin, notons que l'emploi est une variable retardée de l'activité comprise entre 6 et 9 mois. Dès lors, même en cas de reprise, il faudra observer une période de latence avant que cela se traduise par une diminution du taux de chômage.

Trois conditions pour évoquer une reprise

Trois conditions sont nécessaires pour pouvoir évoquer une reprise de l'économie française :
1)     Une accélération de la croissance économique significative (rythme trimestriel moyen au moins égal à +0,4%) et durable (plusieurs trimestres) ;
2)     Que l'accélération de la croissance soit soutenue par l'investissement privé (et pas par la consommation ou les dépenses publiques), et là aussi de manière robuste et sur plusieurs trimestres ;
3)     Enfin que tout cela se traduise pour une diminution du chômage via une création significative dans le secteur privé.

Une comparaison avec l'Allemagne très éclairante

La comparaison avec l'Allemagne est très éclairante. En effet, alors que l'Allemagne connaît en 2013T4 un taux de croissance comparable à celui de la France avec +0,4%, le pays bénéficie d'un taux de chômage beaucoup plus faible (deux fois moins élevé). Cette différence est liée au fait qu'il ne suffit pas de regarder les chiffres uniquement du dernier trimestre mais il convient d'observer la séquence depuis la crise.
Dans ce cadre, l'Allemagne produit 2,5 points de plus de PIB en 2013 qu'en 2007, c'est-à-dire que ce pays produit plus avec une population qui décroît, alors que la France produit autant en 2013 qu'en 2007 avec une population plus nombreuse.
Par conséquent et globalement, l'Allemagne est sortie de crise avec un chômage qui diminue plus facilement du fait de réformes profondes réalisées avant le déclenchement de la criseet d'une population active moins dynamique. En outre, au niveau du PIB par tête (c'est-à-dire la richesse par habitant), en 2013 ce dernier est inférieur de 2 points de PIB à celui de 2007 en France, quand les allemands sont 5% plus riches qu'en 2007. Par conséquent, le différentiel entre la France et l'Allemagne se creuse : alors qu'en 2005 les habitants des deux pays produisaient une richesse équivalente (28'000 euros par habitants), l'Allemagne affichera en 2015 un PIB/tête de 31'500 euros contre seulement 28'000 euros en France. L'écart de 10% souligne la divergence de résultat et du retard pris par la France avec son incapacité à adapter ses structures économiques et sociales à la mondialisationviades réformes structurelles d'envergure. Le pays paye ainsi clairement ses errements passés et son incurie politique et économique.

Des éléments arithmétiques négligés

Enfin, notons des éléments historiques et arithmétiques trop souvent négligés ou ignorés :
  • D'un certain point de vue, la France est potentiellement toujours en récession. En effet, les chiffres du dernier trimestre 2013 ne sont pas encore totalement consolidés. En d'autres termes, il est possible qu'ils soient révisés (à la hausse mais plus probablement à la baisse) dans quelques mois ; comme c'est le cas depuis plus de 20 ans ou en moyenne la croissance du PIB est réévaluée à plus ou moins 0,3 points. Dès lors, d'une croissance positive de +0,3%, il se peut que la croissance ait été en réalité de 0% en 2013.
  • Même sans cet élément de révision des statistiques à postériori, la France est toujours en récession dans les faits. Si la croissance du PIB en volume est positive, la croissance du PIB par habitant est négative. En effet, alors que la croissance économique annuelle est de +0,3%, la croissance de la population est de +0,5. Dès lors, l'accumulation de richesse par tête est négative (+0.3% moins +0,5%) et s'élève à -0,2%, ce qui indique en réalité un appauvrissement.
  • En outre, les prévisions pour 2014 sont positives mais soulignent un déséquilibre intenable. En effet, avec une croissance prévue de +0,9% en 2014, cela signifie que la France va s'enrichir d'environ +18 milliards d'euros au cours de l'année. Or, en parallèle, la France va "financer" cette croissance via un déficit d'environ 4% du PIB, soit près de 80 milliards d'euros de dette publique supplémentaire. En d'autres termes, au cours de l'année 2014, la France va créer 18 milliards d'euros supplémentaires en s'endettant de 80 milliards d'euros. la simple mise en parallèle de ces chiffres souligne la problématique fondamentale à laquelle la France est confrontée. A titre d'exemple, 80 milliards d'euros de déficit public correspond au salaire de 1,5 millions de fonctionnaires qui sont financés à crédit et dont le paiement repose sur les jeunes générations et celles à venir.

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