TOUT EST DIT

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vendredi 28 février 2014

La génération Y ne croit plus à l'ascenseur social : pourquoi la réalité est probablement bien pire que tout ce qu'elle peut imaginer


L'enquête menée auprès de 210 000 jeunes de 18 à 34 ans pour France Télévisions dans le cadre de son opération "Génération quoi" révèle le pessimisme des jeunes. Interrogés sur leur devenir personnel, les jeunes répondants sont près des deux tiers à se déclarer plutôt ou très optimistes. En revanche, le regard qu'ils portent sur le destin de leur génération est extrêmement sombre. "Vingt ans n'est pas le plus bel âge de la vie", pensent-ils majoritairement (à 51 %).
Marie Duru-Bellat : Un patrimoine génétique s’observe chez des gens âgés, qui ont déjà une certaine expérience sociale, c'est-à-dire chez des adultes. Chez l’être humain, on ne peut isoler le génétique, un gène s’exprime dans un milieu, tous les biologistes vous le diront. Si les milieux sociaux sont très différents dans la qualité de vie : la qualité de la nutrition, les soins dans l’enfance et toute la vie. En France, tous les biologistes sérieux diront qu’il est complètement ridicule d’imaginer qu’on puisse isoler le rôle du capital génétique chez l’adulte. Comment peut-on imaginer que les plus riches auraient un meilleur bagage génétique ? 

Faut-il comprendre que les explications socio-économiques ne suffisent plus à comprendre les mécanismes de perpétuation des inégalités sociales ? A-t-on sur-estimé les capacités des sociétés à lutter contre les mécanismes de l'héritage dans toutes ses dimensions ?

Nicolas Goetzmann : A mon sens cela ne remet rien en question sur ce qui peut être fait. Si la génétique est le principal facteur, et bien soit, mais on ne peut rien faire pour changer cela alors il faut se concentrer sur ce qui peut être fait.Même si nous avons constamment surestimé la capacité de nos sociétés à favoriser la mobilité sociale, cela n’est pas une raison pour baisser les bras. Car au-delà de la mobilité au sein de l’échelle sociale, le plus important est de permettre à ceux qui sont les moins favorisés de vivre correctement. En luttant contre la pauvreté, en luttant pour le plein emploi, nous n’arriverons peut être pas à rendre la société plus fluide, mais on améliorera le sort des plus pauvres. Clarck le dit lui-même, une société de mobilité à grande échelle est une utopie, mais une société qui lutte contre les effets de ces inégalités est un objectif.
Marie Duru-Bellat : Il est probable qu’on pense trop que l’école peut tout faire. Particulièrement en France, surtout en ce moment avec les questions de genres : on pense qu’on va lutter contre les préjugés en apprenant dans les écoles que ce n’est pas bien. On surestime les capacités de l’école, d’autant plus que les études de Thomas Piketty l’ont bien montré, le patrimoine a de plus en plus d’importance, parce qu’on est dans une phase de faible croissance, donc le revenu a moins de poids que le patrimoine. C’est sans doute plus difficile que prévu, et l’école est peut-être moins puissante que prévu.


Une récente étude du Brookings Institute "the glass floor" mettait en avant la plus grande influence de la richesse par rapport à l'intelligence dans le processus de la mobilité sociale. Les deux visions sont elles contradictoires ?


Nicolas Goetzmann : L’étude du Brookings, même si elle glissait un peu la question sous le tapis, confirme cette situation. La génétique n’est pas ignorée dans cette étude, mais elle traité de façon marginale car le politique n’a pas de prise sur ce point. La question n’est donc pas pertinente politiquement en termes de réformes. Le Brookings s’inquiétait plutôt de voir que malgré la plus grande proportion de gens avec des QI élevés dans les classes sociales supérieures, il n’était pas acceptable de voir que même lorsque cela n’était pas le cas, les inégalités persistaient. Ce phénomène est simplement dû au fait que les enfants favorisés sont protégés par un niveau d’éducation supérieur, et qui profite à des enfants qui ne le « méritent » pas toujours. Mais le Brookings se rend bien compte qu’il n’est pas possible de demander aux parents de ne pas aider leurs enfants…La question revient au point de départ : comment peut-on aider au mieux les enfants les moins favorisés ?

L'enquête menée auprès de 210 000 jeunes de 18 à 34 ans pour France Télévisions dans le cadre de son opération "Génération quoi" révèle une jeunesse qui se définit comme "sacrifiée" ou "perdue". Cette génération fait le constat amer d'instruments de mobilité sociale qui ne fonctionnent pas. Ce constat est-il corroboré par les faits ? L'étude historique des phénomènes de mobilité sociale montre-t-elle que la situation s'est à cet égard dégradée ?

Nicolas Goetzmann : Les différentes études relatives à la mobilité sociale dressent à peu près le même tableau : la mobilité sociale est plutôt stable dans le temps, et reste marginale. Il s’agit plus d’un « incident » qu’autre chose. La problématique actuelle concernant la jeunesse est que la crise produit une sorte de sclérose supplémentaire sur cette mobilité qui est déjà faible structurellement. Un jeune qui s’apprête à voter pour la première fois en 2014 avait 12 ans en 2008, il ne connait que la crise, c’est son horizon. La dernière croissance forte en France, celle de la fin des années 90, n’est même pas un souvenir pour lui. La perception du monde n’est pas du tout la même que pour un aîné, si nous prenons en compte ces éléments.
La principale force de l’élévation économique est la croissance et celle-ci est inexistante depuis 6 ans, ce qui se provoque un phénomène encore plus violent : le déclassement. C’est-à-dire que même en renonçant à l’élévation de son niveau de vie, la situation est telle que la probabilité de chute sociale s’intensifie.
Marie Duru-Bellat : Ce qui est ridicule c’est de penser qu’avant il y avait beaucoup plus de mobilité sociale. C’est complètement faux, sauf pendant les années 1960, et éventuellement les trente glorieuses. Tout simplement parce qu’il y avait à la fois assez peu de diplômés et des opportunités d’emploi, notamment d’emplois qualifiés. Seuls les diplômés, c'est-à-dire peu de monde pouvaient monter dans l’échelle sociale. Nous sommes à l’heure actuelle dans un régime de croisière où il y a beaucoup de diplômés et des emplois qualifiés qui n’explosent pas. Mais ce n’est pas une panne momentanée, c’est un nouveau régime qui n’est pas très exceptionnel.

Plusieurs études économiques, notamment aux Etats-Unis, tentent de trouver de nouvelles explications à la persistance des inégalités sociales. Selon l'économiste Gregory Clarck, elles relèveraient avant tout de différences génétiques, et de leur perpétuation. Que faut-il en penser ? Quand bien même on n'adhérerait pas à l'intégralité de ses conclusions, en quoi cette approche peut-elle changer la donne ?

Nicolas Goetzmann : Gregory Clark a fait un travail considérable, aussi bien dans le temps, que géographiquement. De la Suède du XVIIe siècle, à la Chine du XXe, aux Etats Unis du XXIe siècle, le constat est le même : la mobilité sociale relève plus de l’anecdote que d’une quelconque réalité à grande échelle. Clark se base sur l’étude des noms de famille et constate que la perpétuation des inégalités traverse les siècles. Même Mao a échoué à effacer ces différences. 
Après avoir éliminé les causes les unes après les autres, Clark conclue que la génétique est la principale force qui explique cette situation. Elle n’est pas la seule, le niveau économique, l’éducation etc. sont également des facteurs mais l’héritage génétique, génération après génération, serait le principal déterminant de nos vies. Comme le dit l’auteur; le constat est désagréable. Et il tente de corroborer son étude en analysant la situation des enfants adoptés. Le constat est que ces enfants ont tendance à reproduire le schéma social de leurs parents biologiques, et non de leurs parents adoptifs.

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