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mercredi 21 août 2013

Notre culture du pessimisme

Notre culture du pessimisme


Une série de récents sondages a pointé du doigt le pessimisme des Français. Les explications de cette humeur morose ont souvent porté sur les facteurs conjoncturels, et en premier lieu le chômage. Ceux qui en souffrent le plus sont les jeunes - en particulier sans qualification - qui, comme en Italie, n'arrivent pas à entrer sur le marché du travail.
Les remèdes de long terme à cette situation sont connus. Ils passent par des réformes structurelles consistant à alléger les règles à l'embauche et les charges sociales qui s'appliquent aux entreprises, à encourager la création des PME, principales pourvoyeuses d'emplois, et à assurer un meilleur lien entre production, recherche et innovation technologique.
En même temps, et c'est là le paradoxe, la France a aussi de bonnes raisons de ne pas désespérer. Elle reste, en 2013, la cinquième économie mondiale. L'espérance de vie est l'une des plus élevées au monde (78 ans pour les hommes et 84 ans pour les femmes) ; la qualité de la médecine y est fortement pour quelque chose, ce qui d'ailleurs n'est pas une raison pour laisser filer les dépenses de soins. Le taux de fertilité des femmes est l'un des plus élevés d'Europe (2 enfants par femme contre 1,5 en moyenne dans l'Union).
On pourrait ajouter que les structures familiales restent très solides et permettent, en temps de crise, l'expression d'une solidarité intergénérationnelle bien plus forte que dans d'autres pays développés.
Une part de sagesse ?
Et si les causes du pessimisme français n'étaient pas conjoncturelles, mais structurelles ? Il y a plusieurs années déjà, les économistes Pierre Cahuc et Yann Algan avaient souligné un problème fondamental : notre pays est, dans le monde occidental, l'un de ceux dans lequel la confiance entre les individus est la plus faible.
Ceci est dû au fait que la République n'a jamais été aussi égalitaire qu'elle le proclame : elle s'est, en effet, construite progressivement sur une myriade de statuts dont l'un des effets est que l'on a toujours l'impression que celui de l'autre est meilleur que le sien.
Le plus bel exemple est fourni par le nombre incroyable de régimes de retraite qui existe en France. C'est une différence fondamentale avec les pays du nord de l'Europe (Norvège, Suède, Finlande) dans lesquels un seul régime s'applique de la même manière à l'ensemble des travailleurs et où la confiance entre les individus est l'une des plus fortes du monde. Mais le pessimisme en France est aussi une valeur que l'on acquiert par l'éducation, au point de faire partie de la culture nationale. C'est une différence notable avec les États-Unis où l'enthousiasme est, à l'inverse, cultivé comme un élément de la culture collective.
À propos d'Amérique, le journaliste du New York Times Robert Cohen, dans son éditorial du 11 juillet, a certainement le mieux résumé le pessimisme culturel des Français : « Dites à un Français qu'il fait beau, et il vous rétorquera que ça ne va pas durer. Dites-lui qu'il fait une chaleur agréable et il vous expliquera que ça annonce l'orage. »
L'observateur américain ajoute, avec raison, qu'il faut voir dans cette amertume française une part de sagesse, un rappel au fait que la vulnérabilité demeure une caractéristique de l'existence humaine. Le pessimisme structurel des Français serait ainsi l'expression d'une modestie. Qui l'eût cru ?
(*) Directeur du Centre d'études et de recherches internationales à Sciences Po Paris.

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