TOUT EST DIT

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samedi 20 juillet 2013

Les sifflets du 14 juillet


Ainsi, François Hollande, président de la République, a-t-il été sifflé ce 14 juillet 2013 sur le parcours du défilé célébrant la fête nationale. Qu’un président soit sifflé ou hué lors d’un déplacement en province ou lors d’une réunion publique, cela s’est déjà vu. Mais, qu’un président soit sifflé lors du 14 juillet, moment éminemment symbolique où ce n’est pas sa personne privée qui est mise en avant mais sa fonction publique, témoigne de ce que nous avons progressé dans la crise de régime.
Pourquoi siffle-t-on un président ? On peut y voir l’exaspération de ses adversaires qui n’ont pas fait leur deuil de sa victoire à l’élection de 2012. Mais, si c’est le cas, c’est ramener ce geste à la hauteur de ces supporters imbéciles qui sifflent quand un joueur adverse va tirer un coup franc, un penalty ou une pénalité. C’est une lamentable mascarade qui ne fait que souligner la puérilité de ses auteurs. On ne siffle pas un président, dans l’exercice de sa plus authentique fonction, celle de « père symbolique » de la Nation, pour le plaisir. On ne le fait que pour souligner l’illégitimité de l’élu légal. Et, comme il a été légalement élu, il faut expliquer pourquoi il est illégitime. La figure du dirigeant illégitime est celle du Tyran. S’il est parvenu au pouvoir par des voies légales, c’est un Tyrannus ab Exercitio qui, par l’usage qu’il a fait de son pouvoir, a rompu l’ordre légitime et donc délié le peuple du respect qu’il doit à la fonction incarnée dans sa personne. Siffler François Hollande en ce 14 juillet c’est donc instruire ce procès là, et pas autre chose.
Le meilleur profil de Hollande
Un faux procès 
Qu’a donc fait François Hollande pour perdre en un peu plus d’un an la légitimité qu’il avait acquise par son élection ?
Beaucoup vont penser à la loi dite du « mariage pour tous » et invoquer le « droit naturel » qui aurait été violé en l’occurrence. Mais, le « droit naturel » n’existe que dans une conception du Peuple et de la Nation où une seule religion exerce son influence. C’est une réminiscence du vieux principe « une foi, une loi, un Roi », que l’on a évoqué dans le précédent billet, et qui est définitivement mort avec les guerres de religions. Ce n’est pas parce que les religions dites « du livre » dominent en France qu’il faut négliger ceux qui n’ont aucune religion (les athées que les sondages mettent à 35% de la population française) ou ceux qui pratiquent une autre religion. La diversité des opinions religieuses est un fait qui interdit de prétendre fonder sur un quelconques « droit naturel » d’origine religieuse le droit réellement existant.
La référence à la religion divise (et souvent de manière sanglante) alors que le droit doit unir. Le droit ne tire sa justification que de sa capacité à faire vivre ensemble, sur un territoire donné, des personnes aussi diverses que leurs opinions et leurs intérêts. C’est pour cela qu’il est fondamentalement une création humaine et un acte social, mais en même temps qu’il doit se présenter comme au-dessus de ces mêmes actions afin de pouvoir peser sur elles. La sacralité du droit est à la fois une condition nécessaire à sa fonctionnalité et une imposture. C’est aussi la raison pour laquelle il n’y a pas de « droit naturel » (au sens découlant d’un ordre naturel et non de décisions humaines) mais que le droit doit se représenter comme en surplomb par rapport aux sociétés qu’il régit s’il veut fonctionner. C’est aussi la raison pour laquelle le droit international est un droit de coordination et non un droit de subordination[1]. En d’autres termes, il doit respecter la souveraineté des pays (règle de l’unanimité pour la prise de décisions) et l’antériorité de leur droit national. Ici, le droit n’a d’autres buts que d’éviter que la force (la guerre) soit la seule manière de régler les différents entre les nations.
 De vrais griefs
Mais, si François Hollande n’a pas violé un « droit naturel » dans l’exercice de ses fonctions, d’où peut provenir sa perte de légitimité qui justifierait les sifflets dont il fut l’objet en ce 14 juillet ?
Si nous admettons l’inanité de tout « droit naturel », il nous faut penser à quel ordre nous devons rattacher la République et son droit. L’ordre démocratique apparaît comme le seul capable de fonder dans les principes du droit le régime républicain. L’ordre démocratique oppose ainsi la notion de construction de l’égalité à celle de l’égalité originelle. Il se refuse à d’homogénéiser de force une réalité hétérogène. La grande erreur du libéralisme politique fut d’avoir confondu le couple construction formelle/état de nature et le couple construction formelle/état réel de la société. Les individus sont divers et hétérogènes; pour autant s’ils ne peuvent également participer à l’élaboration des diverses formes de coordination, locales et globales, c’est la communauté dans sa totalité qui sera lésée. Reconnaître les différences ce n’est pas éterniser ces différences mais au contraire se donner les moyens de penser la construction des convergences et des règles communes qui doivent permettre la participation de tous aux activités concernant tous. L’hétérogénéité sociale ex-ante fixe donc comme objectif à l’ordre démocratique la construction d’une homogénéité politique ex-post, et ce dans des sociétés traversées d’intérêts contraires.
Dès lors, l’intérêt public n’est plus la condition permissive de la démocratie, mais au contraire l’ordre démocratique est la procédure qui permet la constitution d’une représentation de l’intérêt public. Il n’y a donc pas, comme le croyaient les pères fondateurs des régimes démocratiques au XVIIIème siècle un intérêt public “évident” et donc naturellement partagé par tous. Mais, parce que nous sommes dans des sociétés dominées à la fois par la décentralisation et par l’interdépendance, nous avons besoin d’un intérêt public comme norme de référence pour combattre les tendances spontanées à l’anomie et à la défection. L’ordre démocratique est donc aux antipodes de la vision idéaliste de la démocratie qui croit voir dans cet intérêt public le produit d’un ordre naturel; il ne peut, en réalité, qu’être une construction sociale.
Or, cet ordre démocratique se construit à l’intérieur de principes fondateurs. L’un d’entre eux est que nul ne peut prétendre au contrôle sans endosser une responsabilité des actes issus de son contrôle. Dès lors nulle société régie par l’ordre démocratique ne peut dévolure ses pouvoirs à un cadre supérieur qui serait moins démocratique. C’est là que se trouve le « crime » de François Hollande. En acceptant le « pacte budgétaire européen » que l’on appelle traité sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG) et qui confère un droit de regard sur les décisions prises par le Parlement français, il a – à l’évidence – violé l’un des principes de l’ordre démocratique dans l’exercice de ses fonctions.

Telle est la seule raison qui peut justifier les sifflets dont il fut l’objet en ce 14 juillet. Toutes les autres explications tombent soit dans la puérilité soit dans le sectarisme religieux. Mais, si l’on veut affirmer par cette manifestation bruyante que ce président est illégitime, il faut savoir ce que cela implique. Un président illégitime est un tyran, soit un être avec lequel aucun compromis n’est possible. Sans vouloir réécrire le Vindiciae contra tyrannos (ou Revendications contre les tyrans), pamphlet fameux qui fut publié à Bâle en 1579, il est clair que nous entrons dans une logique de guerre civile. Il n’est pas sûr que les quelques centaines de personnes qui ont sifflé le chef de l’État aient bien mesuré la portée de leur acte. Mais il est clair que quelque chose de fondamental s’est publiquement rompu ce 14 juillet. Par ce geste en ce moment hautement symbolique ils ont témoigné que nous avons pénétré dans une nouvelle phase de la crise de régime aujourd’hui manifeste et dont nul ne peut savoir quel sera le dénouement.

[1] R. J. Dupuy, Le Droit International, PUF, Paris, 1963.

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