TOUT EST DIT

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mardi 23 juillet 2013

Bertrand de la nuée


Mes chers sujets, euh, administrés, disons citoyens, quand je suis monté sur le trône de Paris, euh, mon siège, j'ai pensé, élu comme je l'étais, c'est-à-dire choisi par le peuple, étant à la fois celui qu'on a placé au-dessus des autres et celui qui regarde celui qu'on a placé au-dessus des autres : Bertrand, afin d'être digne de ta ville et de ta mission à la tête de la ville, tu dois accomplir de grandes choses. Changer la vie, comme l'a dit avant moi un autre monarque, euh, président. Les Parisiens, je l'ai compris tout de suite, sont mes enfants, donc des enfants. J'avais été élu maire et je me retrouvais père. Le doux diminutif de papa était désormais le mien. Je devais prendre soin de ma progéniture : 2 millions de personnes. Les Parisiens, que dans ma tête je ne pouvais m'empêcher d'appeler les petits Parisiens et les petites Parisiennes, étaient désormais sous ma coupe, sous mon aile, dans mon giron. Maire et père : la perfection de ma fonction m'est apparue soudain comme une merveilleuse évidence esthétique.
L'ennemi, mon ennemi, c'est l'auto, l'automobiliste. L'auto fait du bruit et de la pollution, mais sa plus grande faute, son crime de lèse-majesté, c'est de permettre aux Parisiens de quitter Paris, de s'échapper en province ou à l'étranger de leur propre initiative, à leur convenance, sans le moindre contrôle, la plus petite autorisation. C'est en quoi l'auto est une source de rébellion et d'évasion, en somme une insulte aux Parisiens et une offense à moi, leur père et maire. Voilà pourquoi, à Paris, j'ai vexé, persécuté, humilié, racketté, puni - mais toujours dans un souci d'équité et de bonne gouvernance - les automobilistes, ces traîtres à la cause parisienne, ces lâches déserteurs. Dans le même temps, car un monarque éclairé ne saurait ignorer que la carotte ne doit jamais rester loin du bâton, j'ai favorisé les moyens de transport permettant à mes concitoyens - les bien nommés, comme ironisent mes adversaires de la droite - de se déplacer intra-muros dans l'amusement, la légèreté, la jovialité, l'insouciance propres à l'enfance : les zones piétonnes pour les flâneurs, le Vélib qui muscle les mollets mais ne quitte pas la frontière du périph, l'Autolib qui roule, mais pas vite et pas longtemps et donc pas très loin, le bus qui a des arrêts et le métro qui a un terminus. Sans oublier la ronde du tramway.
Les monarques aiment les fêtes, les enfants aussi, mais les monarques ne sont-ils pas des enfants ? Et les enfants, des monarques ? J'ai multiplié les fêtes comme les empereurs romains l'avaient fait avec les jeux du cirque et Louis XIV avec les feux d'artifice : Nuit blanche, Fêtes de la musique et du cinéma, Techno-parade, Gay Pride, etc. La vie d'un Parisien ? Aller, à pied ou à vélo, d'une fête à l'autre, comme un môme, un môme charmant et enchanté que je serre mentalement à tout moment dans mes bras sensibles. Un poulbot de Montmartre que les nuisances de l'âge adulte n'atteindront pas tant que je serai là - ou Anne Hidalgo - pour l'en préserver.
Les Bourbons aimaient les jardins ; je fais mieux : je les adore. Je n'avais pas Le Nôtre, mais je crois que je me suis bien débrouillé quand même. Qui se promène dans les jardins ? Les enfants et les vieux, qui sont des espèces d'enfants. Les mères, porteuses ou non. Les berges de la Seine, naguère livrées aux individus motorisés qui avaient la grossièreté et l'insolence de me fuir en faisant par surcroît des excès de vitesse, sont désormais les dépendances riantes et verdoyantes de la Mairie de Paris, annexe fluviale des trottoirs décontractés du Marais ou des Abbesses. Jeux, fêtes, jardins : Paris est devenu, sous mon égide, une copie de Vaux-le-Vicomte à l'époque de Fouquet ou de Versailles à celle de Louis XV. Même les mendiants à chaque rue sont vrais.

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