TOUT EST DIT

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dimanche 9 juin 2013

L’idéologie invisible


Cette semaine, une information stupéfiante aura été éclipsée par quelques faits divers et procès tragiques. Mercredi dernier (le 6 juin), dans un communiqué, le Fonds monétaire international (FMI) a reconnu s’être lourdement trompé sur la crise financière, la confiance des marchés, l’aide à la Grèce, etc. Ce ne sont pas seulement ses anciennes « prédictions » qu’il remet en cause. De manière implicite, c’est aussi la vision du monde et de l’économie qui les sous-tendait. Bien d’autres analystes, il est vrai, reconnaissent aujourd’hui s’être trompés en tablant sur ce qu’ils appelaient la parfaite « efficience » du marché. Bravo d’avoir cette modestie ! Mais il faudrait ajouter qu’on a trompé du même coup des millions de citoyens. Et gravement. Que de sottises auront été proférées au sujet de la crise ! Que d’approximations récitées du matin au soir dans les médias !
Jacques Ellul, jadis, nous avait montré que la propagande n’était pas l’apanage des régimes totalitaires mais pouvait affecter les démocraties elles-mêmes. Il n’avait pas imaginé qu’elle pourrait devenir quasi indétectable, inodore comme certains gaz dangereux. Au-delà des points de vue et des polémiques ordinaires, une espèce d’imprégnation culturelle colonisa l’espace politico-médiatique, ces cinq ou six dernières années. Cette « pensée » était si enracinée qu’elle tordait le vocabulaire lui-même, fabriquait des « éléments de langage », influait sur les préférences inconscientes de tous ceux qui parlent, récitent, crient ou chantent du matin au soir dans l’Hexagone.
Quel mot employer pour désigner cela ? Celui d’idéologie, certes, est trop passe-partout, mais c’est pourtant lui qu’il faut retenir, à condition de lui adjoindre l’adjectif « invisible ». Dans l’air du temps fonctionnait bel et bien une idéologie invisible. Comme à l’insu d’eux-mêmes, les commentateurs béni-oui-oui, ces perroquets des ondes, se faisaient les serviteurs dociles et même les griots de stratégies communicationnelles, celles du FMI ou d’autres.
Il faudra réexaminer après coup comment des médias aussi différents que la télévision, le cinéma, la publicité ont pu devenir les vecteurs de mille et un jeux d’influences, de ruses sémantiques et de raccourcis mensongers. Si on dépiautait tout cela, alors apparaîtrait en filigrane un catéchisme qui, mine de rien, aura bel et bien gouverné la vie démocratique. Il aidait à légitimer certaines dominations, parmi lesquelles celle de la finance. On trouverait trace de cette imprégnation culturelle jusque dans les séries policières, les émissions de variétés ou les publicités commerciales.
Rien de neuf, dira-t-on. Certes, mais un détail, cette fois, changeait la donne. Dans un contexte de postcommunisme (la « fin de l’Histoire ») et de mondialisation (la « fin du politique »), la ruse imparable consistait à nous convaincre que l’idéologie en tant que telle avait - enfin ! - disparu. On nous assurait que des « choses » comme la propagande ou l’idéologie appartenaient à un passé révolu et que l’univers démocratique était enfin décontaminé. Bien entendu, rien n’était plus faux. L’air du temps restait chargé d’une idéologie d’autant plus redoutable qu’elle était déguisée - les chrétiens ne disent-ils pas que la ruse suprême du diable consiste à faire croire qu’il n’existe pas ?
C’est au chapitre de ce discours manipulateur qu’il faut classer toutes ces célébrations un peu bêtasses de la taille, du gigantisme, de la maîtrise du monde, du classement planétaire, des gros salaires du CAC 40 vénérés comme ceux des rock stars. Tout cela est-il médiatiquement derrière nous ? Sans doute pas, hélas ! Reprenant Georges Bernanos, je dirais que la propagande est toujours capable de « changer de répertoire », sans cesser pour autant de nous mentir. La Commission de Bruxelles, déjà, prend d’ailleurs ses distances avec l’aveu inattendu du FMI. Aïe !
Il nous faut rester - démocratiquement - en alerte rouge…

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