TOUT EST DIT

TOUT EST DIT
ǝʇêʇ ɐן ɹns ǝɥɔɹɐɯ ǝɔuɐɹɟ ɐן ʇuǝɯɯoɔ ùO

dimanche 18 novembre 2012

Comment la pensée unique a imposé au pouvoir socialiste une ligne erronée qu'elle a ensuite reniée

Nous allons droit dans le mur. Les mesurettes cosmétiques prônées par le gouvernement ne peuvent en aucun cas sortir le pays de l'ornière dans laquelle il est embourbé, et encore moins lutter contre l'égoïsme clanique des grands patrons. Le gouvernement à cédé aux sirènes envoûtantes du discours dominant ; mais à quel prix ?

Bienvenu en panurgie
Je suis personnellement tout à fait défavorable à la ligne qu'a choisie le gouvernement en matière économique. J'entends m'en expliquer.

Mais d'abord un simple constat. Terrible. Presque déshonorant. Les mesures que le gouvernement vient d'annoncer (et devant lesquelles la droite, qui les demandait, avait, elle, reculé), l'UMP et le CAC 40 n'étaient pas les seuls à les réclamer. C'est presque l'ensemble du pouvoir médiatique qui relayait ces exigences. Radios, télés, presse écrite : un seul son de cloche, ou presque. Il fallait mettre en œuvre l'ensemble des recommandations du rapport Gallois. S'engager dans le sens tracé par la pétition patronale. Faire entendre un point de vue différent était devenu presque mission impossible.

A part cela, la pensée unique est un mythe. On vient cependant de la voir à l'œuvre. Le gouvernement a cédé. L'essentiel de ce que le CAC 40, le centre-droit et l'UMP, la gauche néolibérale et sociale-démocrate, les éditorialistes, les chroniqueurs, les commentateurs, les saltimbanques, les amuseurs et les journalistes économiques appelaient de leurs vœux, en piétinant d'impatience, a été repris à son compte par le pouvoir. Personnellement, je m'en lamente. Mais eux devraient s'en réjouir.

Au nom d'un minimum de cohérence et d'honnêteté intellectuelle, tout ce beau monde devrait saluer le tournant gouvernemental, l'applaudir, même, souligner son courage et sa pertinence, mettre en exergue cette absence de dogmatisme idéologique.

Le Point devrait titrer à la une «Bravo !», l'Express, sauter de joie, les Echos, jubiler, le patronat, exulter, le Monde, euphoriser, les éditorialistes et chroniqueurs, taper des mains en cadence - puisque, de toute façon, tout ce qu'ils disent, ils le disent en cadence -, l'UMP, se rendre un hommage à elle-même en rendant un vibrant hommage à ceux qui lui donnent raison. Eh bien, pas du tout : à l'exception de Laurence Parisot pour le Medef et, en filigrane, du Figaro - et c'est tout à leur honneur -, la droite, les éditorialistes, les commentateurs et les chroniqueurs se sont déchaînés contre les errements du pouvoir. Aucun coup de chapeau. Rien que des coups de griffe.

Classique : mais, à ce niveau, une telle inconséquence défie la raison.

Je propose, faute de mieux, cette explication : même ceux qui exigeaient que le gouvernement adopte l'analyse de la pensée unique et prenne les décisions auxquelles il s'est finalement rallié savaient que l'analyse était inadéquate et les décisions dangereuses ; mais ils les préconisaient parce que, étant convaincus que le pouvoir dit «socialiste» leur tournerait le dos, cela leur permettait de se positionner à moindre frais. Manque de chance, le gouvernement les a pris au mot. Et, puisqu'il s'est en cela déjugé, ils doivent se déjuger à leur tour. La position de l'UMP est, à cet égard, caricaturale.

Venons-en alors au fond du problème. Pourquoi cette orientation, qui revient à chercher à doper, sans garantie et de façon artificielle, une offre, au risque de laisser s'écrouler une demande et d'enclencher ainsi un processus récessionniste à l'espagnole, est-elle une erreur ? Il y a, au départ, au moins deux évidences. La première : la France a vu se creuser le déficit de son commerce extérieur alors que l'Allemagne parvenait, elle, à arrondir son excédent. Moins 75 milliards d'euros d'un côté, plus 140 milliards de l'autre. Verdict implacable. La seconde : la part des exportations françaises dans le commerce mondial en général (passant de 7,1 % à 3,9 %), et européen en particulier (de 13 % à 9 %), n'a cessé de reculer ces dix dernières années.

Donc nous sommes confrontés, à l'évidence, à un problème de compétitivité. Autrement dit, nous avons de plus en plus de mal à vendre nos productions sur un marché mondialisé, alors que d'autres restent très performants en la matière. Quelle en est la raison ?

La réponse que nous serinent les tenants de la pensée unique, c'est que notre déficit de compétitivité découle de la lourdeur des coûts du travail due à des charges, c'est-à-dire à des cotisations sociales excessives, et que, en conséquence, il faut les réduire fortement pour les remplacer par des taxes frappant les particuliers.

Curieuse évidence. J'ai été pendant vingt-deux ans chef d'entreprise, en l'occurrence d'une entreprise de main-d'œuvre, et de main-d'œuvre haut de gamme largement payée au-dessus du salaire minimum ; or, je peux l'affirmer - croix de bois, croix de fer - : il serait légitime d'incriminer la rigidité du marché du travail, une législation sociale trop pesante, les contraintes administratives et bureaucratiques, d'une façon générale, les manques de flexibilité, l'insuffisance de la concurrence chez les fournisseurs, le prix de l'énergie et des matières premières, les effets de la concentration bancaire, voire le manque de souplesse de l'impôt sur les sociétés. Mais, en revanche, le coût du travail, dont participe le niveau des charges (les charges en France sont plus lourdes que dans les pays comparables, mais les salaires généralement plus faibles), ne représente qu'une très infime cause des difficultés que rencontrent nos entreprises.

Egoïsmes familiaux et émoluments fous

Bien sûr, si on lui réduit ses charges, un patron sera ravi. Mais si on supprime le Smic et si on repasse aux 45 heures, certains seront ravis aussi.

Au demeurant, nos grands patrons du CAC 40, qui ont pétitionné pour exiger 30 milliards d'allègements de charges, pourraient s'interroger sur leurs propres responsabilités : trop faible représentation des petites et moyennes entreprises dans le panel des sociétés dont l'Etat accompagne la politique exportatrice (quand le président de la République voyage, il n'emmène dans son avion que des patrons du CAC 40) ; insuffisance des investissements dans la recherche et l'innovation ; tendance à s'accrocher trop longtemps à des productions obsolètes au lieu de préparer à temps les mutations nécessaires ; priorité donnée par beaucoup aux opérations financières au détriment du développement de la production ; restriction des réinvestissements au profit des dividendes ; manque parfois de fiabilité et de solidité des produits. A quoi on ajoutera des faiblesses dans le service après-vente et la légèreté de l'implantation dans les pays émergents (un petit tour et puis s'en vont).

Petit aparté : si l'entreprise Lacoste est passée à l'étranger, est-ce à cause du coût du travail ou de l'égoïsme des clans familiaux ? Si la société Wendel traverse des difficultés, est-ce à cause du coût du travail ou des louches manipulations des amis du baron Seillière ?

Le discours sur la nécessité de baisser le coût du travail serait plus audible si certains de ceux qui le tiennent ne s'étaient pas eux-mêmes adjugé des émoluments fous, de l'ordre de 4 à 10 millions d'euros par an.

Quand nos grands patrons exigent, à terme, une réduction progressive des dépenses publiques de l'ordre de 60 milliards d'euros (et fustigent les hausses excessives d'impôts), ils n'ont pas tort, puisqu'il conviendra, parallèlement à la réduction des déficits, de dégager, grâce à ces économies, des sommes nécessaires à une relance ciblée de la croissance.

Mais quand ils préconisent un «pacte» sans annoncer la moindre concession ou le moindre sacrifice de leur part, alors que certains ont, comme Sanofi, affiché des bénéfices de 3 à 11 milliards en 2011, ils ont tort...

... Quand ils se gardent bien de préciser dans quel secteur il conviendrait de faire des économies aussi drastiques (ce qui permet à l'extrême gauche d'affirmer que ce serait dans le domaine social et au détriment des plus fragiles), ils ont tort. Et donnent des verges pour se faire rosser.

Ce qui nous amène à rappeler certaines réalités dérangeantes. Si le coût du travail résumait la question de la productivité, la Grèce et Chypre devraient nous tailler des croupières, l'Irlande devrait flamber de mille feux, l'Espagne, où une heure de travail coûte 22 euros en moyenne contre 33 en France, devrait connaître une situation économique mirifique, tandis que le Luxembourg et la Suisse devraient vivre les affres d'une totale déliquescence. Quant au Bangladesh, pays où le coût du travail est minimum, on se demande pourquoi il ne casse pas la baraque.

- Outre que dans certains secteurs industriels de pointe, y compris l'automobile, le coût du travail en Allemagne et en France est en gros comparable (dans l'industrie manufacturière, 36,24 euros de l'heure contre 36,84 euros), le coût d'un ingénieur ou d'un technicien haut de gamme est plus élevé en Allemagne et même aux Etats-Unis : cela apparemment n'a pas handicapé les exportations allemandes. Sans compter que les voitures haut de gamme allemandes, championnes à l'exportation, sont plus chères que les voitures françaises ; de même que leurs machines-outils, malgré leur prix record, dominent le marché.

- Depuis dix ans, les charges sociales des entreprises n'ont cessé d'être réduites en France (réductions trop souvent ciblées sur les bas salaires, ce qui fut une erreur). Or, pendant le même laps de temps, la compétitivité s'est dégradée.

- Les grands patrons, dans leur manifeste, affirment que la situation s'est dramatiquement aggravée ces dix dernières années. Il y a du vrai. Mais pourquoi se sont-ils tus pendant dix ans ? Parce que l'UMP était au pouvoir ?

Quitte à y aller plus fort en direction de certaines baisses de charges, mais non répercutées sur le pouvoir d'achat ou la consommation et contre des donnant-donnant en matière d'emploi très contraignants. La droite prétend vouloir réhabiliter le travail en tant que valeur centrale. Mais alors cette question : pour elle, le travail, est-ce une richesse ou un coût ? J'en ai la conviction : les mesures que la pensée unique vient d'imposer au gouvernement, malgré quelques points positifs, ou des velléités intéressantes, loin de doper notre productivité, auront des effets plus pervers que positifs.

Si c'est malheureusement le cas - et je préfèrerais me tromper et le reconnaître -, ceux qui n'ont cessé de plaider en faveur de cette orientation, à les entendre, miraculeuse, admettront-ils qu'ils se sont et nous ont fourvoyés ?

0 commentaires: