TOUT EST DIT

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lundi 15 octobre 2012

Laurence Parisot : «La situation est gravissime»

La présidente du Medef estime que des décisions en faveur de la compétitivité doivent être prises d'urgence.


Quel est votre diagnostic sur l'économie française? Laurence PARISOT. - Nous savons tous que la situation économique est gravissime. Moi-même, je disais avant l'élection que la situation était préoccupante. Mais aujourd'hui, nous sommes passés d'un avis de tempête à un avis d'ouragan. Certains patrons sont en état de quasi-panique. D'un côté, le rythme des faillites s'est accéléré durant l'été et aucun secteur d'activité n'affiche de prévisions autres que pessimistes jusqu'à la fin de l'année. Et par ailleurs, nous assistons à une défiance généralisée des investisseurs, résidents comme non-résidents. Lorsque, pour investir, ils ont le choix entre plusieurs pays, les grands investisseurs étrangers excluent maintenant la France d'emblée. Dans ce contexte qui devient réellement dramatique, chacun doit prendre la mesure de l'urgence des décisions.
Justement, qu'attendez-vous du rapport que doit remettre Louis Gallois au gouvernement au sujet de la compétitivité?
Je ne peux préjuger du contenu final du rapport mais une chose est certaine: la déception des patrons sera immense si un homme tel que Louis Gallois, qui fut un très grand chef d'entreprise et capitaine d'industrie, ne montre pas comment créer un véritable sursaut, ce que l'on appelle un choc de compétitivité. Il y a dix ans, l'Allemagne était l'homme malade de l'Europe et si nous ne faisons rien, bientôt ce sera au tour de la France.
Louis Gallois a plusieurs fois milité pour un choc de 30 à 50 milliards afin de réduire le coût du travail. Partagez-vous son diagnostic?
30 milliards d'euros, ce serait le minimum pour réduire l'écart avec l'Allemagne. Or il est possible de financer une telle somme sans pénaliser le pouvoir d'achat des salariés. Nous avons baptisé la double hélice le système qui permettrait de le faire: nous proposons d'agir simultanément sur quatre paramètres. D'un côté, on baisserait à la fois les charges patronales et les charges salariales. De l'autre, on augmenterait légèrement la CSG et la TVA hors produits de première nécessité. Cette hausse des impôts indirects serait compensée par les deux premières baisses de cotisations. Peut-être faudrait-il prévoir des ajustements spécifiques pour les non-salariés ou les retraités qui, eux, n'en bénéficieraient pas. Nous sommes sur le point de demander officiellement au Haut Conseil du financement de la protection sociale de mesurer par des simulations précises l'impact de nos propositions.
À quel rythme faut-il créer ce choc?
Ce choc doit être court et se produire sur deux ans, trois ans maximum. Le décrochage de la France est trop sérieux, on ne peut étaler cette réforme sur toute la durée du quinquennat.
Y a-t-il d'autres pistes que des hausses d'impôts pour financer un tel choc aussi rapide?
Oui, il serait faux de croire qu'il n'y a pas marge de manœuvre. Les rapports de la Cour des comptes ou de l'Inspection des finances l'expliquent. Il faut s'attaquer immédiatement aux dépenses publiques pour retrouver notre compétitivité, et le gouvernement pour le moment ne l'a pas fait. Je qualifierais même de trompe l'œil la réduction de 10 milliards qu'il affiche. Elle consiste seulement en un ralentissement de la hausse habituelle des dépenses. Imaginez une personne qui, après avoir grossi chaque année de deux kilos, croirait maigrir en n'en prenant qu'un!
Pourquoi vous être opposée avec autant de force à la taxation des plus-values de cession au même niveau que les revenus?
Vouloir aligner la fiscalité du capital sur celle du travail, cela procède d'une profonde erreur de raisonnement économique, que l'on commet régulièrement en France dans les milieux politiques de droite et de gauche. L'ignorance économique dans laquelle les Français ont été maintenus depuis des années est scandaleuse et explique ce grand «bordel» intellectuel. Rappelons que l'investisseur en capital comme l'entrepreneur ne gagnent pas à tous les coups: il arrive souvent qu'ils ne retrouvent pas leur mise initiale. Il faut donc que leur prise de risque soit récompensée lorsqu'elle est réussie, c'est-à-dire rémunérée différemment, et suffisamment. Sinon, pourquoi ne placeraient-ils plutôt dans un immeuble ou un bas de laine leur argent déjà taxé? Si le capital n'est pas rémunéré à la hauteur du risque, plus personne n'investira dans une entreprise, et les entreprises elles-mêmes ne pourront plus se développer. Ensuite, tout s'enchaîne: moins d'entreprises, moins d'employeurs, moins de salariés, et pour finir moins d'emplois… Faire baisser le chômage en un an, le gouvernement doit le comprendre, c'est un objectif qui n'est pas tenable sans le succès des entreprises.
Est-il pour autant réaliste de demander le retrait de cette disposition du projet de loi de finances?
Il faut dire les choses clairement. L'article 6 n'est pas acceptable, même modifié. Nous ne serons pas les complices d'une erreur économique fondamentale et désastreuse. Sur ce refus vient de se constituer pour la première fois de l'Histoire ce que l'on pourrait appeler une interpatronale de vingt organisations, qui toutes demandent le retrait pur et simple de cet article.
Quel est globalement l'état d'esprit des chefs d'entreprise?
Aujourd'hui, un vent de fronde se lève de partout, aussi bien des TPE que du CAC 40. Cela va bien au-delà d'une jacquerie fiscale. Si la coupe est pleine, c'est qu'aucun relais ne valorise l'entrepreneur en France. Tout au contraire, il se heurte en permanence à un a priori systématique contre lui.
Craignez-vous un exode massif des chefs d'entreprise?
Nombreux sont ceux qui se posent la question de rester ou de partir. Notre pays devient hélas de moins en moins attractif chaque mois, tandis que nos voisins s'attachent à le devenir de plus en plus. Voyez la jeune génération qui choisit maintenant volontiers de faire ses études ou de créer des entreprises hors de France. Comment ne pas comprendre?
Qu'attendez-vous de la négociation sur la sécurisation de l'emploi?
Qu'en fonction de la conjoncture, elle enlève de la rigidité aux entreprises et leur redonne de la souplesse tout en facilitant le rebond professionnel des salariés. C'est ainsi qu'elle remplirait son objectif de relancer la compétitivité hors coût. Le Medef sera forcément exigeant car il y a des tabous à renverser. Ainsi le mot de flexibilité devient imprononçable alors que des entreprises meurent de ne pas avoir les moyens de s'adapter rapidement. Si la durée des plans sociaux se raccourcissait et s'ils étaient mieux sécurisés juridiquement, nous pourrions accepter de renforcer les obligations de reconversion des sites et de formation des salariés, mais aussi d'étendre la portabilité de certains droits qu'un salarié perd lorsqu'il est amené à quitter une entreprise. Je suis convaincue que nous pouvons avancer tous ensemble de manière constructive.
Le débat sur la suppression des 35 heures rebondit à droite. Vous êtes toujours sur cette ligne?
J'avais mis cette question sur la table des négociations en 2008 mais, à l'époque, le gouvernement n'avait pas souhaité s'engager dans cette voie. Nous sommes toujours favorables à une durée conventionnelle du travail qui serait déterminée par accord d'entreprise, voire par accord de branche, et qui pourrait évoluer selon les circonstances. Avec le débat sur les accords dits activité emploi, le sujet est en fait au cœur de la négociation. Il nous faut essayer de trouver un cadre qui permette aux entreprises en difficulté de modifier leurs paramètres de masse salariale, d'effectifs, de durée du travail.
L'exécutif ne pratique-t-il pas un double langage à l'égard des entreprises? Alors que Jean-Marc Ayrault dit tout le bien qu'il pense de vous en ouvrant votre université d'été, Arnaud Montebourg passe son temps à vous taper dessus…
Je ne soupçonne d'un double langage ni le président de la République, ni le premier ministre. Ils mesurent clairement à quel point l'avenir de notre pays passe par les entreprises. Mais le gouvernement et la majorité n'ont pas pris conscience de l'extrême gravité de la situation économique, ni de l'intensité de la crise. Et surtout, ils ne font pas le lien entre macroéconomie et microéconomie, entre les grands équilibres fondamentaux et la vie quotidienne de chaque entreprise. Ils ne réussiront pourtant que s'ils le comprennent. Quant à ­Arnaud Montebourg, je lui ai dit qu'il faisait preuve d'un interventionnisme social intempestif. Il doit apprendre à faire confiance aux partenaires sociaux dans l'entreprise.

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