TOUT EST DIT

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dimanche 7 octobre 2012

Jean-Louis Servan-Schreiber : "La société ne semble pas savoir où elle va"

JLSS est un incorrigible optimiste. Pour lui, notre siècle, qui est celui du désarroi, mérite quand même d'être sauvé. Entretien.
Jean-Louis Servan Schreiber n'est jamais là où on l'attend. Je rencontre ce grand patron de presse, la première fois, il y a une vingtaine d'années, à L'Expansion. Convaincu de l'importance d'en finir avec un management paternaliste poussiéreux, il y présente des méthodes innovantes, venues des États-Unis, pays où il a enseigné à Stanford. Ce jour-là, je comprends que cet homme mince et sobre, déjà tout habillé de noir, a une passion : comprendre et faire évoluer notre société. Ce qu'il s'attache à faire depuis. Le magazine Psychologies, qu'il rachète et transforme radicalement, montre aux lecteurs l'importance de se remettre en question, d'être eux-mêmes, heureux sans culpabiliser, reliés à leurs besoins et désirs fondamentaux et en lien avec les autres. En un mot, conscients. Le magazine Clés, qu'il dirige maintenant avec son épouse Perla, incite à développer une connaissance de ce qui fait sens pour chacun d'entre nous. Une gageure en ces temps de crise ? Ou, au contraire, une manière sage et pragmatique d'aimer, malgré tout, le XXIe siècle, comme nous le dit JLSS dans son dernier livre* ?
JLSS, les années passant, on a le sentiment que vous poursuivez un projet tranquille mais efficace, à travers les médias que vous dirigez, vos livres, ou bien encore, vos actions à l'ONG Human Rights Watch. Qu'est-ce qui vous guide ?
JLSS : Quand on a traversé plusieurs décennies comme moi, on se rend compte que les vrais changements sont graduels. C'est particulièrement vrai pour ce qui concerne les moeurs, les rapports entre humains, les valeurs. En tant que journalistes, nous participons à redéfinir les valeurs. C'est ce que je me suis toujours efforcé de faire. Capter ce qui est nouveau et le transmettre à un large public. Devenir l'une des courroies de transmission de mon époque. J'ai découvert, par exemple, la pensée orientale dans les années soixante-dix, en Californie, aux États-Unis. J'en ai parlé quand je suis revenu en France. Elle est maintenant entrée dans les moeurs. Ce fut une première moisson. Je suis toujours à l'affût des nouvelles tendances, de ce qui est émergent, là où je vis.
Ce livre est un livre d'étape que vous dédiez à vos descendants. Les jeunes sont malmenés par la société d'aujourd'hui, faut-il les inciter à aimer, quand même, le XXIe siècle ?
Ce que j'ai essayé d'évoquer, de manière non exhaustive, dans ce livre d'alerte, c'est que nous sommes dans une société en voie de transformation profonde dont les critères de fonctionnement, les objectifs, ne sont plus clairs, alors que nous disposons de moyens considérables. La société ne semble pas savoir où elle va. Reste que notre avenir et celui de nos enfants vont s'y dérouler. Aussi, accompagnons au mieux notre époque. J'ai foi dans notre capacité à poursuivre notre destin vers plus d'humanité si nous cessons d'avoir une vision court-termiste, et faisons preuve de lucidité et d'optimisme. D'où le titre de ce livre : "Aimer (quand même) le XXIe siècle".
Quel sens prend la crise actuelle pour vous ? Qu'est-ce qui peut nous aider à la traverser ?
Toutes les générations essayent d'être heureuses. Nous nous sommes longtemps tournés vers les divinités, les religions. Puis vers le progrès matériel. Aujourd'hui, nous traversons une période d'hésitation, de doute. L'une de ces caractéristiques, nous commençons seulement à en prendre la pleine mesure, est que l'affaissement des religions, des idéologies, comme suggestions notamment des règles de conduite, n'a pas été remplacé. Les individus arrivent dans des sociétés dépourvues de transcendance, de direction. La plupart sont confrontés à la nécessité première de trouver du travail, de gagner leur vie. Ce ne sont pas des projets de vie qui les guident, mais l'obligation de survivre matériellement au quotidien. C'est une phase qui modifiera les valeurs en profondeur.
L'un des moyens d'espérer en ce début de siècle ne serait-il pas de redonner du sens à nos vies. Mais avons-nous encore le temps d'avoir une quête spirituelle ou une sagesse moderne au XXIe siècle ?
Le mot "quête spirituelle", en France, pays de la laïcité, est très chargé de relents religieux qui n'ont pas bonne cote. En ce début de siècle, il reste à chaque individu l'essentiel, le droit de poursuivre sa quête d'une vie réussie pour lui-même. Ce n'est pas égoïste mais naturel. La recherche pour chacun d'une bonne vie est ce que propose de mieux notre époque. Cela ne va pas de soi. On ne nous apprend pas à le faire. Dans ce domaine, chacun est amateur. Quels sont nos objectifs de vie ? Comment être humainement responsables ? Il n'y a plus de transcendance. Nous sommes donc obligés de nous appuyer sur ce qu'il y a autour de nous. Notre responsabilité humaine est là : j'ai une vie à faire, en quoi cela consiste ? Comment je me comporte avec les autres ? Comment j'essaye de garder un équilibre ? C'est là la grande affaire de chacun. La sagesse est ce qui permet d'avoir ce cheminement personnel, sans le support des religions, par exemple.
Quels sont les principes de vie qui vous guident ? Dans votre dernier livre, vous vous dites réaliste et optimiste et mettez en avant une qualité qu'on semble oublier : le bon sens !
Je parle de moi, sans prétendre détenir la vérité, mais comme quelqu'un en recherche. Dans cette époque hyper-technologique et sans contenu, nous avons beaucoup d'amis en termes de clics, mais c'est dérisoire. Ce n'est pas du qualitatif, mais du quantitatif. Cela se mesure, rassure, mais cela ne remplit pas. Donc, il importe de se demander à titre personnel : qu'est-ce que je fais avec tout cela pour mieux vivre ? Comment je m'en détache pour revenir à ce qui fait le coeur de l'humain de millénaire en millénaire ? Comment puis-je me retrouver en communauté de pensée avec des Sénèque, des Bouddha ? L'exemple des autres nous nourrit intérieurement et intellectuellement. Nous apprenons à vivre par ce biais. C'est pourquoi il importe de faire preuve de bon sens.
Vous dites à la fin de votre ouvrage que durant les années à venir nous verrons la suprématie des femmes...
Elle est déjà là. Tous les ans, les étudiantes sont mieux classées que les hommes. Cela change en profondeur les valeurs de la société. Les femmes - c'est presque biologique - sont équipées pour faire vivre ce qui est autour d'elles, pour aider, prendre soin de. Elles ont le souci de l'autre. Les hommes ont souvent plus le souci d'eux-mêmes. Nous sommes dans une société en paix. Plus cela durera, plus les femmes auront la possibilité d'occuper de meilleures places, puisque nous ne serons plus dans la nécessité des guerres, des combats, actions plus masculines.
Si vous vous retournez sur votre parcours, avez-vous le sentiment que vous avez accompli votre destinée ?
Je n'ai eu à me révolter contre personne, ce qui m'a fait gagner du temps. J'ai été un enfant sage. Avec le recul, je peux dire que mon parcours a consisté à faire à peu près la même chose que mon père, en le poussant plus loin. Je ne l'ai jamais formellement décidé. "Ça, c'est fait" grâce au poids des valeurs, de l'histoire familiale.
Votre définition du bonheur ?
Je n'en ai pas. Le bonheur est ineffable, il ne se veut pas, il se constate. Le bonheur, c'est la vie de tous les jours. Il est parfois contrarié, mais il nous oblige alors à essayer d'être à l'aise avec ce qui lui fait obstacle.

Les dix clés du bonheur en pratique de JLSS.
Accepter le réel tel qu'il est, s'y adapter, ne pas se révolter contre lui.
Reconnaître l'importance centrale du temps. Il est notre maître.
Reconnaître sereinement qu'au fond nous ne sommes rien : "Une vie ne vaut rien mais rien ne vaut une vie" (André Malraux).
"Faire face au néant sans en faire toute une histoire", selon la belle formule de Roger-Pol Droit.
Être attentif et exigeant avec sa forme physique. Notre corps est notre récepteur de vie.
Être en bonne compagnie avec soi-même, c'est le meilleur cadeau à faire aux autres.
Pouvoir s'estimer, pouvoir se regarder dans une glace le matin en bonne conscience.
Être lucide, responsable et ne jamais transiger avec le bon sens.
Garder notre capacité à nous émerveiller, à être étonnés.
Avoir toujours un animal à proximité.

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